Sénégal : une longue marche vers l’histoire

Sénégal, une longue marche vers l’histoire

L’étymologie du nom Sénégal est controversée depuis plusieurs décennies, comme en atteste l’ouvrage récent du défunt professeur Saliou Kandji, Sénégal n’est pas Sunugal, ou De l’étymologie du toponyme Sénégal. En effet l’abbé David Boilat y voyait dans ses Esquisses sénégalaises une déformation de l’expression wolof suñu gaal, c’est-à-dire « notre pirogue ». Très populaire, cette version est en général relayée par les médias et favorisée par les autorités dans la mesure où elle met en avant la solidarité nationale. Mais cette théorie est aussi contestée car beaucoup pensent que le mot Sénégal vient de Sanhadja, du nom d’une tribu berbère du Sahara, thèse considérée comme la plus plausible.

Ce qu’il faut savoir, l’histoire du Sénégal avant l’accession du pays à son indépendance en 1960 – s’inscrit d’abord dans celle d’entités plus larges telles que, successivement, le Sahara, le Soudan, la Sénégambie ou l’Afrique-Occidentale française (AOF), avant d’être associée à l’époque contemporaine à celle des États voisins du Sahel africain. Le Sénégal d’autrefois englobait une plus grande entité de cultures et de peuplements. Mais c’est à partir des premières ères de notre siècle que commence à se former progressivement le Sénégal d’aujourd’hui avec plusieurs vagues migratoires, la dernière étant celle des Wolofs, des Peuls et des Sérères, descendants probables des Bafours et repoussés vers le sud par la dynastie berbère des Almoravides. Avant l’arrivée des premiers colons européens, l’histoire de la région sahélienne est surtout caractérisée par la consolidation des peuplements en vastes entités étatiques – l’empire du Ghana, l’empire du Mali et plus tard Gao – qui se démembreront progressivement. Alors que le noyau de ces grands empires se situe sur le territoire de l’actuelle République du Mali, le Sénégal d’aujourd’hui y occupe plutôt une position périphérique.

Le plus ancien de ces empires est celui du Ghana, probablement fondé au milieu du Ier millénaire par les Soninkés. Sa zone d’influence s’étend peu à peu aux régions comprises entre les deux vallées fluviales du Sénégal et du Niger.

Contemporain de l’empire du Ghana, mais bien moins étendu, le royaume du Tekrour est son vassal. Ghana et Tekrour sont les seuls ensembles organisés avant l’islamisation. Le territoire du Tekrour correspond approximativement à celui de l’actuel Fouta-Toro. Sa creation serait attribué à la dynastie des Dia Ogo (ou Dyago), venus du nord.

Les échanges commerciaux avec les Arabes sont nombreux. Le royaume importe de la laine, du cuivre ou des perles et exporte de l’or et des esclaves. En effet l’expansion d’un vaste empire arabo-musulman par les djihads n’est pas dénuée d’enjeux économiques et politiques et entraîne dans son sillage les premiers véritables flux de traite négrière. Cette traite dite « orientale » fournit l’Afrique du Nord et l’Afrique saharienne en main-d’œuvre servile. Le Tekrour est l’un des premiers États convertis à l’islam, très certainement avant 1040.

Deux autres grandes entités politiques se constituent et se développent au cours des XIIIe et XIVe siècles, l’empire du Mali et l’empire du Djolof qui deviendra le vassal du premier au moment de son apogée. Issu de l’invasion mandingue, le Mali ne cesse de s’étendre, englobant d’abord l’est du Sénégal, puis presque la totalité du territoire actuel. Fondé au XIIIe siècle par le chef wolof Ndiadiane Ndiaye, le Djolof élargit sa domination aux petites chefferies au sud du fleuve Sénégal (Waalo, Cayor, Baol, Sine-Saloum), réunissant tout l’espace sénégambien auquel il donne une unité sociale et religieuse : c’est le « Grand Djolof »qui s’effondrera vers 1550.

L´arrivée des Européens précipite l´autonomie des petits royaumes qui étaient sous l´emprise du Djolof. Moins dépendants du commerce transsaharien grâce aux nouvelles voies maritimes, ils se tournent plus volontiers vers les échanges avec le Nouveau Monde. Le déclin de ces royaumes s’explique notamment par les rivalités internes, puis par l’arrivée des Européens qui organisèrent les départs massifs de jeunes Africains vers le Nouveau Monde. Razzias, guerres, épidémies et famines accablent les populations, tandis que les puissants pratiquent le commerce des esclaves, en échange d’armes et de produits manufacturés. Sous l’influence de l’islam, ces royaumes se transforment et les marabouts y jouent un rôle croissant.

