[Carnet de bord] L’Esperanza sur le récif de l’Amazone

Greenpeace a lancé une nouvelle expédition depuis la Guyane pour documenter un récif au large de l’embouchure de l’Amazone, qui pourrait être menacé, d’après l’organisation écologiste, par des projets pétroliers. A bord de l’Esperanza, le bateau de Greenpeace, des scientifiques brésiliens se sont joint à l’équipage de l’organisation pour sauver le récif de l’Amazone.

Samedi 5 mai : A la recherche du site le plus parlant

Aujourd’hui, le soleil était de la partie, des dauphins ont même étés vus hier soir et ce matin jouant de part et d’autre de l’étrave du bateau. La mer était calme et les sondages sous-marin de la veille indiquaient plusieurs points intéressants à documenter pour établir scientifiquement la présence du récif.

Manoeuvre pour la mise à l’eau d’une sondeRFI/Arnaud Jouve

A six heures du matin, le bateau s’est positionné sur l’un des sites prometteurs. L’information circulait à bord, selon laquelle les équipes allaient enfin pouvoir descendre le ROV, le robot sous-marin, pour filmer le fond. Mais la technique est délicate et nécessite la réunion de plusieurs paramètres. Il faut d’abord stabiliser le bateau : c’est tout l’art des pilotes qui jouent des moteurs pour maintenir une assiette stable dans une mer qui ne l’est jamais totalement. Car l’Esperanza n’est pas un bateau conçu pour réaliser ce genre d’opération et ne possède pas de moteurs latéraux comme ceux qui sont utilisés notamment par les prospecteurs pétroliers. Ensuite, il ne faut pas qu’il y ait des courants sous-marins trop forts, qui pourrait créer un accident et la perte du ROV. Si toutes ces conditions sont réunies, avec l’une des grues du bateau, l’équipe descend une grosse cage dans laquelle se trouve le ROV. Une fois la cage posée au fond, le robot peut alors se libérer et partir explorer les environs sur plusieurs centaines de mètres en filmant. Tout cela évidemment sous le contrôle d’un pilote qui le dirige et de scientifiques qui suivent les informations recueillies depuis leurs écrans sur le bateau.

Le ROV, le robot sous-marin dans sa cageRFI/Arnaud Jouve

Hélas au dernier moment, l’autorisation de mise à l’eau est refusée: les courants sous-marins, mesurés à plus de 4 nœuds (presque 10 km/heure), sont trop forts. L’exploration par le ROV est reportée. Il est décidé de partir sur un autre point d’exploration potentiellement intéressant en espérant trouver des conditions plus favorables.

Le ROV, le robot sous-marinRFI/Arnaud Jouve

Toute la journée, les opérations redémarrent sur un autre point: on sonde, on mesure, on analyse, on fait des prélèvements… La recherche scientifique est une affaire de patience et de compétence et l’équipe à bord de l’Esperanza de toute évidence n’en manque pas.

Vendredi 4 mai : Arrivée sur le récif

Dans la nuit, à la faveur de la marée, l’Esperanza a rejoint la mer libre pour venir se positionner à près de 130 kilomètres des côtes de Guyane. La mer est agitée, à bord on attache les chaises, on range tout ce qu’on peut dans des compartiments fermés, ceux qui ont une tendance au mal de mer s’en aperçoivent et les autres font des prouesses d’équilibre pour ne pas se faire emporter d’un bord à l’autre. A l’arrière, les plus amarinés se retrouvent sur un pont couvert pour prendre un verre dans un déchainement de musique rock au milieu de vagues inquiétantes qui se creusent autour du bateau.

A l’aube, l’Esperanza est arrivée dans sa zone de prospection. Le récif doit se trouve en dessous, entre 80 et 300 mètres de profondeur. Reste à le localiser pour que l’équipe de scientifiques brésiliens, à l’origine de la découverte du récif, puissent établir sa présence à l’aide de multiples appareils que le bateau a embarqués.

Dans l’attente des informations de la sondeRFI/Arnaud Jouve

C’est le but de l’opération : prouver l’existence du récif au large de la Guyane dans le prolongement de sa partie découverte au Brésil. Pour ce faire, le bateau fait des passages en ligne sur le site pressenti et cherche des indices prometteurs au sonar, comme celui découvert ce matin, où le fond bascule de 80 mètres à plus de 300 mètres. « On est sur une ligne de fracture, c’est à priori intéressant », explique le chargé de campagne François Chartier. Plusieurs points sont retenus, la question maintenant est de pouvoir se placer sur l’un de ces points et espérer que les vagues seront clémentes.

