Avec son trésor de guerre à venir, l’Ajax va-t-elle changer de stratégie ?

LIGUE DES CHAMPIONS – L’Ajax va faire coup double grâce à son remarquable parcours européen. Non seulement le club d’Amsterdam s’apprête à recevoir près de 100 millions d’euros de primes de l’UEFA, mais, en plus, ses performances ont exposé son effectif et de nombreux joueurs vont être demandés. Que va bien pouvoir faire le club néerlandais de ce magot ? Tour d’horizon de ce qui attend l’Ajax.

Le pari était osé, mais il a fonctionné. L’été dernier, alors que plusieurs de leurs joueurs étaient fortement courtisés par des formations plus huppées, Marc Overmars, directeur technique, et Edwin van der Sar, directeur général, ont préparé un plan de communication pour les convaincre de rester une saison de plus afin de gagner un trophée important. Si Justin Kluivert a finalement rejoint la Roma (pour 17,25 millions d’euros, hors bonus), tous les autres sont restés. Ils écrivent, en cette fin de saison, l’une des plus belles pages de l’histoire du club, grâce notamment à une campagne européenne des plus surprenantes. Mais les dirigeants ajacides savent qu’ils ne pourront pas réitérer cette stratégie cet été. Cette fois, ils vont partir. Tous ? Sans doute pas, mais beaucoup, assurément.

L’avenir de Frenkie de Jong est déjà réglé depuis plusieurs semaines. Le milieu de terrain de 21 ans rejoindra le FC Barcelone cet été et l’Ajax recevra 75 millions d’euros (hors bonus), auxquels 15% seront retranchés et versés à Willem II et au RKC Waalwijk, en vertu d’un accord signé au moment de l’arrivée du blondinet à Amsterdam. Matthijs de Ligt, très courtisé, ne restera pas une saison de plus. Derrière, c’est plus flou. Tandis qu’Onana a prolongé et souhaite encore rester un an, Hakim Ziyech est un candidat sérieux à l’exil, tout comme David Neres et Nicolas Tagliafico. Et que dire de Donny van de Beek dont le profil attire de nombreux cadors ? Marc Overmars a promis qu’il n’y aurait pas plus de cinq départs, ce qui, en soi, est déjà énorme. Une moitié d’équipe. Voilà ce que l’Ajax va devoir trouver dans les semaines à venir.

L’Ajax peut compter sur des jeunes prometteurs dans son académie…

Entre les recettes liées à la Ligue des champions et les ventes sur le marché des transferts cet été, l’Ajax peut espérer recevoir entre 300 et 400 millions d’euros. Une somme phénoménale pour un club dont le budget de la saison 2018/2019 est de 90 millions d’euros. Il reste désormais à déterminer la meilleure façon de le dépenser pour faire grandir encore un peu plus le club, réputé pour son académie.

On peut avoir plusieurs lectures de ces clubs souhaitant miser sur la formation de jeunes joueurs. Pour certains, c’est une réalité économique et un passage obligatoire pour exister. Pour d’autres, c’est plus une question philosophique et de conception du football. Et, enfin, il y a ceux pour qui c’est un peu des deux. L’Ajax entre dans cette dernière catégorie. L’école amstellodamoise est une composante essentielle du club depuis des décennies et on ne compte plus les jeunes joueurs passés par l’académie de l’Ajax avant d’aller enchanter les pelouses des plus grandes écuries européennes.

Ziyech et Neres pourraient suivre les pas de De Jong et quitter l'Ajax

Mais avec l’évolution du football sur un versant de plus en plus mercantile, cette stratégie est aussi devenue une obligation financière. Les dirigeants ajacides ne peuvent compter sur de généreux droits TV puisque l’ensemble des 18 clubs d’Eredivisie touche environ 80 millions d’euros par saison, et le deal n’est pas prêt d’être renégocié puisqu’il court jusqu’en 2025. En dehors des recettes commerciales, il faut donc trouver d’autres moyens d’augmenter son chiffre d’affaires. Et c’est là que les jeunes entrent en action.

Derrière la génération Van de Beek, De Ligt et Mazraoui, pour ne prendre que les joueurs formés au club, une autre commence à montrer les dents après avoir, elle aussi, bénéficié du plan Cruyff. Divers joueurs ont déjà débuté cette saison avec l’équipe première et d’autres n’en sont plus très loin. Des éléments comme Schuurs, Gravenberch, Lang, Traoré ou Ekkelenkamp vont être amenés à avoir plus de responsabilités dans les semaines à venir. Une partie de l’argent pourrait donc être utilisée pour améliorer le fonctionnement de l’académie et le scouting des jeunes joueurs, avec deux objectifs principaux : entre 10 et 15 ans pour la formation et entre 16 et 18 ans pour la post-formation, les deux spécialités du club.

… mais doit éviter les écarts de conduite !

La vie n’est pas toujours tranquille sur les rives de l’Amstel. Quand l’Ajax sort de sa ligne de conduite, il est rappelé à l’ordre par les anciens. Johan Cruyff ne s’est pas privé pour le faire entre 2010 et 2011, lorsqu’il a mené sa révolution de velours afin de le remettre dans le droit chemin. Scouting, académie, politique sportive : tout a été repensé par le stratège néerlandais, qui n’avait qu’une vision du football et souhaitait que l’Ajax s’y plie coûte que coûte.

Et si le club venait à nouveau à se perdre en chemin, qui serait capable de le redresser maintenant que le Hollandais volant n’est plus ? Du côté de ceux qui ont mené ce combat avec lui il y a quelques années, on s’inquiète de l’abandon de certains programmes de développement individualisé par les dirigeants et du départ de formateurs arrivés par et pour le plan Cruyff, à tel point que l’on parle d’un “possible retour au niveau de 2010 dans les cinq à six ans.”