En Casamance, les Baïnounks, les Manjaques et les Diolas habitent la zone côtière tandis que la partie continentale – unifiée au xiiie siècle sous le nom de Gabou – est occupée par les Mandingues. Au XVe siècle, le roi de l’une des tribus, les Kassas, donne son nom à la région : Kassa-Mansa (le roi des Kassas), mais, jusqu’à l’intervention française, la Casamance reste une entité hétéroclite, affaiblie par les rivalités internes.

Sénégal : traite négrières et colonisation

C’est a partir  XIVe siècle que s’établissent  les premiers établissements français au Sénégal C’est bien à partir du milieu du XVe siècle que plusieurs nations européennes atteignent les côtes d’Afrique de l’Ouest, investies successivement ou simultanément par les Portugais, les Hollandais, les Anglais et les Français. Les Européens s’établissent d’abord le long des côtes, sur les îles, dans les embouchures des fleuves puis un peu plus en amont. Ils ouvrent des comptoirs et s’adonnent à la traite. Les échanges commerciaux et la traite négrière s’intensifient au xviie siècle avec, au Sénégal, l’entrée en scène des Français et des Anglais qui s’affrontent principalement autour de deux enjeux, l’île de Gorée et Saint-Louis. Le 10 février 1763 le traité de Paris met fin à la guerre de Sept Ans et réconcilie, après trois ans de négociations, la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne.

Les Européens étaient parfois déçus parce qu’ils espéraient trouver davantage d’or en Afrique de l’Ouest, mais lorsque le développement des plantations aux Amériques, principalement aux Caraïbes, au Brésil et dans le sud des États-Unis actuels, suscite d’importants besoins en main-d’œuvre bon marché, la région bénéficie soudain d’un surcroît d’attention. La papauté qui s’était quelquefois opposée à l’esclavage, ne le condamne plus explicitement à la fin du XVIIe siècle : de fait l’Église a elle-même des intérêts dans le système colonial. Le trafic de « bois d’ébène » constituent aussi un enjeu pour les guerriers qui traditionnellement réduisent les vaincus en esclavage, pour certains peuples spécialisés dans le commerce des esclaves – c’est le cas des Dyula en Afrique occidentale –, pour les États et les royaumes qui s’affrontent par ailleurs, ainsi que pour les négociants privés qui comptent bien s’enrichir dans le commerce triangulaire, même si certaines expéditions se soldent parfois par de véritables catastrophes financières. L’instabilité politico-militaire de la région est aggravée par les traites.

Le Code noir, édicté en 1685, règlemente la traite des esclaves dans les colonies américaines. Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865, pénètre lentement à l’intérieur du pays et jette les bases de la future Afrique-Occidentale française (AOF).

Dans une région où, après l’abolition de la traite négrière, l’agriculture est essentiellement vivrière (mil, sorgho, tubercules…), Faidherbe impose la culture de l’arachide. Il met fin à l’administration traditionnelle locale, crée des tribunaux indigènes et des écoles qui ne sont qu’un moyen d’exercer une menace sur les chefs locaux, telles que l’École des Otages, destinée aux fils de chefs et d’interprètes. Le 21 juillet 1857 le premier corps de tirailleurs sénégalais est créé par le gouverneur Faidherbe.

Conduites par le capitaine de vaisseau Protet, les troupes françaises prennent possession de la côte en 1857 et un petit fort y est construit, mais le chef de bataillon du génie Émile Pinet-Laprade qui élabore un premier plan cadastral en juin 1858 sera le véritable fondateur de Dakar. Les travaux du port de Dakar qui n’était à l’origine qu’un village de pêcheurs, commencent en 1862.La conférence de Berlin (1885).

La France obtient le contrôle de la plus grande partie de l’Afrique occidentale à la conférence de Berlin de 1884–1885, mais la Gambie est attribuée à la Grande-Bretagne.

À la fin du XIXe siècle tout le territoire de l’actuel Sénégal est tombé sous la domination française. En 1902, Dakar remplace Saint-Louis qui devient la capitale de l’Afrique-Occidentale française, l’une des colonies françaises.

