‘’Zéro déchet’’, ‘’zéro bidonville’’ : deux objectifs titanesques qui feraient reculer plus d’un Hercule.

Il faut le dire, le répéter et le regretter profondément : notre président-politicien nous prend pour des moins que rien. Voilà qu’il se présente à nous, sans état d’âme, pour dénoncer ce qu’il appelle les tares qui plombent le développement de notre pays depuis 2012 ! Voilà qu’il prend de nouveaux engagements – encore lui – pour nous en débarrasser totalement. C’est ainsi qu’il s’engage à réaliser deux objectifs titanesques, qui feraient reculer le héros grec Hercule : ‘’Zéro déchets’’, ‘’zéro bidonvilles’’, tout en sachant qu’il va droit vers le mur de l’échec cuisant.

Ce qui étonne encore plus chez cet homme, c’est qu’il se comporte, quand il prêtait serment et s’adressait par la suite à nous à travers ses nombreux discours, comme s’il entamait un tout nouveau mandat. Il fait totalement table rase de sa magistrature de sept  longues années au cours desquelles, il ne s’est point soucié des maux qu’il dénonce aujourd’hui et s’engage à éradiquer.

‘’Zéro déchet’’, ‘’zéro bidonville’’ ! Nous l’aurions malgré tout pris au sérieux – et encore – si nous lui connaissions, pendant son premier long mandat, au moins quelques mesures (efficaces et appliquées) destinées à lutter contre les maux qu’il dénonce aujourd’hui. Il s’investissait plutôt, au grand jour, dans les stratégies qu’il mettait en œuvre pour assurer sa réélection, objet de tous ses rêves. Pendant tout ce temps, Dakar et les autres villes du Sénégal devenaient de plus en plus invivables. J’ai beaucoup écrit sur les questions importantes qui viennent d’attirer l’attention de nos gouvernants. Pour éviter de me répéter et que ce texte soit long, je renvoie le lecteur intéressé à quatre de mes contributions, choisies parmi de bien nombreuses autres. Ce sont celles-ci : 1) ‘’Lutte contre l’indiscipline et l’anarchie : aller plus loin encore’’, (‘’Sud quotidien’’ du 4 février 1999) ; 2)‘’Ministères de l’Environnement et autres autorités publiques, où êtes-vous ?’’, (‘’xalima.com’’, ‘’WalfQuotidien’’ et ‘’Dakar-Times’’ du 9 septembre 2014) ; 3) « Dakar, ‘’capitale de l’émergence’’, ville sale, désordonnée et bruyante », (‘’WalfQuotidien’’, ‘’ L’Exclusif’’, ‘’Dakar-Times’’ du 19 mars 2019) ; 4) « Dakar, ‘’capitale de l’émergence’’, ville sale, désordonnée et bruyante », (‘’Dakar-Times’’ et ‘’WalfQuotidien’’ du 28 mars 2019).

Des contributions traitant de ces questions-là, j’en ai beaucoup publié et ne crois pas être en mesure d’aller plus loin dans les idées que j’y ai déjà développées depuis de longues années. Je pense, par exemple, à celle du 9 septembre 2014 que m’avaient inspirée les propos d’un ambassadeur des USA qui quittait Dakar, ayant terminé son séjour. Je propose d’ailleurs aux lecteurs l’introduction pour lui permettre de mesurer le niveau de mon indignation d’alors :

« Le vendredi 30 mai 2014, Mr Lewis Lukens, ancien ambassadeur des USA à Dakar rencontrait la presse, au terme d’une mission de trois ans. Profitant de cette toute dernière opportunité, il exhortait le Gouvernement sénégalais à ‘’se focaliser’’ sur la question des ordures et des problèmes de l’Environnement en général, pour mieux tirer parti du potentiel touristique du pays. Précisant qu’il avait été déjà frappé par cette situation dès son arrivée au Sénégal, il s’interrogea en ces termes : ‘’Quand on voit les ordures, on se pose des questions. On se demande pourquoi c’est comme ça.’’ ». Et je précisais : « Je ne rappelle pas ces regrets de Mr Lukens parce qu’il représentait le pays le plus puissant du monde, mais bien parce qu’il a raison, et que ses regrets ne nous honorent point. Après 54 ans d’indépendance, nous peinons à débarrasser notre capitale nationale, ancienne capitale de l’Afrique occidentale française, des ordures et des eaux usées. »

Et je terminais ainsi mon introduction : « Son Excellence Lukens aurait dû d’ailleurs pointer aussi du doigt les gravats et les branchages qui sont une autre plaie de notre capitale. Une plaie qui, malheureusement, laisse totalement les autorités et les citoyens indifférents. Pourtant, les gravats en particulier enlaidissent terriblement la capitale nationale. Ils sont d’ailleurs pour beaucoup dans l’aggravation des inondations à Dakar et dans sa banlieue. »

