En Tunisie, le terme d’une campagne présidentielle atypique

La campagne pour la présidentielle s’achève ce vendredi en Tunisie. Le second tour oppose l’universitaire Kaïs Saied, qui a obtenu au premier tour 18,4 % des voix, à l’homme d’affaires Nabil Karoui, avec 15,58 %. Le contexte est bien particulier : la justice a fait libérer Karoui, qui était en détention depuis le 23 août pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. Ce soir, les deux candidats débattront en direct à la télévision.
La lassitude des Tunisiens commence à poindre. L’économie peine à décoller, les services publics sont défaillants, le chômage est important et l’inflation ampute le panier des ménages. LA préoccupation des Tunisiens, c’est l’amélioration de leurs conditions de vie.

« J’ai travaillé 35 ans au ministère de la Jeunesse, explique Abdel Tounes, un fonctionnaire à la retraite. Je suis obligé de travailler dans ce restaurant pour arrondir les fins de mois. J’ai deux fils : l’un est à l’étranger car il travaille pour le Programme alimentaire mondial ; l’autre est au chômage depuis 2014. Il a l’intention de partir car ici, il n’y a aucune perspective pour les jeunes. »

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Au premier tour de la présidentielle, 9% seulement des jeunes de 18 à 25 ans ont voté. Pour le sociologue Omar Zafouri, cela tient peut-être à des questions d’éducation. « À mesure que l’âge avance, le taux de participation augmente : 9% pour les plus jeunes, 33% pour les adultes, et 57% pour les plus âgés, constate ce professeur de sociologie à l’université de Sfax. Cela s’explique à l’école tunisienne : les jeunes de 18 à 25 ans sont le produit de l’école de Ben Ali. C’est une école qui n’a pas appris aux jeunes à raisonner, à penser, à analyser. On a donc formé des jeunes qui acceptent des réalités toutes prêtes. C’est une tranche d’âge qui est apolitisée. »

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Une fin de campagne haletante

La fin de la campagne fut peu ordinaire, historique d’une certaine manière, marquée par des polémiques autour de la détention de l’un des candidats, qui a finalement été remis en liberté. On a assisté en fait à deux campagnes totalement différentes.

D’un côté, Kaïs Saied a mené une campagne très discrète, très peu médiatisée. Cet ancien professeur de droit séduit surtout les jeunes, les intellectuels. Il a l’image d’une personne « aux mains propres ». « Kaïs Saied a des connaissances presque excellentes pour les droits de l’homme, pour la justice, pour la pratique des lois, explique un de ses sympathisants. C’est ce que le peuple tunisien veut. Simplement on peut dire que ce jeune homme [61 ans, ndlr] n’est pas corrompu. »

De l’autre côté, l’homme d’affaires Nabil Karoui a sillonné le pays pendant trois ans. Il a mené une campagne de proximité auprès des classes populaires, distribuant des dons… toutes ces actions ont été relayées par sa chaîne de télévision, Nessma TV.

Sur le terrain, Nabil Karoui compte sur de jeunes militants

« C’était difficile à cause des conditions exceptionnelles de la campagne, note Issaoui Nouha, 27 ans, élue députée à l’Assemblée pour représenter le gouvernorat de Sidi Bouzid. Notre leader était en prison. Il n’était pas avec nous pendant le premier tour de la présidentielle et pour les législatives. Ce n’était pas facile de se déplacer pour mener nos activités. On était seul, sans argent et sans logistique. On a financé nous-même la campagne. »

La libération de Nabil Karoui à quelques jours du scrutin relance les dés puisque sa sortie de prison suscite beaucoup d’enthousiasme.

Derniers argumentaires

Celui-ci effectuait son premier grand oral en répondant aux questions en direct sur la chaîne Hiwar. Abordant tous les sujets, l’homme d’affaires n’a pas fait d’annonces nouvelles mais a tenté de rassurer.

Au PozKfé, son apparition à l’écran fait monter une clameur : « Makrouna ! ». « Makrouna », les pâtes en tunisien, que son association distribue par quintaux à travers tout le pays. Mais très vite dans ce café situé à moins d’un kilomètre du palais présidentiel, les clients ont repris leurs parties d’échecs, n’écoutant que d’une oreille distraite, à l’image d’Hamouda : « ça ne m’intéresse pas. Franchement, ça ne m’intéresse pas. »

Le candidat était attendu sur des sujets brûlants comme cette affaire de contrat de lobbying qu’il aurait signée avec un cabinet canadien pour un million de dollars afin de lui garantir la présidence : « c’est un peu trop tiré par les cheveux. J’en suis à ma vingtième casserole, c’est trop pour une seule personne ».

Il s’est ensuite présenté comme un rempart face à l’islamisme d’Ennahdha, a rappelé le rôle essentiel de la femme tunisienne dans la société puis a réitéré son idée d’un pacte national contre la pauvreté.

Sur les affaires dans lesquelles il est mis en cause, il a affirmé sa confiance qu’une justice indépendante le blanchirait. Après cette prestation solo, place désormais ce soir au débat télévisé entre les deux candidats, qui pourrait être décisif dans cette course à Carthage.

De son côté, l’équipe adverse de Kaïs Saied organisait un café politique en banlieue de Tunis.

rfi