Chine: le plaidoyer du Premier ministre Li Keqiang pour la relance et l’emploi

La grand-messe du printemps de la vie politique chinoise bat son plein. Ce mardi 5 mars 2019, l’Assemblée nationale populaire, le Parlement, a ouvert sa session plénière place Tiananmen à Pékin. Dans son discours, le Premier ministre a priorisé la relance de l’économie, le soutien à l’activité, sur fond de ralentissement de la croissance et de bras de fer commercial avec les Etats-Unis.

De notre correspondant à Pékin,

Derrière les chapeaux à grelots et les robes traditionnelles des délégués venus de toutes les province du pays, on s’est beaucoup pris en photo ce mardi matin face du Grand Palais du peuple de Pékin, où sont réunis les membres de l’Assemblée nationale populaire pour dix jours, devant le portrait de Mao toujours accroché à l’entrée sud de la Cité interdite. Les célèbres hôtesses en rouge du Parlement chinois sont bien là, tout comme les forces de l’ordre, les militaires en uniforme.

Alors que le Congrès, constitué du Comité consultatif du peuple chinois (2 000 délégués) a débuté dimanche, c’était au tour de l’Assemblée nationale populaire (3 000 délégués) d’engager ses travaux ce mardi. Une plénière ouverte par le rapport du Premier ministre chinois, un exercice qui laisse peu de place à l’improvisation. Le chef du gouvernement y a dressé le bilan de l’année écoulée et a fait le point sur les enjeux des prochains mois en Chine populaire.

On ressent une certaine inquiétude à Pékin, face à une économie marquée par le ralentissement de la croissance mondiale. Les mesures de sécurité ont été renforcées pour cette 2e session du 13e Congrès national du peuple dans la capitale de la République populaire de Chine. Avec notamment des grilles bleues dressées devant les hôtels des délégués, qui ont entraîné des commentaires vite censurés sur les réseaux sociaux, sur le thème de la coupure avec le peuple.

Les délégués posent devant le palais de l’Assemblée du peuple, à Pékin ce mardi 5 mars 2019.REUTERS/Thomas Peter

La priorité, créer 11 millions d’emplois cette année

Le gouvernement est actuellement pris en tenaille entre sa volonté de réduire l’endettement et celle de favoriser la reprise, et il a donné sur le sujet des signaux parfois contradictoires jusqu’à présent. Dans son discours, Li Keqiang a tablé sur une croissance de 6 à 6,5% cette année, contre 6,6 % en 2018, un taux déjà historiquement bas. De quoi suscite moultes craintes, notamment pour l’emploi.

« L’économie est sous pression. La hausse de la consommation s’est ralentie, les investissements productifs n’augmentent plus et l’économie réelle se heurte à de nombreux écueils. La conjoncture intérieure et internationale a fait basculer notre développement dans un environnement d’une grande dureté, marqué par une multiplication des risques et des défis. Nous devons nous armer pour livrer cette âpre bataille », a-t-il déclaré face à 2 948 délégués (27 absents).

La Chine va devoir s’attaquer à la pauvreté et au chômage, et batailler pour soutenir cette croissance, avec des gages donnés aux entreprises. « Nous prévoyons d’appliquer une réduction fiscale générale, l’accent étant mis sur la diminution des impôts pesant sur l’industrie manufacturière et les petites et moyennes entreprises. Nous ferons baisser de 16 à 13% la TVA de l’industrie manufacturière, et dans d’autres secteurs », a déclaré le Premier ministre.

Soutien aux secteurs-clés comme les transports, la communication, le bâtiment… Incitation fiscale aux entreprises qui emploient des citadins au chômage depuis plus de six mois et des ruraux en dessous du seuil de pauvreté… La Chine doit créer plus de 11 millions d’emplois dans les zones urbaines et le gouvernement surveille la courbe comme le lait sur le feu. La période est sensible, avec les 70 ans de la Chine nouvelle de Mao et les 30 ans de la repression à Tiananmen.

