L’Américain John Steinbeck, l’inoubliable auteur des «Raisins de la colère»

Célèbre pour ses Raisins de la colère, le romancier américain John Steinbeck, prix Nobel de littérature 1962, a écrit une œuvre majeure, immortalisant les opprimés de son pays et dénonçant la misère des hommes. Cinquante ans après sa mort, le romancier demeure un auteur populaire dont les romans continuent d’être lus et relus aux Etats-Unis comme dans le monde entier.

Le 20 décembre 1968 disparaissait, à l’âge de 66 ans, John Steinbeck, l’un des géants de la littérature américaine du XXe siècle. Romancier, nouvelliste, homme de théâtre, Steinbeck est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dans lesquels il a raconté la tragédie de l’Amérique pendant la période de la crise économique des années 1930. C’est une œuvre puissante qui dénonce l’oppression et célèbre le résilience des plus modestes en marche pour leur survie. Portés à l’écran par quelques-uns des grands cinéastes de l’époque, de John Ford à Elia Kazan, les romans de l’Américain sont devenus aujourd’hui des classiques incontournables.

Pour beaucoup, le nom de John Steinbeck demeure inextricablement lié à son opus magnum Les Raisins de la colère, prix Pulitzer, qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires. Cette popularité n’a jamais fait défaut depuis la parution de ce roman en 1939. Au point que même le corpus du chanteur Bruce Springsteen compte un album immortalisant le protagoniste du roman, intitulé « The Ghost of Tom Joad » ou Le fantôme de Tom Joad. D’aucuns estiment que le romancier doit son prix Nobel de littérature obtenu en 1962 à la qualité épique de cet ouvrage, devenu véritablement un monument de la littérature mondiale.

Une enfance et une adolescence rurales

John Steinbeck est né le 27 février 1902, à Salinas, dans l’Etat de Californie, d’un père trésorier municipal et d’une mère institutrice. Sa famille était d’extraction allemande. C’est dans la grande vallée de Salinas, en Californie, encore exclusivement rurale à l’époque, que le futur écrivain a passé toute son enfance et adolescence. Grandissant dans des ranches, au milieu des bétails et des machines agricoles, il a vécu depuis très tôt dans l’intimité avec la terre et les saisons qui seront le décor de ses futurs romans, que la critique a parfois qualifiés de « telluriques ». Les migrants qui venaient travailler dans les fermes de Salinas pendant la période des récoltes et que le garçonnet a vu évoluer de près, seront les protagonistes de ses futurs récits.

Ces années de formation furent aussi une période de lectures intenses pour le jeune Steinbeck, encouragé par ses parents qui, sans le savoir, ont inculqué chez l’adolescent le désir de l’écriture. Mais c’est surtout pendant ses années universitaires à Stanford, et plus tard à New York où il exercera de divers métiers, qu’il trouvera la matière de ses livres. Il lui fut toutefois plus difficile de trouver un éditeur pour ses premières chroniques et ses reportages.

Premiers succès

De retour en Californie à partir de 1926, Steinbeck se fit recruter comme gardien dans une maison de vacances dans les montagnes près du lac Tahoe, haut lieu de villégiature pour les riches Américains. Cette quasi-retraite se révèlera particulièrement féconde pour l’apprenti écrivain qui profite de son temps libre pour écrire son premier recueil de nouvelles et surtout son premier roman Coupe d’or (1929). Il s’agit d’un récit d’aventures mettant en scène un boucanier gallois du XVIIe siècle.

En janvier 1930, alors que la crise économique battait encore son plein, Steinbeck se marie avec sa première épouse Carol Hennig qui sera jusqu’à leur divorce en 1943 sa Muse, sa première lectrice et sa secrétaire personnelle. A elle incombera désormais la tâche de taper à la machine les manuscrits de son époux et les envoyer aux éditeurs qui se montrent de plus en plus favorables à l’écriture de ce romancier soucieux du détail réaliste et de la psychologie sociale, en phase avec les turbulences économiques que connaît l’Amérique de la Grande Dépression.

En 1935, Steinbeck connaît son premier véritable succès commercial avec Tortilla Flat qui met en scène le quotidien d’un groupe d’Hispano-Américains, s’entraidant pour ne pas plonger dans les problèmes d’oisiveté et d’alcoolisme qui les guettent. On n’est pas encore dans la veine sociale qui a fait la réputation de Steinbeck, mais le récit ici est porté par l’optimisme naturel du romancier basé sur sa « confiance presque mystique dans l’inépuisable possibilité de perfectionnement de l’humain », comme l’a écrit Robert Rouge, spécialiste des études littéraires américaines.

