Le plus grand défi d’Assassin’s Creed est «une question sentimentale»

« On propose aux gens de vivre des aventures avec nous ». La saga « Assassin’s Creed » continue à séduire des joueurs dans le monde entier, avec 120 millions de jeux vidéo vendus depuis 2007. Et cela fait longtemps que ce jeu mythique n’est plus simplement un jeu. Les aventures situées aux moments clés de notre Histoire comme les croisades ou les révolutions passionnent aussi sous forme de film de cinéma, de bande dessinée, de série vidéo, de graphic novel… À la Gaîté-Lyrique de Paris, « Behind the Game », un parcours immersif et interactif, dévoile les coulisses et les séquences clés de la création de ce jeu « open world ». Entretien avec Aymar Azaïzia, directeur transmédia d’Ubisoft, sur le défi de cette exposition et l’avenir de « Assassin’s Creed ».

RFI : Vous êtes l’un des pères du jeu vidéo Assassin’s Creed. Comment est-ce que tout a commencé ?

Aymar Azaïzia : Je suis plutôt un des grands-papas [rires], cela fait une décennie… Comment est né Assassin’s Creed ? Ubisoft à Montréal avait reçu comme mandat de révolutionner le genre action-aventure. Donc, un tout petit mandat, pas du tout ambitieux [rires]. Une des grandes décisions avait été de créer un monde dans lequel on pouvait naviguer partout, c’est-à-dire courir, monter sur un mur… Aucun bâtiment, aucune limite ne devait nous restreindre. À l’époque, c’était vraiment innovant. En plus, on avait la proposition de faire un jeu historique situé pendant les périodes des croisades. Tout un imaginaire y est lié avec la secte des Assassins devenus les Assassins, les Templiers en face. C’est là qu’a commencé véritablement l’histoire d’Assassin’s Creed. Dès le deuxième opus – qui se passe pendant la Renaissance italienne – on a commencé à définir les codes de la franchise.

Le fait que chaque épisode représenterait une nouvelle époque avec un nouveau héros est aussi très ambitieux. La plupart du temps, on tend à rester avec le même personnage principal. Or, on a pris la décision quand même très courageuse de changer d’époque, de changer de personnages, alors que les gens les adoraient. Justement, on voulait proposer de vivre de nouvelles choses. Et en tant que petit geek d’Histoire, on a décidé que l’Histoire sera notre terrain de jeu.

Quel est l’enjeu de l’exposition Behind the Game ?

L’enjeu est de présenter les métiers et le making-of, d’où le titre Behind the Game, derrière la création d’une franchise comme Assassin’s Creed. Créer un jeu, ce n’est pas une personne, ce sont des centaines voire des milliers de personnes à partir de la conception du jeu. L’objectif ici est d’expliquer quelques-uns des rouages et des métiers méconnus qui entrent en compte dans la création d’un jeu dit « en monde ouvert ». On invite le joueur à se balader et à vivre dans un monde entièrement créé. Ce monde continue à vivre, même sans joueur. Cela veut dire que les habitants doivent avoir une vie, un agenda, mais aussi les animaux, la faune, la flore… Et même quand le joueur n’est pas là, il doit quand même continuer à se passer des choses et des événements. Dans l’exposition, on montre un peu comment cela fonctionne.

Assassin’s Creed, ce sont des jeux vidéo, un film, des romans, des parcs thématiques, des accessoires, un livre de cuisine, des partenariats… Avec cette approche transmédia, combien de personnes dans le monde avez-vous touchées avec la marque Assassin’s Creed ?

Si on compte non seulement les joueurs, mais, en plus les spectateurs du film, les personnes immergées dans les livres… on est largement au-delà de la cinquantaine de millions. Sur chacune des plateformes et dans chacun des médias qu’on exploite, il y a des millions de personnes qui nous suivent dans nos aventures. Assassin’s Creed est devenu une vraie grande marque de divertissement, dans le sens où elle n’a pas seulement plusieurs points d’entrée, mais elle a également plusieurs secteurs qui vivent indépendamment les uns des autres. Ce qui a fait l’attrait de la franchise, c’est qu’on racontait l’Histoire. Cela, on l’a tous en commun, l’Histoire avec un grand « H », peu importe d’où l’on vienne. On propose aux gens de vivre des aventures avec nous.

Dans « Behind the Game, l’exposition au cœur d’Assassin’s Creed », à la Gaité Lyrique, Paris.Siegfried Forster / RFI

Aujourd’hui, on parle beaucoup de l’intelligence artificielle. Quel est pour vous le plus grand défi pour faire évoluer Assassin’s Creed ?

Il faut continuer à être à l’écoute et à raisonner avec les attentes de joueurs et des gens qui nous font confiance. On est pris entre deux choses : à la fois le désir de surprendre, donc, on n’a pas envie de faire des jeux à la carte et à la demande des joueurs. En même temps, on veut réellement leur faire plaisir.

Pour vous, le défi majeur n’est pas l’intelligence artificielle, mais la question des sentiments ?

C’est beaucoup plus une question sentimentale, parce qu’on essaie de raisonner sur le plan émotionnel. On veut engager nos joueurs sur le plan émotionnel. La technique, c’est le « comment », c’est ce qui permet d’ouvrir les barrières. Typiquement, un jeu comme Assassin’s Creed Origins en Égypte dans lequel on a créé un pays entier, c’était un jeu impossible à faire, il y a quelques années, justement à cause des barrières technologiques. L’intelligence artificielle qu’on a mise en place dans ce jeu gère des groupes, des populations entières quand le joueur n’est pas là. Ce sont évidemment des avancées techniques sur lesquelles Ubisoft travaille très fort. On a des équipes techniques qui sont incroyables. On a des designers, des ingénieurs qui font un boulot monstre, mais la technique doit être au service de notre message et du jeu. On n’est pas dans une course effrénée à la technologie pour une course à la technologie, elle doit servir à quelque chose. Pour nous, elle a un propos émotionnel.

Quel est votre élément ou personnage fétiche dans Assassin’s Creed ?

Il y aurait beaucoup de choses. Spontanément, j’aurais envie de répondre la lame secrète, la lame des Assassins qui est l’arme signature. En réalité, je répondrais que c’est le personnage d’Ezio, parce qu’on a vécu une trilogie avec lui. C’est un personnage attaché à la Renaissance italienne, un homme multiple. Il commence comme un jeune Italien un peu arrogant qui vit la dolce vita, se fait faucher par le drame et se retrouve remporté par une histoire qui n’est pas la sienne. Entouré par des figures prestigieuses – Léonard de Vinci et Machiavel – il finit à être un homme abusé, quelqu’un qui rejette le système et la manière dont les choses se sont passées. Il a tendance à résonner avec beaucoup de joueurs et porte une part d’humanité qu’on a chacun entre nous.

source:rfi