Mise en examen de Bolloré: la Guinée assure qu’elle coopèrera à l’enquête

Vincent Bolloré a été mis en examen mercredi soir pour « corruption d’agent public étranger », « complicité d’abus de confiance » et  « faux et usage de faux ». Trois chefs d’inculpation qui concernent les conditions d’attribution de concessions portuaires au groupe Bolloré en Afrique de l’Ouest, celle notamment du terminal à conteneurs du port de Conakry. C’était en mars 2011, trois mois seulement après l’élection du président Alpha Condé à la tête de la Guinée en décembre 2010.

A l’époque, l’affaire avait défrayé la chronique. Et pour cause : la concession du port de Conakry avait été remportée, deux ans plus tôt, par un autre groupe français, Necotrans et sa filiale Getma, et ce pour une durée de 25 ans. Indirectement pointé du doigt dans ce dossier, le pouvoir guinéen assure qu’il coopérera avec la justice française sur le dossier.

« La concession accordée au groupe Bolloré est strictement conforme à la loi. » C’est ainsi que le gouvernement guinéen s’était défendu dans un communiqué mardi 24 avril, au premier jour de la garde à vue du milliardaire français, Vincent Bolloré.

Hier jeudi 26 avril, le ministre de la Justice, maître Cheick Sako, est allé plus loin en précisant que la Guinée coopérerait à l’enquête française. La Guinée reste prudente sur le dossier et demande à ce que le temps de la justice soit aussi respecté. « Le nom de la Guinée a été cité. On parle toujours de la Guinée et du Togo. Pourquoi ?, s’interroge Mohamed Lamine Fofana, conseiller du président Alpha Condé. Parce que de la même manière, au même moment, les présidents sont venus au pouvoir. Le jour où au cours de cette procédure, la Guinée sera mise en cause directement, elle saura se défendre. »

Si la Guinée a annoncé sa coopération à l’enquête, à Conakry des personnalités proches du dossier et du pouvoir soutiennent ouvertement le choix du groupe Bolloré pour l’attribution de la concession du port de Conakry en 2011 par le président Alpha Condé. C’est le cas de Sory Camara, ancien directeur général adjoint du port autonome de Conakry au moment des négociations avec Getma International, et avec Bolloré.

« Faire un grand port d’éclatement »

« Notre ambition à l’époque, c’était franchement de faire du port de Conakry un grand port d’éclatement, explique ce dernier. L’appel d’offres a eu lieu, les évaluations ont été faites. Et finalement, c’est Getma qui a été classé premier. A l’époque, nous, on était un peu sceptiques compte-tenu de la capacité de Getma à pouvoir répondre aux préoccupations du port. Et l’histoire nous a donné une raison puisque deux mois et demi après, Getma n’avait opéré aucun investissement au port. Aucun, c’est vérifiable : ni le terminal à conteneurs, ni son extension, ni le chenal d’accès. Donc à l’avènement du président Alpha Condé, nous avons saisi le conseil d’administration. Et aussitôt la décision a été prise de résilier la convention de concession et d’impliquer le deuxième qui était classé à l’issue de l’appel d’offres qui était Bolloré. »

Certaines ONG en revanche espèrent que l’ouverture d’une instruction en France va lancer le débat publiquement sur les investissements du groupe Bolloré. Au Togo notamment.

« Je n’ai pas été surpris par la mise en examen de Vincent Bolloré. C’est quelque chose qui devait arriver un jour ou l’autre, commente Hombé Kasechina, vice-président de l’ONG Alternative Leadership Group. Cela confirme des soupçons, mais […] il faut qu’un juge courageux puisse mettre en examen un certain nombre de personnes ici [au Togo]. Il faut que la Haute autorité de lutte contre la corruption puisse se saisir de cette question, de cette affaire-là pour pouvoir clarifier un certain nombre de choses aux populations. Il faut que nous aussi de la société civile, nous puissions continuer à mettre la pression afin que les informations soient données et que des enquêtes soient menées pour voir si vraiment il y a eu corruption, et que s’il y a eu corruption, que les personnes soient interpellées aussi. »

« Je privilégie les amis »

Alpha condé lui ne s’est toujours pas exprimé. Il y a deux ans, à nos confrères du journal Le Monde, il avait confié sur le sujet : « Bolloré remplissait toutes les conditions d’appels d’offres. C’est un ami, je privilégie les amis. » C’est précisément aujourd’hui cette relation de favoritisme qui est au cœur du volet guinéen de l’enquête française.


■ Témoignage de Mamadou Sylla, ancien président du patronat guinéen

Président du patronat sous le régime de Lansana Conté, Mamadou Sylla se souvient d’une rencontre à Paris, en décembre 2007 avec les émissaires de Vincent Bolloré. L’homme d’affaires guinéen est consulté sur le dossier du port et surpris par la demande du groupe français qui souhaite obtenir la concession sans appel d’offre. « J’ai déjeuné même avec eux, chez moi, au cinquième étage ici. Donc, ils m’ont demandé d’avoir le port pour un franc symbolique. J’ai dit que je n’avais pas la qualité pour donner le port, pas moi, je ne pouvais pas le donner », se souvient-il.

Face aux nombre d’intéressés un appel d’offres est finalement lancé et c’est Getma filiale de Necotrans qui remporte le marché. Le président Lansana Conté décède, la junte militaire dirigée par Daddis Camara prend le pouvoir et les émissaires du groupe Bolloré entrent à nouveau dans la danse. « Les mêmes personnes sont venues dire aux militaires que c’était moi, ils m’ont accusé, qui avait donné le marché à Getma », raconte Mamadou Sylla.

« Un conteneur coûte deux fois plus cher en Guinée qu’à Abidjan »

Vincent Bolloré devra attendre l’arrivée d’Alpha Condé au pouvoir en 2010 pour récupérer la concession du port, sans nouvel appel d’offres, à la surprise de Mamadou Sylla qui dénonce aujourd’hui les profits réalisés par le groupe au détriment des Guinéens. « Un conteneur en Guinée aujourd’hui, cela coûte deux fois plus cher qu’à Abidjan. Cela veut dire que c’est nous qui payons, la Guinée perd de l’argent », explique-t-il encore.

C’est au nom de la vérité et de la transparence que Mamadou Sylla se dit aujourd’hui prêt à se mettre à la disposition de la justice française.

 

RFI