«L’Envol», exposition ultime de la Maison Rouge

La Maison Rouge à Paris vient d’inaugurer son exposition ultime. « L’Envol ou le rêve de voler » clôture quatorze années d’une aventure artistique singulière rêvée et concrétisée par le collectionneur Antoine de Galbert. Une utopie libre de toute entrave économique ou institutionnelle.

C’était il y a quatorze ans. Antoine de Galbert, galeriste à Grenoble, las de son métier, trouve un lieu où assouvir sa passion : celle des collections d’art. Le bâtiment industriel est en face du canal de l’Arsenal tout près de la Bastille. Sa femme décide de le peindre en rouge. Ainsi est née la Maison Rouge.

Il y a comme une ferveur…

1 300 mètres carrés d’exposition et, très vite, un public fidèle. Il faut dire que les expositions ne ressemblent pas à celles qu’on voit partout. Il y a comme une ferveur à la Maison Rouge. Qu’il s’agisse des portraits de ville : My Joburg fait date, ou les expositions monographiques avec des artistes célèbres comme Christian Boltanski ou Felice Varini et d’autres moins connus comme Ceija Stojka, l’artiste rom qui a survécu au camp d’Auschwitz. Et puis il y a les collectionneurs, ses pairs, qu’Antoine de Galbert dévoile. Ainsi on découvre la collection bouleversante de Marin Karmitz, le créateur des cinémas MK2. Des œuvres d’art, essentiellement des photographies, où domine le portrait. Autant de vies où chaque regard est un coup de poing, du mineur au rescapé de la Shoah.

Antoine de Galbert a aussi le chic de confier les expositions à des commissaires auxquels il donne une entière liberté. Ainsi Jean-Hubert Martin – qui avait bouleversé le regard occidental sur l’art avec l’exposition Les magiciens de la Terre, au Centre Pompidou, en 1989, où il avait révélé les arts actuels d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et du Pacifique – se voit confier la collection de David Walsh qui possède un musée gigantesque en Tasmanie. Il croise des objets de toutes époques et provenances, le tout sans cartel. Place donc à l’émotion !

Subjectivité

Pour Antoine de Galbert, « c’est probablement la subjectivité d’une personne qui a fait qu’on s’est attaché à la Maison Rouge ». Le lieu draine en effet 100 000 visiteurs par an. Devant tant de succès pourquoi le fermer ? « Je dis souvent que pour moi, la Maison Rouge est un être. Ce n’est pas un musée qui est éternel. Ce n’est pas un bâtiment. C’est un être qui s’est enrichi pendant quinze ans par des multitudes de gens qui sont venus le charger comme une pile. Donc les êtres peuvent déménager, disparaître, réapparaitre. Il faut vraiment le prendre comme ça. »

La Maison Rouge, c’est aussi beaucoup d’argent : près de trois millions d’euros par an. Un coût qui a pesé dans la décision de fermer le lieu.

« La sorcière » (1993), de Pierre Joseph, à la Maison Rouge.Muriel Maalouf / RFI

La Collection

Mais si la Maison Rouge ferme ses portes fin octobre, il reste la collection d’Antoine de Galbert : « C’est ma vie privée. Elle est dissociée financièrement et juridiquement de la Maison Rouge. C’est une collection importante en nombre et parfois fragile, car il y a beaucoup d’artistes inconnus. Elle n’est pas inscrite dans le marché mondial de l’art. Elle est faite de passions, d’amitiés. Et elle vit puisqu’on prête énormément. Donc j’ai beaucoup de projets. Je suis invité à Arles dans le cadre des Rencontres de la Photographie à partir du 2 juillet pour présenter une centaine de portraits. J’ai ensuite un beau projet avec le musée de Grenoble que je vais aider à acquérir des œuvres. Plus tard, en 2020, je dois travailler à Marseille avec des jeunes du quartier de la Friche Belle de Mai ».

Mais comment le collectionneur décide-t-il d’acquérir les œuvres : « Je suis un acheteur compulsif. C’est une forme d’addiction. Je fais ça vite. Mais je sais ce que je n’aime pas. J’ai une collection peu conceptuelle. C’est très organique. Ça traite de sujets de la vie, de la mort. »

Antoine de Galbert a aussi fait une donation au musée des Confluences à Lyon d’une collection de coiffes : 530 objets venus des quatre coins de la planète. « Donner, c’est se séparer. Ce n’est pas évident. J’ai eu des enfants qui ont grandi, vieilli, qui ont eu eux-mêmes des enfants. Quand vos enfants quittent la maison à 18, 20 ans … il y a une immense tristesse de les voir partir, de voir l’assiette vide et en même temps une immense joie de les voir s’envoler. Vous voyez, on retrouve ce thème de s’envoler. On est à la fois heureux et triste. Une donation c’est ça ! »

« L’Envol »

L’Envol, l’ultime exposition de la Maison Rouge réunit des œuvres qui datent d’avant l’aviation. Une exposition d’amis en quelque sorte : trois commissaires et le fondateur autour d’un thème qui a toujours fait rêver l’homme : voler.

Et bien dans l’esprit de la Maison Rouge, des œuvres célèbres côtoient celles d’artistes inconnus. Le saut dans le vide, la photo d’Yves Klein, les bronzes figurant des hommes oiseaux de Kiki Smith jouxtent des dessins et des écrits dingues fruits de voyages extra-terrestres relevant de l’imagination ou pas, aux visiteurs de le décider. Ainsi art contemporain et art brut se mêlent dans un joyeux mélange qui privilégie la poésie et le rêve.

On peut aussi rêver allongé sur des matelas en regardant une sélection de films de danse ou encore se blottir dans un coin avec un casque pour écouter une des dernières œuvres de Pierre Henry, intitulée L’Envol. L’exposition de la Maison Rouge se visite tranquillement en prenant son temps. Elle se termine le 28 octobre avec la fermeture de la Maison Rouge.