Les grands romans sociaux

Ecrivain engagé, l’homme est sensible à la détresse de ses semblables. Au cours des années 1935-1936, toute l’attention de Steinbeck est focalisée sur les réfugiés fuyant le « Dust Bowl  » (Grandes Plaines au centre des Etats-Unis frappées par des tempêtes de poussière et la sécheresse) et se dirigeant vers la Californie qu’ils croient être un eldorado, la « Terre promise ». Il publie dans les pages de la revue « The Nation » un long article consacré à ce phénomène et qu’on peut lire aujourd’hui à posteriori comme un résumé du célèbre Raisins de la colère, alors en préparation.

La thématique des revendications sociales est déjà présente dans deux romans que Steinbeck a fait paraître dans la deuxième moitié des années 1930. Il s’agit de En un combat douteux (1936) qui traite d’une grève des ramasseurs de fruits et Des souris et des hommes(1937) qui dépeint le monde des journaliers agricoles sur fond de la lutte des classes opposant les patrons qui ne pensent qu’à augmenter leurs profits et les paysans travaillant comme journaliers pour des salaires de misère. La révolte gronde dans la grande vallée comme dans les pages des livres du jeune écrivain.

Couverture du célèbre roman de Steinbeck Les Raisins de la colère lors de sa parution en version originale aux Etats-Unisen 1939.: Digital Collections at the University of Maryland via Flickr

La parution des Raisins de la colère en 1939 assoit définitivement la réputation de Steinbeck comme « romancier rouge ». Son nouveau roman met en scène à travers l’aventure tragique de la famille Joad la dépossession et l’exode historique vers l’Ouest des petits fermiers de l’Oklahoma. C’est un véritable chef-d’œuvre d’intelligence et d’imagination où tout l’art du romancier consiste à dépasser l’idéologique pour mettre en exergue la dimension humaine des problématiques soulevées. « Mes romans portant sur le thème des réformes sociales ne sont pas des traités politiques, mais ils sont avant tout des histoires humaines », aimait revendiquer Steinbeck face aux journalistes qui l’interrogeaient sur l’influence du marxisme sur son imagination. Le roman fut couronné en 1940 par le prestigieux prix Pulitzer et mis en film par John Ford, qui remporta dans la foulée l’Oscar du meilleur réalisateur.

Génie aux talents multiples

Les spécialistes de l’œuvre de Steinbeck regrettent que le succès phénoménal qu’a connu Les Raisins de la colère ait éclipsé le reste des productions littéraires de l’Américain, notamment les livres qu’il a publiés à partir de 1940. Pour le biographe du romancier, Jay Parini, ses romans A l’est d’Eden (1952) et L’Hiver de notre mécontentement (1961) sont des oeuvres très réussies et mériteraient d’être redécouvertes.

Le centre national Steinbeck, à Salinas (Etats-Unis)Wikimedia/Creative commons

Porté à l’écran par Elia Kazan avec James Dean dans le rôle principal, A l’est d’Eden est un récit complexe, où s’entremêlent l’épopée de la famille Steinbeck et un récit de fiction basé sur un parallèle symbolique avec l’histoire biblique de Caïn et Abel. Kazan a également réalisé le film Viva Zapata, à partir d’un scénario de Steinbeck qui traite du révolutionnaire mexicain Emiliana Zapata et de son message politique.

Génie aux talents multiples, John Steinbeck a aussi écrit des récits de voyage, des essais, des articles. Ce qui frappe dans cette œuvre, c’est la diversité de son inspiration qui l’a mené de la veine sociale et politique, à l’engagement passionné, en passant par l’ironique, l’humoristique et le poétique. Cette diversité à la fois de genres et de styles que John Steinbeck a pratiquée tout au long de sa carrière d’écrivain explique peut-être pourquoi son œuvre continue de jouir, cinquante ans après la disparition de l’auteur, d’une immense popularité. Pour s’en rendre compte, il suffit de passer à Salinas, cette petite ville de Californie où quasiment tous les noms des rues et des bâtiments publics renvoient au plus célèbre de ses enfants ou à ses romans célébrés dans le monde entier.

source:rfi