Ekrem Imamoglu, l’anti-Erdogan élu maire d’Istanbul

Le nouveau maire d’Istanbul, élu dans la contestation en mars, est entré en fonction le 17 avril. Volontiers rassembleur et transparent, le centriste se démarque allègrement de l’attitude du président, basée sur l’invective, dont le socle électoral tend à s’éroder sur fond de crise économique.

« Remporter Istanbul, c’est remporter la Turquie », a maintes fois assené le président Recep Tayyip Erdogan. Il est ainsi peu de dire que l’élection d’Ekrem Imamoglu (CHP, centre-gauche) a fait l’effet d’un séisme politique sur les rives du Bosphore. Porté à la tête d’Istanbul le 31 mars, l’opposant a d’une courte tête mis fin à 25 années d’un règne sans partage de l’AKP sur la ville.

Le parti présidentiel peine à digérer ce résultat. Après avoir exigé un recomptage des voix, Recep Tayyip Erdogan est passé à l’étape supérieure, demandant l’annulation pure et simple du scrutin. Si les instances analysent encore ce recours, Imamoglu a reçu l’aval du Haut comité électoral pour débuter son mandat. Il est officiellement entré en fonction le 17 avril.

Un défenseur de la paix, du dialogue et du calme

Comme Erdogan à ses débuts en politique, Imamoglu est relativement jeune (48 ans) et encore méconnu. Et comme Erdogan, il entre dans le grand bain politique turc en accédant à la mairie d’Istanbul, poumon économique du pays. « Mais l’analogie s’arrête là, estime Ilhan Tahir, spécialiste de la Turquie installé aux États-Unis. À la différence du Erdogan d’aujourd’hui, il n’a pas choisi de faire de politique identitaire mais plutôt d’unir les parties européenne et asiatique de la ville. Il a reçu une éducation conservatrice mais il parle ouvertement de laïcité. » Ahmet Insel*, ancien politologue de l’Université de Galatasaray, abonde en ce sens : « Il est nationaliste et pratiquant, sans être excessif. » Son centrisme lui a permis de rallier à la cause du CHP les nationalistes libéraux, ainsi que les Kurdes.

Imamoglu a plongé dans le bain politique en 2009. Disposant d’un bagage universitaire centré sur le commerce, cet ancien chef d’entreprise doit attendre 2014 pour remporter sa première élection qui lui permet de prendre le contrôle d’un arrondissement d’Istanbul. Malgré un « bilan positif », pour reprendre les termes d’Ahmet Insel, il n’est connu que de ses administrés au moment où le CHP l’annonce comme candidat à la mairie d’Istanbul il y a trois mois. Sur le papier, Imamoglu entre alors en campagne face à Binali Yildrim, ancien Premier ministre estampillé AKP. « Mais en Turquie, tout tourne autour d’Erdogan », explique Gérard Groc, chercheur à l’Iremam, spécialiste de la Turquie contemporaine. Comprenez : son réel adversaire était le président.

Malgré les invectives d’Erdogan, « Imamoglu a su rester très calme et non-clivant, l’option inverse de son adversaire. Même lors du recomptage, alors que l’AKP tendait à annoncer sa victoire, il faisait surveiller les dépouillements 24h/24. Il a gagné énormément de respect en informant quasiment heure par heure l’avancée du recomptage, en évitant que les gens descendent dans la rue. Son image s’est encore un peu plus améliorée après son élection qu’avant », selon Ahmet Insel.

Durant sa campagne, Imamoglu s’est présenté en défenseur de la paix, du dialogue et du calme dans la ville. Dès son entrée en fonctions, il a œuvré pour davantage de transparence en diffusant en direct sur les réseaux sociaux les débats au Conseil municipal, où l’AKP est majoritaire. Les trois experts s’accordent sur le fait qu’Erdogan s’en servira vraisemblablement pour lui mettre des bâtons dans les roues et décrédibiliser son action.

« Le maire le plus démocratique du monde »

Un large sourire déployé sur le visage, l’homme aux discrètes lunettes a annoncé, le jour de son intronisation, « le début d’une nouvelle ère pour Istanbul », s’engageant à être « le maire le plus démocratique du monde ». Pour Ahmet Insel, il s’agit d’un pied de nez aux soupçons de pratiques de « corruption et de malversation qui sévissent dans les municipalités dominées par l’AKP ».

« Même si les élections venaient à être annulées, embraye Gérard Groc, ce serait tout de même une défaite pour l’AKP. Erdogan disait qu’une victoire par 13 729 voix d’écart n’était pas une victoire. Mais si le candidat de l’AKP venait à être élu avec une marge aussi fine, ce ne serait alors pas une victoire non plus. » Pour le parti présidentiel, la déroute d’Istanbul s’ajoute à celles d’Ankara et d’Izmir. Elles témoignent d’une certaine usure du pouvoir, sur fond de crise économique. Ahmet Insel livre son analyse : « En voyant venir cette érosion, Erdogan a avancé à 2018 les législatives et la présidentielle, alors qu’elles devaient avoir lieu en novembre 2019. Une manière de consolider son pouvoir, en évitant de faire des municipales une sorte de premier tour de la présidentielle. »

Pour Ilhan Tahir, Imamoglu constitue d’ores et déjà une « menace » pour Erdogan, estimant qu’« il n’existe pas plus grand succès que de remporter Istanbul dans une élection locale ». De là à l’imaginer se confronter à Erdogan pour la présidence de la République en 2023 ? « C’est une hypothèse qui, aujourd’hui, peut tenir la route. Mais cela dépendra notamment de son bilan et de sa gestion de l’opposition au conseil municipal », conclut Ahmet Insel.

* Auteur de La nouvelle Turquie d’Erdogan, éditions La Découverte (2015).

 

 

RFI