Mon indignation citoyenne m’avait ainsi poussé, dans la même contribution, à interpeller les autorités sénégalaises en ces termes : « Ministère de l’Environnement, où êtes-vous ? Vous ne pouvez quand même pas laisser ce ‘’ poumon vert’’ de Dakar mourir petit à petit sous le poids des gravats que des délinquants irresponsables y déversent toutes les nuits, impunément ! Pour ce qui me concerne en tout cas, je suis prêt à accompagner des agents de ce ministère sur les lieux, pour qu’ils constatent eux-mêmes sur place les immenses dégâts. Je suis prêt à les y accompagner avec mon propre véhicule et à mes frais, s’il y a lieu. Ils pourraient s’accompagner, s’ils acceptent ma proposition, d’un journaliste muni d’une caméra, pour fixer les images hideuses, qui devraient indigner tous les passants. Si, au contraire, ils trouvent  ma proposition prétentieuse et saugrenue, je lance le même appel à toutes les télévisions de nos différents groupes de presse et aux organisations de la société civile qui se préoccupent de la dégradation continue de notre environnement ».

Je poursuivais : ‘’Poumon de Dakar’’, c’est ainsi qu’on appelait communément les ‘’Jardins de Cambérène’’, jadis un îlot abondamment vert, fleuri et qui faisaient partie des rares ‘’voies respiratoires’’ de Dakar. Ils étouffent aujourd’hui sous des tonnes de gravats, dans l’indifférence totale – j’insiste –   des services du Ministère de l’Environnement, du Maire de Golfe, du Préfet de Guédiawaye, etc. C’est, personnellement, le cœur gros que je passe tous les jours devant ce qui était l’hôtel-restaurant du ‘’Jardin’’, qui ne fonctionne pratiquement plus à cause de la dégradation avancée de l’environnement. Les gravats s’amoncellent chaque jour un peu plus et remplissent tous les espaces vides environnants. »

Je prenais alors l’engagement-ci, qui était très sincère : « Pour ce qui me concerne en tout cas, je suis prêt à accompagner des agents de ce ministère sur les lieux, pour qu’ils constatent eux-mêmes sur place les immenses dégâts. Je suis prêt à les y accompagner avec mon propre véhicule et à mes frais, s’il y a lieu. Ils pourraient s’accompagner, s’ils acceptent ma proposition, d’un journaliste muni d’une caméra, pour fixer les images hideuses, qui devraient indigner tous les passants » Je prenais le soin de préciser : « Je ne fais montre d’aucune prétention. Je ne fais pas non plus de cinéma. J’appelle seulement à une action citoyenne. Qu’on me mette à l’épreuve ! » Malheureusement, personne ne m’avait pris au sérieux et je n’avais enregistré, à l’époque, la moindre réaction.

Je pouvais proposer des extraits de mes contributions des 19 et 28 mars 2019. Comme elles sont ressentes, je remonte plus loin, beaucoup plus loin, pour montrer que l’intérêt que j’ai toujours eu pour ces questions qui semblent préoccuper nos autorités aujourd’hui, datent de plusieurs décennies.

Déjà, dans une contribution à la « Commission éthique et des valeurs » des Assises nationales du Sénégal intitulée « Propos sur nos comportements quotidiens », je rappelais la tragédie du ‘’Joola’’ en ces termes : «  La tragédie de la nuit du 26 septembre 2002 – pour revenir à elle  –, par-delà les centaines de morts qu’elle a entraînées et la douleur indicible qu’elle a engendrée, a été une honte pour notre pays et a porté un coup terrible à son image. Les images peu reluisantes du naufrage du  “ Joola” ont fait le tour du monde. Elles ont été relayées par de nombreuses télévisions étrangères et principalement françaises, commentées avec par moment des piques qui ne nous honorent point. Juan Gomes de RFI avait également consacré son émission “Appel à l’Actualité” des 1ers et 2 octobre 2002 au malheureux événement. Un ressortissant français intervenant de Dakar avait, par-delà le naufrage du “Joola’’, pointé un doigt accusateur sur l’indiscipline caractérisée des Sénégalais et principalement sur celle des conducteurs de cars rapides et de“Ndiaga Ndiaye” qui sont, selon lui, de véritables bourreaux sur les routes. Il avait terminé son intervention par cette terrible assertion : “Le Sénégal se complet de plus en plus dans la médiocrité et le laisser-aller”.  Une dame, résidant à Paris, ira dans le même sens en regrettant que son pays (le Sénégal), “s’installe de plus en plus dans la culture du laxisme ”.

