Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors, répond aux questions de RFI sur la réponse de l’Union Européenne à la crise ukrainienne et sur les négociations avec la Russie.
RFI : L’Europe resserre les rangs mais nous avons du mal à comprendre la stratégie européenne. Emmanuel Macron s’en va seul à Moscou et à Kiev. On ne sait pas très bien finalement sous quelle casquette. Le chancelier allemand se rendra dans les deux pays les semaine prochaine. Le couple franco-allemand agit-il de concert et surtout est-t-il est audible ?
Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut J. Delors : Il agit de concert, c’est l’évidence. Une division du travail s’opère entre les deux pays, cela a toujours été le cas depuis le début de la crise ukrainienne en 2014. Emmanuel Macron a la crédibilité militaire et la stature continentale ainsi que la volonté de laisser les canaux de dialogue ouverts avec Moscou tandis que l’Allemagne gère le dialogue avec les États-Unis et la fidélité à l’Otan. On voit que les initiatives qui ont été prises sont un succès. Les Européens sont enfin audibles dans cette discussion, qui pour le moment n’engageait que deux puissances extra-européennes : les États-Unis et la Russie.
Les Européens reprennent-ils la main face aux Américains ou y-a-t-il une réelle concertation avec Washington ?
Ils reprennent la main face aux Américains, qui les ont tenus « à bout de gaffe » pendant trois semaines de discussions bilatérales infructueuses avec Moscou. Il était temps, les États-Unis ne peuvent pas seuls maintenir l’architecture de sécurité en Europe, tout simplement parce qu’ils n’ont ni les mêmes finalités, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes contraintes que les Européens.
Les Européens ont la Russie pour colocataire, voisin de palier. Les États-Unis n’ont ni commerce, ni proximité géographique avec la Russie. Ils peuvent donc défendre sans grande difficulté des positions extrêmement dures. Les Européens doivent vivre avec la Russie, quand il s’agit des Polonais et des Baltes, à quelques centaines de kilomètres… Une position qui dénonce tous les matins un risque de guerre n’est pas vivable pour les Européens.
On est sur la fin d’une séquence diplomatique. Pour l’instant, aucune annonce concrète, pas d’engagements fermes… La Russie est-elle prête à faire des concessions, comme l’a dit Vladimir Poutine ?
Elle en a besoin. Elle n’a pas les moyens matériels, pas les moyens militaires et surement pas les ressources diplomatiques pour occuper l’Ukraine. Elle n’a pas besoin, d’ailleurs, d’occuper l’Ukraine, puisqu’elle a déjà atteint son but, qui est de décrédibiliser l’État ukrainien et de le rendre incapable de rejoindre quelque organisation internationale nouvelle, que ce soit l’Otan ou l’Union européenne.
Aujourd’hui, les Européens sont en train d’ouvrir un nouveau canal de discussion avec la Russie. Les pays exigeants – la Pologne, les Baltes, l’Allemagne – et les pays plus prompts et plus portés au dialogue, la France notamment, proposent à la Russie un moyen de déséscalader.
Ensuite, il faut que la Russie y voie son intérêt. Depuis plus de deux mois maintenant, elle tient les Européens en haleine. Il faut maintenant qu’elle trouve les gains de cette désescalade et je pense que c’est le début d’un processus qui va être assez long, qui a commencé avant-hier à Moscou.
L’Ukraine reste sur la réserve, voire même s’inquiète des concessions qu’on pourrait lui demander. Les Ukrainiens ne seraient-ils pas les grands perdants de ces négociations ?
Pour le moment, non. Le geste symbolique d’Emmanuel Macron d’aller directement de Moscou à Kiev le montre. Le courage des autorités ukrainiennes a été salué à plusieurs reprises. Il n’est donc pas question de transiger sur l’essentiel. Et si des concessions doivent être faites, elles le seront nécessairement dans le domaine de l’acceptable pour l’Ukraine. En aucun cas les Européennes ne peuvent se satisfaire d’une Ukraine dont la souveraineté est mutilée.