77e Daaka de Medina Gounass : Après le drame, la réorganisation

La présente édition du Daaka de Médina Gounass a démarré samedi dernier, pour dix jours. La retraite spirituelle, à l’appel de l’initiateur Thierno El Hadji Mohamadou Siradji Djine Ba, connaît déjà une forte affluence. Après l’incendie de l’année dernière, des dispositions sont prises pour rendre ce pèlerinage plus vivable. EnQuête y a fait un tour pour constater les progrès réalisés sur la plan logistique.
Pour rallier le site spirituel distant de dix kilomètres de la ville sainte de Médina Gounass, tous les moyens de transport sont bons. Peu importe la commodité, ou l’incommodité, c’était la ruée, à la mi-journée d’hier. La sécurité est loin d’être le souci des pèlerins, encore moins des chauffeurs qui se frottent les mains en cette période. Cars rapides, Ndiaga Ndiaye, motocyclettes et même des vélos se partagent la route, avec moins d’accidents. Chacun y va avec les moyens du bord. Les piétons se faufilent entre les automobilistes et motocyclistes.
La propreté des lieux est ce qui frappe en premier lorsqu’on entre dans ce site spirituel. Les disciples du marabout de la cité religieuse sont passés par là. Leur quotidien, depuis quelques jours, est rythmé par le nettoyage des lieux. Foi et dévouement en bandoulière, ces talibés se satisfont aisément de travailler pour le marabout de Médina Gounass. Un sacrifice qu’ils considèrent comme un sacerdoce. Le site spirituel a accueilli, dans les meilleures conditions de soins d’hygiène, ces milliers de pèlerins dans la plus grande ferveur religieuse.
Le site spirituel, point de convergence des pèlerins venus du Sénégal et de la sous-région, permet aux fidèles musulmans en retraite de se concentrer, de s’abstenir de tous les besoins au quotidien de la vie pour prier et glorifier le Tout-Puissant Allah. Seuls dans la brousse, loin de toutes les mondanités et conventions sociales, les hommes s’isolent pour s’adonner au ‘‘zikr de 12 000 Salatoul Fatiha’’, les prières musulmanes sur le prophète de l’Islam, Mouhammad (PSL). Les pèlerins sont également invités à des prières spécifiques comme ‘‘Sayfiyu’’ et à la lecture du Saint Coran en ce moment de haute spiritualité.
Difficile de se frayer un chemin pour pouvoir rentrer à l’intérieur du Daaka. A un kilomètre, les forces de sécurité, qui veillent sur les pèlerins et sur leurs biens, ont érigé des barrières. De longues files de pèlerins à bord de véhicules se forment à l’entrée du site spirituel. Au fur et à mesure qu’on s’approche du lieu, la circulation des piétons, des véhicules, des motocyclistes est assimilée en un parcours du combattant. A l’intérieur du site, piétons, motocyclistes, automobilistes, s’empressent. Des bousculades qui profitent souvent aux voleurs et autres malfaiteurs.
Modernisation du site devenue une réalité
De 1942 jusqu’en 2017, les huttes du ‘‘Daaka’’ étaient construites en paille. Il suffisait d’un brin d’allumette pour causer l’irréparable. Ce qui s’est passé l’année dernière, lors de la 76ème édition, en est une parfaite illustration. Un incendie meurtrier d’une rare violence y a couvé, causant la mort de 30 personnes et des dégâts matériels importants. Un an après, les huttes en paille sont déjà classées dans le registre du passé.
Les changements sont perceptibles à travers des réalisations comme le bitumage des routes, l’adduction en eau potable, l’éclairage public, le dispositif sécuritaire, l’évacuation médicale entre autres. Le pèlerin qui est resté longtemps sans fouler le sol du Daaka est très vite frappé par les changements intervenus. Plus de 900 bâches sont mises à la disposition des fidèles.
‘‘Nous avons 300 000 bâches que nous mettons à la disposition des pèlerins. Il y a des véhicules remplis de bâches qui ont quitté Dakar et qui doivent arriver incessamment. Donc, ces tissus permettent de construire des huttes. Pour en disposer, les bénéficiaires doivent nous remettre la photocopie de leurs pièces d’identité. Après le ‘‘Daaka’’, ils les ramènent et on leur rend leurs pièces’’, explique Tidiane Coulibaly, gérant des bâches et du forage du site.
Il poursuit que ‘‘les dispositions sont prises pour que les huttes soient construites avec les bâches, à défaut des tubes fabriqués avec des tiges de bambou. D’ailleurs, un millier sont disponibles un peu partout. Ceci pour permettre aux autres pèlerins qui n’ont pas bénéficié de bâches d’en avoir et de s’adonner à la construction de leurs huttes’’. D’après lui, cela permettra d’éviter les cas d’incendies sur le site. Il explique toutefois que les huttes construites à l’aide de paille sont justifiées par le retard accusé dans la réception des bâches. Ce qui fait que certains pèlerins ont construit leurs huttes, afin d’être à l’abri de la forte chaleur et du vent qui souffle.
