Attaques dans l’Aude: Trèbes et Carcassonne entre mutisme, stupeur et colère

A Trèbes, ville endeuillée par une prise d’otage le 23 mars, les habitants sont restés sous le choc, longtemps après la fin des évènements. Tandis que ceux de la cité Ozanam de Carcassonne, dont était originaire Radouane Lakdim, auteur de la triple attaque de ce vendredi, se font discrets.

Avec notre envoyé spécial dans l’AudeStéphane Lagarde

Une cellule psychologique a été mise en place à Trèbes, avec, dans les heures qui suivent généralement ce genre d’évènements, de la confusion.

Vendredi soir, un homme cherchait son frère aperçu faisant ses courses au Super U le matin, et disparu ensuite. L’homme ne figurait pas parmi les blessés transportés au CHU de Carcassonne ni dans la liste des victimes. Il avait, en fait, été transporté au CHU de Montpellier, avant de succomber à ses blessures, selon ses proches.

Des familles en deuil, des familles auprès des blessés et une population partagée entre mutisme, stupeur et colère. Difficile d’imaginer un tel drame dans cette petite ville lovée entre l’Aude et le Canal du Midi. Trèbes ; son église, sa place de la mairie et ses commerçants qui, pour la plupart ont laissé leurs rideaux baissés hier soir.

« En solidarité par rapport à ce qui s’est passé », nombre de commerces sont restés fermés vendredi soir, explique Cyrille, de la pizzeria en face de la mairie. « C’est un petit village, c’est 1 500 habitants. Donc, bon… Nous, on est un peu étonnés que ça se passe ici. »

« On a envie de pleurer »

L’étonnement, la stupeur sont partagés par ces habitants choqués d’une petite ville sans histoire. Jusqu’à ce qu’un terroriste venu de Carcassonne, 10 kilomètres plus loin, décide d’y terminer sa folle équipée, tuant le boucher du supermarché.

Henri, retraité, est désemparé. « Tout le monde est triste là, il y a des gens qui pleurent », constate-t-il, avant de s’interroger : « On n’est plus en France, ici, qu’est-ce qui se passe là ? Comment vous dire, on a envie de pleurer hein… »

Après l’évacuation de l’Opel corsa blanche volée par le tueur, les gendarmes ont continué à maintenir les barrages autour du supermarché de la prise d’otage, pour permettre à la police scientifique de faire son travail.

Ozanam, cité du « délinquant » à l’origine des attaques

A une dizaine de kilomètres de là, à quelques jets de pierre seulement de la cité médiévale de Carcassonne, les rues de la cité Ozanam sont en apparence tranquilles, entre barres d’immeubles et pavillons modestes.

Les habitants de ce quartier d’où était originaire Radouane Lakdim ne se précipitent pas sur les micros. Un voisin de la maison où vivait la mère du terroriste de 25 ans accepte de parler, sous couvert d’anonymat. « La famille habite juste derrière, dans les pavillons », raconte-t-il. Ce vendredi, la police est venue effectuer des perquisitions, « évidemment, le quartier était tout envahi ».

Un quartier « rempli d’armes », calme depuis un an selon les habitants, mais longtemps coutumier des voitures et maisons incendiées. « On vit sur la crainte de voir sa maison cramer », témoigne notre guide, qui confesse avoir « très peur ». Qui a mal aussi, « plus mal que tout, de voir des gens mourir à cause d’un petit con qui se croit tout permis ! C’est des délinquants ! »

« Délinquant », c’est aussi le mot employé par le ministre de l’intérieur Gérard Collomb pour décrire Radouane Lakdim, qui s’est revendiqué « soldat de Daech ». Le jeune homme se promenait régulièrement dans le quartier avec son chien, un rottweiler, source récente d’une « prise de gueule » entre lui et son voisin.

« De temps en temps il lâchait son rottweiler », raconte-t-il, même si « la plupart du temps il le tenait quand même en laisse ». Avant de conclure : « ce genre de gens, on ne les connait pas et on ne sait pas ce qu’ils ont dans la tête ».

Une région touchée par la menace

Ce n’est pas la première fois que Carcassonne et sa région sont visées. En juin 2016 un jeune radicalisé, avait projeté de tuer des touristes anglais et américains dans la cité médiévale.

Comme le rappelle Georges Fenech, qui a présidé en 2016 une commission d’enquête parlementaire sur les moyens mis en œuvre pour combattre le terrorisme, la région dans laquelle l’attentat a eu lieu est considérée comme « particulièrement touchée » par la menace.

« Je crois qu’il y a environ une cinquantaine d’individus qui sont fichés S dans ce département, explique Georges Fenech. Donc, c’est une zone particulièrement sensible. Nous le savons très bien, ce n’est pas parce que l’Etat islamique a été défait territorialement – même s’il reste encore quelques petites poches –, que pour autant la menace terroriste a disparu. »

« Il y a aujourd’hui quelque 18 500 individus considérés comme radicalisés, en France, inscrits dans des fichiers, dont 3 000 considérés comme particulièrement en capacité de passer à l’acte. Ce sont des terroristes endogènes – je dirais -, qui n’ont pas forcément subi d’entrainement dans des territoires irako-syriens et qui sont capables de passer à l’acte à n’importe quel moment. »

RFI