Elections européennes: en Autriche, opération sensibilisation dans les lycées

En Autriche, où le droit de vote est accordé dès l’âge de 16 ans, une association fait le tour des lycées pour sensibiliser les jeunes électeurs aux questions européennes. Reportage.

De notre envoyé spécial,

Parler de l’Union européenne à des ados au saut du lit n’a pas de quoi intimider Peter Kurri. Et pour cause : c’est son métier. Un sacerdoce, presque. Toute l’année, ce chargé de projet au sein de la Société autrichienne pour la politique européenne (OEGFE) court les lycées afin de lutter contre un préjugé qui voudrait que l’Europe soit trop complexe pour s’y intéresser. « Les jeunes sont plus faciles à sensibiliser que les plus âgés, affirme-t-il. Ils sont encore dans une logique d’apprentissage. »

A quelques jours des élections du 26 mai, le voilà lancé dans un dernier sprint. Il est 7h50 au lycée professionnel de Mattersburg et Peter Kurri s’apprête à rencontrer cinq classes d’affilées. Collier de barbe, chemise à carreaux ouverte sur un tee-shirt, le trentenaire attaque : « Je suis venu pour parler de l’Europe. J’aimerais que vous me posiez toutes les questions sur les thèmes qui vous intéressent. » Face à 26 élèves encore somnolents, la chose ne s’annonce pas aisée. Alors pour réveiller son auditoire, il l’invite à un quizz. Sur l’écran du rétroprojecteur, les questions s’enchaînent : quel est le nom de l’hymne européen ? Combien l’UE compte-t-elle d’habitants ? Avec un taux de réussite pas franchement reluisant.

Montrer les conséquences concrètes des politiques européennes

Place aux échanges. Des doigts se lèvent. Quid du Brexit ? On n’aura jamais autant parlé de l’UE que depuis que le Royaume-Uni veut la quitter. C’est l’occasion pour Peter Kurri de montrer les conséquences concrètes des politiques européennes sur le quotidien des citoyens. « Easyjet a dû monter une filiale en Autriche pour permettre la poursuite de ses vols à l’intérieur de l’UE sans devoir faire escale en Angleterre », explique-t-il. La cloche retentit. Direction la deuxième classe.

Dans celle-ci, certains vont voter pour la première fois lors de ces élections. L’Autriche est le premier pays européen à avoir accordé le droit de vote dès l’âge de 16 ans. C’était en 2007. L’abaissement de la majorité électorale est une longue tradition en Autriche, rappelle Euronews sur son site. En 1992, elle passe de 19 à 18 ans. Huit ans plus tard, cinq régions l’établissent à 16 ans pour les scrutins locaux et régionaux. Et en 2007, donc, la coalition entre conservateurs et socialistes étend ce droit à l’ensemble du pays, et ce pour toutes les élections. Malte suit son exemple en 2018.

Peter Kurri répète l’exercice : questionnaire puis temps d’échange. Encadré sur le mur du fond, le président autrichien Alexander Van der Bellen, européen convaincu, observe la scène d’un regard bienveillant. Il est question de la Grèce, de l’espace Schengen. Mais aussi d’une vidéo publiée par le FPÖ, le parti d’extrême droite alors au pouvoir, sur les migrants. Depuis son arrivée à la tête du pays en octobre 2017, le gouvernement a durci le ton à l’égard des demandeurs d’asile et des réfugiés. « Mais l’Autriche ne peut pas se passer de l’immigration, parce que sa population est vieillissante et que les Autrichiens ne veulent pas occuper certains emplois, fait valoir Peter Kurri. On ne peut pas être totalement contre l’immigration, parce que le pays ne pourrait plus fonctionner. »

« Ces jeunes sont les plus critiques envers l’UE »

La Société autrichienne pour la politique européenne a commencé ses tournées dans les lycées professionnels il y a cinq ans, lorsqu’elle a découvert que ces établissements ne proposaient aucune information concernant l’Europe à leurs élèves. Peter Kurri y consacre habituellement 70 jours par an. Cette année, élections oblige, il a doublé la cadence. « Ces jeunes sont les plus critiques envers l’UE. Ils font partie de ceux qui votent le moins, indique-t-il en aparté. Ils s’intéressent à la politique, mais il leur manque le bagage nécessaire pour comprendre les sujets. Il faut leur expliquer le fonctionnement démocratique, où les débats sont souvent perçus comme des disputes. Il faut montrer que quelque chose en apparence stérile est en réalité la preuve d’un bon fonctionnement démocratique. »

Alexander, 18 ans, a pour sa part des convictions très affirmées. « Le plus important pour moi est qu’on arrête de faire de la politique pour les grands groupes, qu’on maintienne nos prestations sociales, qu’on fasse de la politique pour les gens normaux », dit-il posément. Dans la classe voisine, Peter Kurri montre que l’Union européenne est présente jusque sur les emballages des aliments. « C’est elle qui a imposé que la composition soit indiquée, dit-il en s’emparant d’une bouteille près de lui. Si un pays veut vendre sur le marché européen, il doit s’adapter à ces règles. » Au premier rang, affalé sur sa table, un élève s’est endormi. Un autre tente vainement de réprimer un bâillement.

La matinée s’achève quand surgit une question essentielle, ou plutôt deux : « Mais, ces élections, de quoi s’agit-il ? Et comment ça fonctionne ? » Le doigt qui s’est tendu vers le plafond est celui de Christoph Promberg, 18 ans. « Même si je ne connais pas bien la question, ça m’intéresse, confie-t-il un peu plus tard. Ça me permet aussi de soutenir mon parti pour éviter qu’un autre ne représente l’Autriche au niveau international. » Et lorsqu’on lui demande quels sont, pour lui, les principaux enjeux de ces élections, il répond : « Il y a beaucoup de thèmes importants. Mais le plus important est de prendre les bonnes décisions pour les générations futures. Il le faut pour ceux qui ne peuvent pas encore voter. » Lors des dernières européennes, 26 % des Autrichiens de moins de 29 ans avaient voté pour les Verts. Juste devant l’extrême droite, à 23 %.

 

Rfi