Et je continuais, le cœur gros, en ces termes : « Les Européens dont des ressortissants ont péri dans la catastrophe du 26 septembre, réfléchiront désormais longuement et profondément, avant de se décider à venir au Sénégal qui se révèle de plus en plus comme le champion mondial incontesté de l’indiscipline et de l’incivisme.  Nous nous comportons chaque jour qui passe comme une communauté de singes et d’hyènes adolescentes (que les walaf appellent “ nduulañ ”), communauté sans responsable où chacun fait ce que bon lui  semble et selon son instinct du moment, sans se soucier le moins du monde du tort qu’il peut porter au pays ou à son voisin immédiat. Quarante-huit années après l’indépendance (ce n’était donc que ça ?), nous continuons de traîner comme un boulet, les maux que le Président Senghor appelait “Les maladies infantiles du sous-développement”, dont les plus courantes aujourd’hui sont l’indiscipline et l’incivisme. »

Depuis cette tragédie de la nuit du 26 septembre 2002, près de deux mille (2000) victimes gisent au fond de l’Océan atlantique. Il n’y a eu aucun responsable désigné, sauf le Commandant de bord qui a vraiment bon dos. Il est facile de l’accuser de tous les péchés d’Israël puisque, lui aussi, est au fond de l’Océan.

D’autres tragédies avec zéro responsable sont intervenues au Sénégal. On se souvient ainsi de la terrible catastrophe de la SONACOS intervenue le mardi 24 mars 1992, et qui avait fait environ 140 morts et des centaines de handicapés dont certains à vie. Les responsabilités étaient très lourdes et on pouvait les situer facilement. La citerne qui avait explosé à l’intérieur de l’usine, du laboratoire exactement, était bourrée de 27 tonnes d’ammoniac, pour une capacité de 22 tonnes autorisée. Elle était, en outre, rafistolée en de nombreux endroits. Devant la gravité des faits, une commission d’enquête avait été mise en place par les autorités, plus par simple formalité que par volonté réelle de situer les responsabilités. Comme cela arrive souvent dans notre pays, la commission fut sans lendemain puisque le rapport, déposé entre les mains du Premier ministre d’alors, n’a jamais été exploité et aucune sanction n’a été prise, surtout pas contre le Président-Directeur général de la SONACOS d’alors (Abdoulaye Diop). Rien d’étonnant dans cette absence de sanctions, puisque le Président Abdou Diouf et le PDG étaient très proches, ayant grandi dans la même concession à Louga.

Je n’ai jamais été indifférent à l’absence de sanctions chez nous. Je me félicitais ainsi le 31 décembre 1998 quand, dans son message à la Nation, le président Abdou Diouf appela vigoureusement – en apparence tout au moins –, à une lutte sans merci contre l’indiscipline et l’anarchie qui constituaient un frein au développement du pays. C’était dans ma contribution du 4 février 1999, publiée ce jour-là par ‘’Sud quotidien’’. Je saluais alors les effets positifs qui commençaient à se faire sentir au grand bonheur et soulagement des populations. J’encourageais et félicitais aussi les forces de sécurité mais souhaitais vivement que ce début fracassant ne fût pas que ponctuel, un simple effet d’annonce destiné seulement, comme on nous y a habitués au Sénégal, à frapper les esprits et à s’évanouir ensuite comme un feu de paille. Je demandais aux autorités d’aller bien plus loin. J’insistais surtout sur la nécessité de renforcer notablement les sanctions contre les délinquants et de les appliquer effectivement. Je me fis plus explicite dans ma contribution du 4 février 1999 et m’y exprimais avec force en ces termes : « Un automobiliste qui ‘’brûle’’ un feu rouge ou un ‘’stop’’, ou qui s’engage délibérément dans un sens interdit doit être sévèrement puni et quel que soit son statut. S’il le fait une première fois, il doit s’acquitter d’une amende très lourde. En cas de récidive, les services compétents suspendent son permis de conduire pour un nombre indéterminé de mois. Si, malgré ces sanctions, il ne s’amende pas et est toujours enclin à commettre les mêmes délits, on doit l’envoyer en prison et le soustraire définitivement de la circulation en suspendant à vie son permis de conduire. Ce n’est pas trop sévère si on considère le nombre de plus en grand d’accidents spectaculaires et meurtriers constatés sur nos routes et qui sont presque tous causés par des chauffards insouciants, irresponsables et irrespectueux  des dispositions du Code de la route. C’est une très lourde responsabilité que de permettre à ces délinquants de se retrouver derrière un volant (ils arrivent souvent à se tirer indemnes des accidents les plus graves) et de continuer à s’adonner impunément à leur jeu favori : le fauchage de la vie de paisibles citoyens. »

Pendant donc bientôt soixante  longues années, les autorités nous ont toujours laissés faire. Elles ont assisté passivement à la sédimentation de nos épaisses couches de tares. Autorités et citoyens, nous sommes tous responsables de cette situation. Les autorités, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, le sont encore plus. Elles n’ont jamais osé prendre leurs responsabilités devant l’indiscipline et l’incivismes caractérisés des citoyens. Elles les ont au contraire toujours ménagés pour des raisons proprement électoralistes. La perspective d’une réélection a toujours constitué pour nos gouvernants comme un gaz paralysant, devant la nécessité de sévir face à des comportements parfois inacceptables.