Faidherbe se heurte néanmoins à une vive résistance, notamment à celle de Lat Dior, Damel du Cayor. D’abord animiste, mais converti à l’islam sous l’influence du marabout Maba Diakhou Bâ, Lat Dior mène une véritable guerre sainte contre le colonisateur. En 1865 le Cayor est annexé, ce qui permet de relier Dakar à Saint-Louis par le rail. Lat Dior comprend le risque que représente pour lui l’arrivée du chemin de fer et résiste farouchement, avant d’être tué en octobre 1886. C’est aujourd’hui un héros national.

Citoyen français car natif de Gorée, l’une des « quatre communes », Blaise Diagne est le premier député africain élu à l’Assemblée nationale française en 1914. Lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, il est nommé Commissaire de la République de l’ouest africain et chargé de la conscription des tirailleurs.

La Seconde Guerre mondiale contribue à une prise de conscience qui ouvre la voie à une autonomie progressive des colonies, puis aux indépendances. L’Empire colonial français cède d’abord la place à l’Union française en 1946 qui confère au Sénégal un statut de territoire d’outre-mer. Ces avancées sont pourtant jugées insuffisantes et la montée de l’anticolonialisme dans de nombreux pays aboutit au vote de la loi-cadre du 23 février 1956 qui permet au gouvernement de modifier le statut de ces territoires. Comme d’autres, le Sénégal conquiert une autonomie accrue, ainsi que le suffrage universel pour les hommes et les femmes.

Sénégal post indépendance

En 1958, après son retour dans l’arène politique à la suite du putsch d’Alger, le général de Gaulle propose un projet de constitution soumis à un référendum dans tous les États africains. Lors du référendum constitutionnel du 28 septembre 1958, 97,2 % des Sénégalais optent pour le statut d’État membre dans le cadre de la Communauté et le pays se dote d’une constitution proche du modèle français.

Soucieux de préserver l’unité régionale, la République soudanaise (actuel Mali) et le Sénégal fusionnent en avril 1959 pour former la Fédération du Mali, qui devient complètement indépendante le 20 juin 1960 et dont la capitale est Dakar. Cette indépendance est la conséquence des transferts de pouvoirs convenus dans l’accord signé en France le 4 avril 1960. Un déséquilibre économique et des rivalités personnelles provoquent le démembrement de la fédération le 20 août 1960. Le Sénégal et le Mali déclarent leur indépendance et entrent séparément à l’ONU le 28 septembre 1960.

Le Sénégal adopte un régime parlementaire. Mamadou Dia est le Président du Conseil. Léopold Sédar Senghor est lui président de la République.

Alors que le Président du Conseil, Mamadou Dia, incarne le sommet de l’État dans un système parlementaire bicéphale de type quatrième République (la politique économique et intérieure pour lui, la politique extérieure pour Senghor), ses relations avec le Président de la République s’enveniment peu à peu. Dia milite pour une rupture plus nette avec la France et prépare une sortie planifiée de l’économie arachidière. Cette volonté, exprimée déjà en 1961 dans un ouvrage, heurte les intérêts français et inquiète les puissants marabouts qui interviennent dans le marché de l’arachide et on profité de l’l’expansion importante de la culture de l’arachide dans les années 1940 et 1950.

Dans un discours sur « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme » prononcé le 8 décembre 1962 à Dakar, le Président du Conseil Mamadou Dia prône le « rejet révolutionnaire des anciennes structures » et une « mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». Cette déclaration, à caractère souverainiste, motive Senghor à demander à ses amis députés de déposer une motion de censure contre le gouvernement Mamadou Dia déclare irrecevable et tente d’empêcher son examen par l’Assemblée nationale au profit du Conseil national du parti, en faisant évacuer la chambre le 17 décembre et en faisant empêcher son accès par la gendarmerie. Malgré ce qui est qualifié de « tentative de coup d’État » et l’arrestation de quatre députés, la motion est votée dans l’après-midi au domicile du président de l’Assemblée nationale, Lamine Guèye.

Mamadou Dia est arrêté le lendemain par un détachement de paras-commandos, avec quatre autres ministres, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall. Ils sont traduit devant la Haute Cour de justice du Sénégal du 9 au 13 mai 1963 ; alors que le procureur général ne requiert aucune peine, ils sont condamnés à 20 ans d’emprisonnement au centre spécial de détention de Kédougou (Sénégal oriental).

Le 7 mars 1963 une nouvelle constitution est adoptée par référendum, instaurant un régime présidentiel qui attribue tous les pouvoirs au chef de l’État. Le Sénégal s’engage peu à peu dans la voie de l’économie mixte et joue un rôle significatif dans le domaine diplomatique.

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