A Chicago, deux Afro-Américaines au second tour des municipales

Le prochain maire de Chicago sera une femme noire. Une première pour la troisième ville des Etats-Unis

Mardi 2 avril, le second tour des élections municipales à Chicago opposera Lori Lightfoot, 56 ans, à Toni Preckwinkle, 71 ans, deux femmes issues de la communauté afro-américaine. L’élue succédera à Rahm Emanuel, le maire sortant et ancien chef de cabinet de Barack Obama qui ne se représentait pas. Entretien avec Andrew Diamond, universitaire américain, professeur d’histoire et de civilisation américaines à l’Université Paris-Sorbonne, auteur de Chicago on the Make: Power and Inequality in a Modern City (University of California Press, 2017) et de Histoire de Chicago, co-écrit avec Pap Ndiaye (Fayard, 2013).

RFI : Qui sont ces deux femmes, Lori Lightfoot et et Toni Preckwinkle ?

Andrew Diamond : Lori Lightfoot et Toni Preckwinkle ont en commun de tenter de se présenter comme des outsiders alors qu’elles ont toutes les deux des liens forts avec le système politique local. Toni Preckwinkle est la présidente du Conseil du comté de Cook et à ce titre joue un rôle important, notamment dans les décisions concernant les finances de la ville de Chicago.

Lori Lightfoot a pour sa part été nommée en 2002 par Richard M. Daley (maire démocrate de Chicago de 1989 à 2011) administratrice en chef du bureau de la police de Chicago en charge de veiller au respect de la déontologie. En 2015, c’est le maire sortant Rahm Emanuel qui lui a confié la supervision d’un groupe de travail sur les méthodes des forces de l’ordre (après le meurtre de Laquan McDonald, un adolescent noir tué par un policier blanc). Lori Lightfoot a également été procureure générale, avocate associée au sein du prestigieux cabinet Mayer Brown.

Pendant la campagne électorale, la question de son authenticité s’est posée, car à Chicago, il y a en ce moment une volonté de renverser l’ordre ancien. Les forces progressistes sont très actives. C’est la décision de Rahm Emanuel, le maire sortant, de fermer 50 écoles dans la ville qui les a réveillées, provoquant, il y a sept ans une très grave crise politique qui a eu pour conséquence, d’une certaine manière, de faire pencher la ville plus à gauche. Ces deux candidates ont été portées par cette vague.

La présence de ces deux femmes noires reflète-t-elle une évolution de Chicago ?

Chicago a déjà eu une femme maire (Jane Byrne en 1979), donc ce ne sera pas la première femme, mais ce sera la première femme noire et c’est significatif et révélateur. Par ailleurs, si Lori Lighfoot l’emporte, comme semblent l’indiquer les sondages, elle deviendra la première maire noire et ouvertement homosexuelle, alors que l’establishment est dominé par ce que j’appellerais un club de vieux messieurs. Donc oui, c’est une avancée majeure.

Est-ce par ailleurs symptomatique d’une plus grande mobilisation politique des femmes de la communauté afro-américaine ?

Au cours des dernières années, il y a eu un mouvement politique de fond en faveur de la défense des écoles publiques de la ville, du système d’éducation. En 2012, la grève des professeurs dans les écoles s’est accompagnée d’une importante mobilisation des femmes, notamment afro-américaines, qui ont été à la pointe de la contestation contre la fermeture des écoles sous le mandat de Rahm Emmanuel. La présence de ces deux candidates est donc la conséquence logique de la mobilisation notable des femmes afro-américaines qui a marqué la vie politique de Chicago ces dernières années.

Dans le passé, la ville de Chicago a vu émerger des leaders noirs, tels de Barack Obama ou Jesse Jackson. S’inscrit-on dans la même dynamique ?

J’ai personnellement le sentiment que le lien entre Jesse Jackson et Chicago est un peu oublié. Tout le monde se souvient en revanche de l’élection en 1983 du premier maire noir de Chicago, Harold Washington, qui a occupé ce poste jusqu’en 1987, quand il a succombé à une crise cardiaque. Cette période a vraiment été un moment important dans l’histoire de Chicago. Les gens ont encore en mémoire la mobilisation qui a permis que cette victoire se réalise.

L’ironie autour de cette élection, c’est qu’il y avait à ce moment-là une machine politique implantée depuis longtemps à Chicago. Harold Washington n’était pas totalement un outsider, mais il a défié le système en place et s’est retrouvé en mesure de battre lors de la primaire démocrate, Richard Daley (fils de Richard J. Daley qui avait été maire de Chicago pendant 21 ans) ainsi que la maire sortante, Jane Byrne.

Dans l’élection actuelle, comme personne ne s’imposait naturellement, des candidatures ont émergé, notamment celle de Lori Lightfoot, qui a surgi de nulle part, pour devenir la favorite.

Le vote de la communauté afro-américaine leur est-il acquis ?

Ce qu’il faut noter c’est qu’au premier tour, celui qui a suscité l’intérêt de la communauté noire est Willie Wilson, un homme d’affaires afro-américain, et non Lori Lightfoot ou Toni Preckwinkle. Pour le second tour, Lori Lightfoot est en tête, mais comme l’issue de l’élection est connue, qu’il est acquis que le futur maire sera une femme noire, cela pourrait se traduire par un faible taux de participation de la communauté afro-américaine.

Quelles seront les priorités de la nouvelle maire ?

Les deux candidates promettent des réformes. C’est le maître-mot à Chicago, actuellement. Les deux insistent sur la nécessité de trouver de nouveaux moyens pour financer les écoles, créer des emplois, redynamiser les quartiers afro-américains qui se sont appauvris, faute d’investissements. Chicago a vu le nombre de ses habitants baisser ces dernières décennies et c’est un problème majeur pour la ville. Cela s’explique en partie par le taux d’incarcération et par le fait que la communauté afro-américaine reçoit de moins en moins de financements publics.

Le véritable défi aujourd’hui est donc de faire en sorte que ces populations reçoivent à nouveau les subventions auxquelles elles ont droit. Chicago est dotée d’un système d’attribution des aides financières très complexe qui fait que le centre-ville commerçant et les quartiers avoisinants, où la gentrification est rapide, sont les principaux bénéficiaires des impôts locaux alors que dans les quartiers afro-américains, les gens vivent dans leur grande majorité dans la difficulté.

Cette souffrance est visible dans les rues de ces quartiers, où les autorités font le choix de pratiquer un maintien de l’ordre très brutal. C’est pourquoi l’autre défi, mis en avant par les deux candidates, est la nécessité d’améliorer les relations entre la police et la communauté afro-américaine, de tenter de faire baisser le taux élevé d’incarcération ainsi que le nombre important d’homicides au sein de cette communauté.

 

Rfi