Pas de manque d’eau
Auparavant, le site abritait un seul forage avec un château d’eau de 100 m3 plus un réservoir au sol de 50 m3. Mais d’année en année, le ‘‘Daaka’’ prend de l’ampleur et accueille des milliers de pèlerins venus des quatre coins du monde. Assurer l’approvisionnement correct en eau des populations était un véritable casse-tête pour les autorités administratives et religieuses. C’est pourquoi cette année, la satisfaction de la demande en eau est une priorité pour l’Etat du Sénégal. Pour y arriver, plusieurs travaux de remise en état des forages et des travaux d’extension de réseau dans la ville sainte de Médina Gounass et dans le site spirituel ont été déclenchés, avant l’avant l’ouverture de la retraite spirituelle.
A en croire Moustapha Thiam, chef de la division régionale de l’hydraulique de Kolda, l’Etat du Sénégal, à travers l’Office des Forages Ruraux (OFOR), a réalisé un forage équipé d’un château d’eau de 200 m3 et de dix kilomètres de réseaux, plus des bornes-fontaines publiques. ‘‘Il a été entièrement équipé et réceptionné’’, dit-il, poursuivant que dans le site, l’OFOR a également réalisé un autre forage équipé d’un château d’eau de 150 m3 plus dix kilomètres de réseaux supplémentaires. En plus, il y a cinq bornes-fontaines publiques. D’autre part, il y a aussi la SDE qui a eu à réaliser un grand forage qui débite 120m3/heure. La Société des Eaux s’active également dans la chloration et la potabilisation de l’eau, afin que le liquide précieux distribué aux pèlerins soit conforme aux normes requises.
Selon M. Thiam, ‘‘régler la problématique de l’eau à Médina Gounass et sur le site du ‘‘Daaka’’, c’est résoudre celle des fuites dans le réseau, le traitement de l’eau. ‘‘Le travail de sensibilisation est nécessaire pour expliquer aux pèlerins, car le seul problème rencontré en ce moment, ce sont les tuyaux qui sont cassés lors de la réalisation des routes. Et dès qu’il y a casse, nous sommes obligés de fermer le réseau pour procéder à la réparation des fuites. C’est ce que nous sommes en train de faire. Il y a lieu de sensibiliser les pèlerins pour qu’ils évitent vraiment de casser les tuyaux’’, dit-il, avant de conclure qu’il y aura suffisamment d’eau pour satisfaire les besoins des pèlerins et des populations de Médina Gounass.
Eclairage public
L’électricité ne devrait pas faire défaut pour cette édition, comme ça a été le cas les années précédentes. Les organisateurs, avec le soutien de l’Etat, ont mis les moyens pour assurer, durant la nuit, la sécurité des pèlerins, de leurs biens et de leurs besoins en matière de déplacements. L’éclairage public fonctionne à merveille à la tombée de la nuit. A en croire un des responsables du réseau électrique qui préfère garder l’anonymat, la maintenance d’exploitation relative aux appareillages (lampes et ballasts) n’est pas négligée. Certaines zones à haut risque d’insécurité sont sorties de l’obscurité la plus totale, à la grande satisfaction de la population.
‘‘Le problème de l’éclairage public ne se pose plus ici dans le site et dans la commune de Médina Gounass. On trouve plus d’une vingtaine de lampes très puissantes, qui éclairent les espaces, les tentes et les huttes’’, dit-il, avant d’ajouter que ‘‘l’éclairage public est un élément majeur de l’amélioration du cadre de vie des habitants. C’est aussi un moyen pour la ville et le site de se donner une image dynamique en se montrant à la pointe de la technologie avec un patrimoine mis en valeur par des éclairages adaptés’’. Ainsi, pour se mouvoir la nuit, le pèlerin n’a plus besoin de prendre sa lampe torche pour éclairer son chemin ou son lieu d’habitat. A cela s’ajoutent la propreté des routes, des trottoirs et le ramassage des ordures. L’aménagement du site et le stationnement des véhicules est sans appel.
 La plupart des pèlerins interrogés soutiennent que ‘‘l’éclairage public est un service au cœur de la politique de la ville et du site. Il est garant de la sécurité publique, de l’amélioration du cadre de vie des habitants et de la promotion de l’image par la mise en valeur du patrimoine. Aujourd’hui, l’Etat a assuré notre quiétude et notre bien-être. Nous ne sommes pas dans les griffes de voyous qui investissent le site pour s’adonner à leurs sales besognes’’, déclare un pèlerin.
Sous très haute sécurité
Depuis que la menace terroriste frappe les pays voisins et plane sur le Sénégal, les grands rassemblements publics se font sous la supervision d’une sécurité renforcée. Le ‘‘Daaka’’ n’y échappe pas. Un impressionnant dispositif sécuritaire composé de l’ensemble des forces de sécurité est déployé cette année. L’Etat, à travers ses services de défense et de sécurité, compte rassurer les milliers de pèlerins venus pour l’occasion, afin d’endiguer le banditisme et toute menace terroriste.
