Après Auschwitz, les mots de Janina pour raconter l’enfer

A 90 ans, Janina Iwanska raconte très précisément ses cinq mois passés à Auschwitz-Birkenau. Seule, sans aucun membre de sa famille, cette Polonaise a trouvé la force de survivre pour témoigner.

De notre correspondant en Pologne,

Les souvenirs sont encore très précis dans son esprit. Soixante quinze ans après avoir quitté le camp d’Auschwitz-Birkenau, Janina Iwanska se remémore parfaitement l’organisation de son baraquement. Celui des jeunes filles, dans lequel elle a passé cinq mois. Où dormaient les plus jeunes, où étaient les plus âgés. Le nombre de surveillantes, de rangées, de paillasses. La quantité exacte de margarine et de pain auxquels elle avait droit chaque jour.

Seule, elle veut se souvenir de tout, pour raconter

Déportée à l’âge de 14 ans, Janina est seule à Auschwitz. Elle est arrêtée chez elle, à Varsovie, en Pologne, le 8 août 1944, durant l’Insurrection, le soulèvement des habitants de la capitale polonaise contre les nazis. Son père a été condamné au travail forcé en Allemagne. Son frère est en vacances à la campagne. Sa mère, partie chercher des vivres à l’extérieur de Varsovie, ne peut plus rentrer dans la ville.

Elle arrive au camp de concentration et d’extermination, le 12 août. Pendant cinq mois, Janina Gabryela Iwanska, devenue « le matricule 85.595 », trouve la force de survivre. Malgré la faim, le froid. « Je devais rester en vie et me souvenir de tout, pour le raconter à mes parents, à mon retour à Varsovie ».

► À lire aussi : Quelle transmission de mémoire 75 ans après la libération du camp d’Auschwitz

Après une visite à Auschwitz, ses parents comprennent

Le 27 janvier, l’armée rouge délivre les derniers prisonniers d’Auschwitz-Birkenau. Mais Janina a déjà été envoyée au camp de concentration de Ravensbruck, en Allemagne. Elle n’est libérée que le 3 mai 1945, cinq jours avant l’armistice.

De retour à Varsovie, elle ne trouve finalement pas les mots. Ses parents ne comprennent pas son mutisme. Janina leur demande de se rendre sur place. Ils ne le feront que des années plus tard, et prendront conscience que leur fille a survécu à l’enfer.

La mère de Janina n’a jamais cru à son retour

Son père, du moins, comprend. Car sa mère ne la reconnaît pas. Pour elle, Janina est morte dans les bombardements de la ville, en août 1944. Et jusqu’à son décès, cette femme restera persuadée que la personne qui l’héberge et s’occupe d’elle n’est pas sa fille.

« Je montrais ma carte d’identité, elle ne me croyait pas », raconte-t-elle, les larmes aux yeux. « Nous avons passé vingt ans ensemble, dans cet appartement. A chaque fois qu’un proche venait, elle lui demandait discrètement où était ma tombe pour qu’elle puisse s’y recueillir. A la fin de sa vie, nous étions devenues des amies, pas plus. Mais sur son lit de mort, elle nous a regardé, mon frère et moi, et a dit ‘mes enfants’. C’est seulement avant de partir qu’elle a compris. »

Elle raconte inlassablement son histoire

Depuis plusieurs années, Janina Iwanska part à la rencontre de jeunes, notamment en Allemagne. Elle relate ses cinq mois passés à Auschwitz-Birkenau. Et leur demande d’entretenir « de bonnes relations avec leurs amis, leurs voisins ».

« La guerre a commencé par la haine d’une population envers une autre, la méconnaissance, les désaccords entre les gens. Si j’ai survécu, c’est aussi grâce à la solidarité entretenue avec les jeunes filles de mon baraquement. Nous étions très différentes mais nous avions compris que nous devions être ensemble, soudées. »

Aujourd’hui, elle se dit terrifiée par la situation actuelle. Elle a l’impression que le solidarité disparaît et que l’individualisme l’emporte.

►À écouter aussi : À la rencontre des derniers survivants d’Auschwitz

RFI