Iran: «Trump ne veut pas la guerre, mais sa politique risque fort d’y mener»

Il y a trois jours, Donald Trump annulait à la dernière minute des frappes de représailles contre l’Iran. Il promet d’infliger ce lundi 24 juin 2019 à Téhéran de nouvelles sanctions « majeures ». Jusqu’où peut aller cette escalade entre les deux pays ? Entretien avec Robert Malley, ancien conseiller de Barack Obama pour le Moyen-Orient, et président du centre d’analyse International Crisis Group.

RFI : Vous avez négocié pour l’administration Obama l’accord sur le nucléaire iranien, signé en 2015. Comment vivez-vous l’escalade des tensions entre Washington et Téhéran depuis la décision de Donald Trump de se retirer de cet accord ?

Robert Malley : C’est un sentiment d’incompréhension face à une situation totalement fabriquée par un président déterminé à détruire tout ce que son prédécesseur avait construit. Un président et une administration décident unilatéralement de quitter un accord qui fonctionnait. Inévitablement, l’Iran allait réagir. Les États-Unis réagissent en contrepartie. Et nous en sommes à contempler une possible escalade militaire sans aucune nécessité.

Donald Trump a-t-il une politique moyen-orientale, ou travaille-t-il uniquement à sa réélection en 2020 ?

Bien sûr, c’est dans un coin de sa tête ! Mais je crois que c’est surtout un homme déchiré entre deux tendances : d’une part, son scepticisme par rapport aux interventions américaines – il a fait campagne contre ces intervention militaires, au Moyen-Orient en particulier ; d’autre part, cette envie d’apparaître comme l’homme fort qui est prêt à négocier un meilleur accord que son prédécesseur, qui est prêt à être beaucoup plus dur vis-à-vis de l’Iran, à asphyxier l’économie iranienne et à demander que l’Iran accepte toutes ses demandes.

Une politique qu’on retrouve vis-à-vis de la Corée du Nord, du Venezuela, des Palestiniens. Malheureusement pour lui, la diplomatie, ça ne se passe pas comme ça. Donc je pense qu’il a une politique aujourd’hui qui va à l’encontre de ses intentions. Son intention, c’est de ne pas faire la guerre, mais sa politique de pression accrue sur l’Iran risque fort d’y mener. Parce que l’Iran va continuer à réagir. Et quand l’Iran aura violé certains aspects de l’accord sur le nucléaire, que feront les États-Unis ?

Jusqu’où Téhéran peut-il aller dans la surenchère ?

L’Iran avait fait preuve de patience pendant environ un an. Aujourd’hui, elle se dit qu’elle ne peut pas continuer car son économie est en chute libre à cause des sanctions américaines. Elles fonctionnent d’ailleurs mieux que beaucoup l’avaient prévu. Les dirigeants iraniens se disent qu’il faut réagir et exiger que Donald Trump change de politique ou soit confronté à une escalade qu’il ne souhaite pas. L’Iran essaye de reprendre l’initiative, soit dans la perspective d’une confrontation militaire, soit dans la perspective d’une négociation. Mais dans ce cas-là, l’Iran négocierait à égalité et pas en position de faiblesse.

Il y a donc encore une fenêtre possible pour des négociations ?

Cette fenêtre ne sera pas ouverte éternellement et dépend de la capacité de l’administration Trump – et de l’Iran – à faire des compromis, ce que nous n’avons pas vu jusqu’ici. Beaucoup de pays pourraient jouer le rôle de médiateur : l’Europe, qui est partie prenante de cet accord nucléaire, mais aussi le Japon ou Oman, qui a joué ce rôle par le passé. L’essentiel serait que le président Trump accepte d’assouplir un peu les pressions économiques très importantes qu’il impose à l’Iran, et que l’Iran en contrepartie fasse un geste. Là, on pourrait envisager des discussions pour, au moins, désamorcer la crise. Mais je ne retiendrai pas mon souffle, car pour l’instant la dynamique est tout à fait contraire et chaque sanction supplémentaire entraînera une réponse supplémentaire de l’Iran.

 

Rfi