Car, sans un minimum de stabilité, il ne sera pas possible de commencer à mettre à l’eau une sonde pour documenter la nature du fond. Les heures passent, tout le monde attend. Tout à coup, les équipes s’agitent sur le pont, des ordres fusent sur les radios, un groupe de femmes en noir avec des casques oranges sont à la manœuvre, les scientifiques s’installent derrière des écrans pour analyser les informations en direct, c’est la première mise à l’eau d’une sonde. Il y a des premiers signes intéressants, nous dit-on, on va pouvoir passer à une autre phase, cette fois de prélèvements de sédiments. Ces prélèvements seront envoyés dans des laboratoires brésiliens. Mais, déjà, le bateau se déplace pour se positionner sur un autre point. Autour de nous, la mer semble infiniment mouvante, et à ce stade, quand on n’est pas capable d’interpréter les informations scientifiques, seules nos rêveries nous font imaginer le fond.

Jeudi 3 mai : L’Esperanza prend la mer

L’Esperanza, l’un des trois bateaux de l’association Greenpeace s’apprête à quitter Cayenne pour rejoindre une zone de récifs de profondeur au large de l’embouchure de l’Amazone. Dans le dégrad (le port) de Cayenne, une fourgonnette fait des allers et retours pour charger les dernières courses faites en ville. Un responsable de l’opération répond à une interview, sur le quai, pour une télévision guyanaise. L’officier de sécurité donne des instructions aux derniers arrivants sur les protocoles face à toutes sortes de menaces. Car cette nuit, l’Esperanza part en campagne sur le récif de l’Amazone.

L’Esperanza le bateau de GreenpeaceRFI/Arnaud Jouve

Tout a commencé en avril 2016 avec une publication de scientifiques brésiliens, suite à une expédition menée deux ans plus tôt, confirmant la présence d’un récif de profondeur au large de l’embouchure de l’Amazone. Jusqu’à présent il n’y avait que des soupçons de son existence, car des pêcheurs brésiliens et guyanais récupéraient parfois dans leurs filets des espèces caractéristiques des massifs coralliens dans cette zone, à plus de 150 km des côtes. Cette découverte majeure d’un récif à cette endroit et à cette profondeur, avec un écosystème qui fonctionne par chimiosynthèse comme dans les très grandes profondeurs avec probablement de nombreuses espèces inconnues, a soulevé beaucoup d’enthousiasme dans la communauté des chercheurs. Mais les scientifiques brésiliens se sont très vite inquiétés de projets pétroliers sur le site et ils ont contacté Greenpeace Brésil.

Le gouvernement brésilien, très favorable au développement de l’industrie pétrolière sur terre et en mer, a mis aux enchères en 2013 plusieurs blocs (parcelles) sur la zone, qui ont été achetés par le groupe pétrolier Total à la tête d’un consortium de plusieurs compagnies. Mais pour pouvoir lancer l’exploration, Total doit remettre une étude d’impact environnemental à l’Ibama, le Ministère de l’environnement brésilien, qui doit valider l’autorisation d’engager les forages exploratoires. Sept blocs sont retenus par Total qui espère y trouver du pétrole comme dans l’embouchure du fleuve Niger au Nigeria où l’on trouve des conditions géologiques similaires.

Pour les environnementalistes, l’inquiétude vient du risque de ce type de forage ultra profond, comme l’explique François Chartier, chargé de campagne Greenpeace : « Ce sont des techniques non conventionnelles. On est dans des limites que seuls des “super majors” comme Total où BP, parmi les compagnies qui sont sur place, sont capables d’atteindre. Elles vont forer à plus de 2000 mètres de profondeur avec des galeries de plusieurs kms de long depuis la surface de l’eau. On parle d’aller chercher du pétrole à 6,8 kilomètres de profondeur. Tout cela avec beaucoup de courants, des risques d’effondrement du fond sédimentaire et des risques de glissement de terrain car on est sur un fond extrêmement instable. Donc avec une forte probabilité de risque, surtout pendant la phase exploratoire, qui est la plus incertaine ». Ces inquiétudes ont amené Greenpeace à engager une campagne sur le récif de l’Amazone.

rfi