[Reportage] #MeToo: les Fly Girls, de jeunes afro-américaines prennent la parole

Les retombées de l’affaire Harvey Weinstein et du mouvement MeToo aux Etats-Unis ne concernent pas seulement Hollywood mais touchent aussi toutes les couches de la population. En Californie, de jeunes femmes noires vivent elles aussi leur « moment MeToo ». Dans la ville d’Oakland, connue pour ses taux de criminalité élevés, un récent rapport met en lumière le sentiment d’insécurité des jeunes filles de couleur qui craignent harcèlement et agressions sexuelles. Dans le lycée McClymonds d’Oakland, des lycéennes noires ont formé un groupe baptisé les « Fly Girls » pour « First love yourself » pour échanger leurs expériences.

De notre envoyé spécial à Oakland,

Elles se réunissent dans une petite salle discrète de leur lycée d’Oakland. Elles sont une vingtaine, âgées de 14 à 18 ans, toutes sont noires et souffrent de harcèlement…comme Annie : « Je marchais vers l’arrêt du bus. Je courrais, ma cousine aussi. J’ai eu chaud, j’ai enlevé ma veste. J’avais un débardeur. Et là, un homme gare sa voiture à ma hauteur. Il a sorti de l’argent et il m’a dit monte. Et j’ai dit quoi ? Il m’a dit ‘monte dans la voiture’. J’ai pris la main de ma cousine et on s’est mise à courir. J’ai fondu en larmes parce que j’avais peur. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Parce qu’avant j’habitais un quartier blanc, où les gens étaient sympas les uns avec les autres. Maintenant j’ai peur quand je marche seule, je ne suis plus à l’aise à Oakland. Chaque semaine, j’ai l’impression que je recroise cet homme et j’ai peur ».

Les Afro-Américaines particulièrement touchées

Au quotidien, dans ce quartier populaire souvent violent, Annie évite désormais de se découvrir. Assise en face, sa camarade Tamia, lycéenne de 16 ans, estime que les femmes noires subissent un harcèlement spécifique : « Nous sommes plus susceptibles d’être harcelées parce que nous avons plus d’atouts que les femmes d’autres origines ethniques. On a des seins plus gros, des hanches plus larges, et tout ça. Donc ils se sentent autorisés à nous toucher. Même si on refuse. Ce n’est pas juste. Quand on porte certains vêtements, ils disent, ‘oh, elle a des grosses fesses‘, mais pour une femme d’une autre origine c’est un tout autre scénario. Les femmes afro-américaines, nous sommes « sexualisées » en permanence ».

La parole se libère

Dans leur groupe de discussion, baptisé les Fly Girls, la parole la plus intime de ces jeunes lycéennes d’Oakland trouvent aujourd’hui un écho grâce au mouvement #MeToo. En confiance, entourée de ses amies, Naje’e 17 ans, raconte ce qu’elle a subi: « L’histoire du #MeToo, ça me touche, parce que ça m’est aussi arrivé dans le passé. Quand j’avais 10 ans, j’ai été violée. Je suis heureuse d’avoir un groupe d’amies à qui en parler. Sans être jugée. Je n’en avais jamais vraiment parlé avant. Mais depuis l’histoire du #MeToo, je sens que…oui…c’est plus facile d’en parler. Parce que je ne suis pas la seule à avoir enduré ça. »

Sensibiliser les garçons de leur âge

Une parole adolescente traumatisée, celle de Joanne, 17 ans, se joint aux autres. Parler permet selon elle d’ouvrir un dialogue avec les garçons. « Dans ma vie, j’ai fait face au harcèlement, fréquemment. Ce groupe de parole et le mouvement #MeToo m’ont beaucoup aidée pour essayer de faire face et de parler. Le mouvement #MeToo nous permet d’engager un dialogue avec les garçons. De façon à ce qu’ils comprennent ce qu’on traverse. Comment ce qu’ils font, ce qu’ils disent nous affecte. C’est plus facile d’avoir ces discussions maintenant. Etre dans ce groupe de fille m’aide beaucoup aussi. » Portées par le mouvement #MeToo, les Fly girls du lycée McClymonds d’Oakland récitent fièrement leur serment d’entraide. Et espèrent continuer à éveiller les consciences masculines.

rfi