Les pays membres de l’Alliance atlantique se retrouvent à Bruxelles mercredi 11 et jeudi 12 juillet pour un sommet qui s’annonce tendu. Donald Trump a toujours montré une grande défiance vis-à-vis de l’Otan, qu’il qualifie de « fardeau ».
C’est son obsession. Donald Trump exige que ses alliés de l’Otan augmentent leurs dépenses militaires et y consacrent 2% de leur PIB d’ici 2024. C’était l’engagement pris par les membres de l’Alliance atlantique lors du sommet du Pays de Galles, en 2014. Depuis, même si chaque Etat a fait des efforts, ils ne sont que sept à remplir le contrat. La France doit atteindre cet objectif en 2025. « Donald Trump, et Barack Obama avant lui, avaient raison de rappeler cet engagement qu’il faut maintenant commencer à mettre en œuvre », consent Alexandra de Hoop Scheffer, politologue et directrice à Paris du German Marshall Fund of the United States (GMF). « Mais Trump le rappelle de manière particulièrement brutale ».
Fin juin, le président américain n’a pas hésité à envoyer des courriers comminatoires, des rappels à l’ordre lourds de menaces, à plusieurs pays de l’Union européenne. Parmi eux, Allemagne, ou encore la Belgique, hôte de ce sommet et lanterne rouge en matière de dépenses militaires. « Il s’agit, du point de vue des Américains, de partager le poids du fardeau. Les dépenses des Etats-Unis en matière de défense sont bien supérieures et atteignent entre 3 et 4% du PIB », note Boris Toucas, chercheur invité au Center for Strategic and International Studies (CSIS), à Washington
« Trump ne comprend que ce qu’il peut traduire en chiffres »
Donald Trump ne porte pas les organisations multilatérales dans son cœur. Toutes, ou presque, sont accusées de faire perdre de l’argent au contribuable américain, et l’Otan ne fait pas figure d’exception. « Pour lui, ces institutions ne valent que si elles rapportent directement et de façon matérielle aux Etats-Unis », analyse Robert Malley, président d’International Crisis Group (ICG) à Washington. « Donald Trump ne comprend pas ce qui relève de l’abstrait, des valeurs communes, ce qu’il ne peut pas traduire en chiffres. Très tôt, il a demandé à ses conseillers de lui expliquer ce que rapportait l’Otan aux Etats-Unis, car les dangers auxquels le monde occidental faisait face à l’époque de la création de l’Otan, en 1949, ne sont plus les mêmes ». Pour l’ancien conseiller de Barack Obama, le président américain « pose des questions légitimes, mais y apporte presque toujours les mauvaises réponses ».
Si l’on en croit Alexandra de Hoop Scheffer, l’Alliance atlantique sert pourtant encore largement les intérêts américains. « Les missions de l’OTAN ont été élargies au-delà des frontières de l’Alliance atlantique : en Afghanistan, en Irak, sur les questions migratoires. Cette transformation va plus dans le sens des intérêts américains que dans le sens de priorités européennes », estime la politologue, pour qui la vision de l’Otan s’est « trumpisée » aux Etats-Unis.
« Au sein du Congrès comme de l’administration américaine, il y a une sorte de déni de ce qu’offre l’Otan : l’accès sécurisé au marché européen, l’utilisation des bases militaires comme une plateforme de projection militaire sur d’autres terrains comme le Moyen-Orient, le partage du renseignement dans la lutte contre le terrorisme… Toutes ces questions sont pourtant fondamentales pour les intérêts des Etats-Unis ».
Pourquoi dépenser pour la sécurité des autres ?
Pour la première fois depuis la création de l’Alliance, il y a près de 70 ans, le soutien de Washington apparait conditionné. Donald Trump exige des contreparties commerciales en échange de la défense de l’Union européenne, qu’il estime assumer. Dans la balance : la vente d’équipements militaires américains – notamment des avions de combat –, mais aussi les droits de douane sur l’aluminium et l’acier américain. « Trump pense que plus les Européens vont être déstabilisés, s’inquiéter de la fiabilité de l’engagement américain sur les questions stratégiques et de défense, plus il va obtenir de leur part des concessions sur le plan commercial », poursuit Alexandra de Hoop Scheffer, du GMF. « Le problème c’est qu’en exerçant ce type de tactiques envers vos alliés les plus proches, vous fragilisez le socle de valeurs de l’Alliance atlantique et vous faites le jeu de dirigeants comme Vladimir Poutine ».
Ce n’est pas une coïncidence : le président américain doit justement rencontrer le dirigeant russe juste après, lundi 16 juillet à Helsinki. L’histoire se répète : lors du G7 organisé au Canada au mois de juin, Donald Trump s’était fermement opposé à ses alliés pour mieux sourire au dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, quelques jours plus tard à Singapour.
Le poids de la rencontre Trump-Poutine
Cette rencontre avec Vladimir Poutine va donc peser sur l’atmosphère du sommet de Bruxelles. « Il a, on le voit, beaucoup plus envie d’aller voir son homologue russe qu’il n’a envie de passer du temps avec ses alliés de l’Otan, croit savoir Robert Malley, de l’ICG. C’est là qu’il pense vraiment faire des deals. Il rêve de ce sommet depuis longtemps ».
Donald Trump a encore assuré mardi que cette rencontre avec Vladimir Poutine serait « plus facile » que le sommet de Bruxelles, ce qui constitue un nouveau camouflet pour ses alliés. En effet, rappelle Boris Toucas, du CSIS, Moscou a toujours cherché à affaiblir l’Otan : « La Russie sait bien que l’Otan fonctionne strictement au consensus et qu’en démobilisant certains Etats, en les faisant changer d’avis, elle grippe la dynamique. Donald Trump agit un peu de la même manière vis-à-vis de ses partenaires européens. L’ensemble de ces pressions, côté russe et côté américain, commence à mettre en danger la dynamique de consensus de l’Alliance ».
La crainte, confie un diplomate européen, c’est que Donald Trump donne des gages à Vladimir Poutine allant à l’encontre des intérêts européens, comme l’annulation de manœuvres militaires UE/Otan, ou une éventuelle déclaration sur le statut de la Crimée annexée par la Russie. Mardi, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a exhorté Washington à mieux considérer ses alliés. « Après tout, a-t-il lancé, vous n’en avez pas tant que ça ».