Les délégués de l’Assemblée nationale populaire de Chine, ce mardi 5 mars 2019 à Pékin.REUTERS/Thomas Peter

Une nouvelle loi sur les investissements étrangers

Baisse des impôts, mais aussi investissements en infrastructures et augmentation des prêts aux petites entreprises. Il y par ailleurs ce texte sur les investissements étrangers, projet de loi qui arrive à point nommé suite aux pressions occidentales. Cette compilation de trois lois existantes est censée répondre aux attentes des compagnies américaines et européennes. Elle devrait être adoptée le 15 mars prochain, point d’orgue à la fin de la réunion des deux assemblées.

Tout est allé très vite, c’est du jamais-vu de mémoire de délégués. L’Assemblée a fait une première lecture du document le 23 décembre, puis il a été soumis à la discussion publique. « La guerre commerciale a donné un coup d’accélérateur à ce nouveau projet de loi. Le contenu du texte est inspiré en partie des négociations avec les Etats-Unis. C’est le cas pour ce qui est de la protection de la propriété intellectuelle », explique Ren Qing, du cabinet Global Law Office.

« C’est vrai aussi concernant les transferts forcés de technologies qui seront désormais interdits,ajoute cet avocat d’affaires. La loi forcera les gouvernements locaux à traiter les entreprises étrangères sur un pied d’égalité. Un système d’enregistrement des plaintes devrait être mis en place pour les investisseurs étrangers afin de protéger leurs intérêts. Nous avons ici une vraie réponse aux demandes des entreprises étrangères en Chine. » Une réponse très attendue.

Le projet suscite aussi quelques interrogations. La crainte de certaines entreprises étrangères ici, c’est que son contenu reste symbolique. Il s’agit de donner des garanties aux Américains avant la rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump à la fin du mois. Mais comme souvent dans ce genre de texte, ce qui compte, ce n’est pas l’accord, c’est son application. Or, on ne sait pas encore si l’adoption de la loi unifiée entraînera un vrai changement à l’échelon local. C’est en effet en province que l’on est le moins optimiste concernant la reprise de l’activité.

Le Premier ministre chinois Li Keqiang, le 5 mars 2019 à Pékin.REUTERS/Jason Lee

La clé, l’unité autour du Parti communiste chinois

Cette deuxième session du 13e Congrès national du peuple va-t-elle permettre de resserrer les rangs face au nouvel ordre mondial, ou au contraire va-t-elle laisser exprimer les inquiétudes, les doutes ? Pour Jean-Pierre Cabestan, professeur et directeur du département de sciences politiques de l’Université baptiste de Hong Kong, « ce qui va être intéressant, ce sont les doléances qui vont être exprimées par les délégués qui viennent des différentes parties du pays ».

« La situation est assez contrastée d’une région à l’autre. Il y a celles qui continuent de connaître des taux de croissance relativement élevés, notamment les zones côtières, et puis les régions de l’intérieur ou du nord-est du pays, qui sont dans des situations beaucoup plus préoccupantes. Comment les provinces vont-elles gérer ce ralentissement économique, et à la fois essayer de réduire l’endettement des gouvernements et des entreprises d’Etat, tout en maintenant un volume d’affaires suffisant pour continuer de créer des emplois ? »

Ces questions économiques sont également d’ordre politique. Fin janvier, le président chinois a évoqué les risques induits par les « révolutions de couleur », sans qu’on sache exactement ce qu’il entendait par cela. Le Parti est plus divisé qu’il y a un an. La question de la stabilité économique est d’autant plus sensible en cette période anniversaire. Mot d’ordre rappelé par Li Keqiang ce mardi : l’unité autour du PCC. Pour l’occasion, c’est une première : un rap sorti autour de cette réunion des deux sessions du Parlement (voir ci-dessous).

 

Rfi