A l’entrée comme à l’intérieur, on voit des gendarmes qui s’acquittent de leur mission de contrôle et de veille. Certains hommes en bleu sont postés aux ronds-points, d’autres patrouillent à l’intérieur du site. En tout cas, ce renforcement du dispositif sécuritaire sonne comme une dissuasion aux tiers qui auraient envisagé de semer la terreur. Interrogée, une source de la gendarmerie d’affirmer que le Sénégal est toujours sous la menace terroriste. C’est pourquoi l’Etat instruit les forces de sécurité de redoubler de vigilance, y compris les populations, pour aider les forces de défense, de sécurité à faire leur travail.
Parallèlement, le dispositif médical est renforcé. Pour empêcher que les maladies ne viennent gâcher la fête, des mesures préventives sont mises en place et des unités médicales mobiles affectées dans la ville sainte. Des ambulances médicalisées sont mises à la disposition du centre hospitalier de Médina Gounass pour les urgences. L’année dernière, les pèlerins étaient victimes de rhume, avec le soulèvement de la poussière dû au passage des véhicules. Cette année, plusieurs artères du site sont bitumées, soit en béton ou en ciment. Pas de zigzags  pour éviter les nids-de-poule, pas de crevasses qui parsemaient les pistes latéritiques. Les automobilistes, les motocyclistes et piétons peuvent circuler normalement, sans penser aux multiples pannes de leurs véhicules vécues dans le passé.
Révolution des toilettes au Daaka
Au Daaka, l’hygiène est aussi une préoccupation majeure. L’Etat a lancé sa révolution des toilettes. Une vingtaine de ces équipements publics ont été rénovées. Les autorités y ont construit et rénové une vingtaine de sanitaires flambant neufs installés un peu partout. Des toilettes qui offrent beaucoup d’intimité. Ce qui a permis de faire disparaître la saleté. Pour maintenir la propreté de ces nouveaux équipements, du personnel d’entretien a également été embauché.
‘‘Les toilettes sont installées un peu partout dans le site. Ceci pour permettre aux pèlerins de faire leurs besoins. Nous en sommes les gérants. Il y a plus de cinq blocs comptant chacune 28 toilettes. Ce qui fait 140 au total. Durant ces dix jours, nous assurons la propreté, du matin au soir. A la fin, notre chef d’entreprise nous paie.’’ Les pèlerins doivent défiler dans des toilettes bien entretenues, explique Aladji Kaloga, originaire du Mali et gérant l’un des blocs sanitaires.
Dans ces lieux, l’hygiène corporelle fait partie des premiers intrants de qualité des performances des pèlerins. L’eau, des seaux, des pots, des bouilloires, déposés dans les toilettes, sont à la disposition des utilisateurs. A cela s’ajoutent des WC mobiles des sapeurs-pompiers, des gendarmes, des blouses blanches, installés dans les coins et recoins du site. Toutefois, les gérants soulignent le mauvais comportement de certains pèlerins qui, après usage, jettent par terre leurs serviettes hygiéniques. Des gestes qui participent, selon eux, à salir les toilettes et à les rendre inutilisables. Face à ces manquements, les pèlerins se retrouveront confrontés à des problèmes d’hygiène et de santé. Pour se soulager, certains pèlerins, qui n’ont pas l’habitude d’utiliser les toilettes, n’hésitent pas à sortir du Daaka pour aller dans la brousse, avec tout ce que cela comporte comme risques et perte de temps.
Un rendez-vous du business
Avec ce pèlerinage, l’activité économique du Fouladou prend un répit en faveur de la cité religieuse de Médina Gounass qui accueille tous les secteurs d’activités du pays. Le Daaka est un moment d’intense business. Normal donc que les commerçants du Sénégal et de la sous-région ouest africaine saisissent l’occasion pour écouler une bonne partie de leurs marchandises. Cette année, les choses devraient bien tourner dans le bon sens et les chiffres d’affaires seront revus à la hausse, avec les mesures de sécurité prises pour la bonne marche de l’évènement.
 Des camions remplis de diverses marchandises rallient le site. Sur place, étals de nattes, effets vestimentaires, denrées de première nécessité, matériel agricole, produits de toute sorte bourgeonnent de partout. Car ils sont nombreux, les commerçants venus profiter de la grande affluence que connaît la  ville de Médina Gounass. C’est dire que s’il y a des pèlerins qui rallient Médina Gounass pour des besoins culturels, d’autres y vont pour gonfler leur chiffre d’affaire. Amadou Diallo, originaire de la Guinée Conakry, est un vendeur de nattes, il dit : ‘‘Je rends grâce à Dieu. Car, en l’espace de trois jours, j’ai déjà écoulé beaucoup de mes marchandises’’, avance-t-il. A la recherche de clients, Moussa Ndiaye n’a pas regretté les milliers de kilomètres parcourus pour venir à Médina Gounass. ‘‘J’ai déjà gagné quelque chose qui me permettra de retourner tranquillement à Dakar. La moitié de ma marchandise est déjà écoulée. Il ne me reste que des chaussures, des chapelets et du miel’’, affirme-t-il.

 

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