Voilà que, comme sorti du bois, le président-politicien, considérant que nous avions la mémoire courte, se fixe comme objectifs surprenants ‘’Zéro déchet’’ et ‘’Zéro bidonville’’. Cet engagement est encore la preuve formelle qu’il n’a aucun respect pour nous, qu’il nous prend pour des moins que rien, incapables de faire la part des choses. Je n’insiste pas sur la situation catastrophique de Dakar et celles de nombreuses autres villes du pays. Depuis plus d’une semaine, les télévisions nous montrent des images qui sont une honte pour notre Sénégal ‘’émergent’’. Les deux objectifs titanesques du président-politicien sont donc chimériques, et il le sait. Même avec un président de la République digne de la fonction et un gouvernement à son image, ces deux objectifs plus qu’herculéens ne sont pas réalisables avant plusieurs décennies. Ils ne le sont pas tout court. Qui peut me citer une seule ville dans le monde, fût-elle la plus propre, où on ne trouve aucun petit déchet ? En outre, les États-Unis d’Amérique sont la première puissance économique, financière et militaire du monde. Ils comptent parmi les banlieues les plus difficiles pour les populations qui les habitent. Comment le président-politicien peut-il débarrasser  la seule capitale (Dakar) de sa banlieue, en quatre ou huit ans ? Sait-on jamais avec cet éventuel troisième mandat sur lequel il ne crachera sûrement pas ?

Ho ! Je les entends, les tonitruantes ‘’cuillères’’ du président-politicien, me rétorquer qu’il a bien le droit de se fixer des objectifs. Oui, à condition que ce soit des objectifs réalistes. Or, ce n’est un secret pour personne : il s’adonne à son jeu favori : le cinéma, le show. S’il avait annoncé des objectifs réalistes, sincères, et qu’il se mît sérieusement et durablement au travail avec son gouvernement, je lui aurais sûrement apporté mon soutien, même s’il est très modeste, peut-être insignifiant. Malheureusement, avec tout le passif de ses sept longues années et ceux de ses deux prédécesseurs, on ne peut plus faire confiance à nos politiciens. Et, pour rafraîchir la mémoire du lecteur, je rappelle – il le faut toujours –  la fameuse révolte des marchands ambulants de Dakar. Le Président de la République d’alors, Abdoulaye Wade, avait donné publiquement des instructions fermes de les dégager des principales artères de la capitale nationale. Il avait affirmé que le gouvernement ne prendrait plus aucun arrêté, aucun décret, aucune loi pour cela, tous les textes existant et étant encore en vigueur. Il martelait surtout qu’il n’accepterait aucune intervention. Deux jours après, le Gouverneur de Dakar appliquait à la lettre les instructions du Président de la République et on connaît la suite, avec la violente révolte des marchands ambulants. Le vieux politicien devant l’Eternel ayant pris peur, se rétracta et désavoua publiquement le pauvre gouverneur. Il recevra ensuite une délégation des marchands ambulants et affectera le pauvre gouverneur à Kaolack et son préfet à Mbour. Les marchands ambulants triomphants envahirent de nouveau toutes les rues d’où ils avaient été dégagés.

Voilà notre drame : nous traînons deux plaies béantes, deux maladies jusqu’ici incurables, qui sont l’indiscipline et l’incivisme des Sénégalais d’une part, le laxisme notoire de nos gouvernants d’autre part, le tout se manifestant par une absence presque totale de sanctions. Dans notre pays, c’est le laisser-aller total et chacun fait ce que bon lui semble, sans frais. Je terminerai par ce constat, cette certitude, la mienne : jusqu’à preuve du contraire, je ne connais pas, des quatre coins du monde, un peuple aussi indiscipliné et aussi incivique que le nôtre. Ce qui n’a rien de surprenant avec, en  particulier, les trois derniers dirigeants que nous avons eus à la tête de notre pays. Des dirigeants dont la principale préoccupation a été (et est pour l’actuel) de rester le plus longtemps au pouvoir, et d’en profiter au maximum pour s’enrichir et enrichir leur clan, au sens large.