Ils ont été sans doute échaudés par le recrutement en quantité industrielle de jeunes adolescents étrangers sous la houlette de l’ancien responsable du recrutement de l’académie, Patrick Ladru, aujourd’hui en Chine. L’Ajax a investi du temps et de l’argent pour des jeunes joueurs n’ayant pas le niveau selon les observateurs, comme les Hongrois Horvath et Schön, le Roumain Farcas, le Finlandais Ylätupa ou encore l’Australien Pasquali.

Van de Beek est l'un des joueurs les plus convoités de l'Ajax

Au club, certains ont également été très surpris après la révélation du montant des commissions versées par l’Ajax aux différents agents. Le club amstellodamois a en effet dépensé 10,4 millions d’euros pour la saison 2017-2018. C’est presque la moitié du montant dépensé par tous les clubs de première et deuxième division aux Pays-Bas (24,5 millions). Pour donner une idée de l’écart entre les Ajacides et les autres, le deuxième club dans ce classement réalisé par la fédération néerlandaise est le Feyenoord avec 2,9 millions. Marc Overmars a expliqué que ce montant étant dû aux investissements réalisés l’été dernier (renouvellement de contrats, retour de Blind et Tadic). L’Ajax n’est plus ce grand club d’Eredivisie faisant quelques apparitions sporadiques sur la scène européenne, il veut désormais se donner les moyens d’être un grand d’Europe à l’ère du foot business.

Des joueurs expérimentés recrutés et une masse salariale augmentée ?

L’un des succès de la campagne européenne remonte sans doute au dernier marché estival des transferts. En faisant revenir Daley Blind et Dusan Tadic au pays, l’Ajax s’est assuré les services de deux joueurs expérimentés de qualité. Ils réalisent tous les deux une très grande saison et absorbent un maximum de pression, permettant aux plus jeunes de jouer l’esprit libéré. Ce choix osé de Marc Overmars est validé par les résultats. Le club a cassé son modèle de grille salariale (le plafond était auparavant fixé à 1 million d’euros annuel) pour s’offrir les services de ces deux éléments.

Le directeur sportif peut-il recommencer cet été ? Marc Overmars a confirmé cette éventualité dans le programme Inside Ajax. Le club a en tout cas très envie de faire revenir Jan Vertonghen, tandis que Toby Alderweireld est également surveillé. Pour ces deux joueurs, outre une indemnité de transfert substantielle à prévoir, un gros contrat devra leur être proposé. Overmars a timidement démenti lors d’un entretien avec la chaîne de TV Ziggo Sport, en expliquant que c’était sans doute trop tôt pour un retour des deux joueurs, mais l’intérêt est là.

L’Ajax a en tout cas de la marge sur sa masse salariale, évaluée à 40 millions d’euros aujourd’hui. Il est évident que pour maintenir un niveau de performance élevé, notamment en Ligue des champions, celle-ci pourra augmenter dans les mois à venir, sans pour autant mettre en danger l’avenir du club, comme cela avait été le cas à la fin des années 2000 à l’Ajax, ou plus récemment au PSV Eindhoven, bien aidé par la municipalité pour couvrir les dettes du club.

À la recherche du prochain grand talent…

Frenkie de Jong, Hakim Ziyech et David Neres ont un point commun : ils n’ont pas été formés ou post-formés à l’Ajax. Ces trois joueurs, recrutés pour moins de 25 millions d’euros, pourraient en rapporter 150 cet été. La recherche des futurs grands talents a toujours été l’un des facteurs essentiels de la réussite de l’Ajax qui n’est pas qu’une académie fonctionnelle. Luis SuarezKlaas-Jan Huntelaar et Davinson Sanchez peuvent en témoigner. Le club néerlandais possède des recruteurs sur tous les continents, et un programme informatique chargé de compiler les données.

Luis Suarez, symbole de la qualité du recrutement de l'Ajax Amsterdam

Marc Overmars a d’ailleurs déjà anticipé deux recrutements majeurs. L’Ajax s’est assuré les services de Razvan Marin (milieu de 22 ans, Standard) contre un chèque d’environ 12 millions d’euros et de Kik Pierie (18 ans, Heerenveen), l’un des défenseurs les plus prometteurs d’Eredivisie pour 5 autres millions. Cela semble montrer que Marc Overmars va opter pour une stratégie mixte cet été : renforcer l’équipe première dans l’immédiat, et avoir toujours une longueur d’avance pour l’avenir. Ce n’est pas un hasard si certains grands talents du championnat local sont dans le viseur du club, comme Martin Ødegaard et Ritsu Doan.

La double mission de l’Ajax cet été ne sera pas simple. Il lui faudra renforcer son équipe première et profiter des rentrées d’argent pour mettre le club à l’abri financièrement pour les années à venir, en investissant sur les talents de demain. “Certains joueurs sont irremplaçables, on en voit une fois tous les vingt ans, a expliqué récemment Marc Overmars. C’est un fait. Ce ne sera pas facile de trouver leurs remplaçants, mais cela ne me fait pas peur.” Si Johan Cruyff affirmait qu’il n’avait “jamais vu un sac de billets marquer un but“, l’Ajax serait bien inspirée de s’en souvenir dans quelques semaines lorsque l’afflux conséquent d’argent pourrait faire tourner quelques têtes. Au risque de voir le club renier son identité et provoquer une nouvelle révolution.