Quelques jours après la visite, annulée in extremis, de Serguei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, c’est le chancelier allemand Olaf Scholz qui est attendu ce vendredi 10 juin à Belgrade. Alors que la guerre fait rage depuis plus de trois mois en Ukraine, la Serbie va-t-elle finir par choisir son camp ? Mais en quoi consiste exactement la « neutralité » qu’elle proclame ?
Avec notre correspondant à Belgrade,
La Serbie a voté les résolutions des Nations unies qui condamnent explicitement l’invasion russe de l’Ukraine mais, dans le même temps, elle refuse toujours de s’aligner sur les sanctions européennes contre Moscou. Le pays, bombardé par l’Otan il y a 23 ans, durant la guerre du Kosovo, est aussi le seul de la région à exclure catégoriquement toute perspective d’adhésion à l’Alliance atlantique. Alors qu’elle est, par contre, candidate à l’intégration européenne et que l’Union est, de très loin, son principal partenaire économique, la Serbie demeure très dépendante du gaz russe.
La semaine dernière, le président Aleksandar Vucic s’est d’ailleurs entretenu au téléphone avec Vladimir Poutine, qui a garanti à la Serbie le maintien de livraisons gazières à prix avantageux. La relation entre les deux pays est aussi politique, car Belgrade compte toujours sur le soutien de Moscou au Conseil de sécurité des Nations unies pour bloquer la reconnaissance internationale du Kosovo, l’ancienne province, qui a proclamé son indépendance en 2008.
Les Serbes traumatisés pas les images de la guerre
Aujourd’hui, l’opinion publique reste en grande partie russophile. C’est le cas de l’extrême droite, qui a fait une percée électorale aux élections d’avril dernier, et l’on trouve aussi beaucoup de russophiles au sein des cercles dirigeants proches d’Aleksandar Vucic, mais en réalité, l’opinion est assez divisée. Les images de la guerre ont profondément traumatisé les Serbes et même l’influente Eglise orthodoxe est loin d’apporter un soutien sans condition à Moscou.
Quelques rassemblements pro-russes ont eu lieu, mais chaque samedi, ce sont les opposants à la guerre qui défile dans les rues de Belgrade. On y retrouve les militants antinationalistes de toujours, une partie de l’opposition, notamment les écologistes de la coalition Moramo, mais aussi beaucoup de ressortissants russes, biélorusses et ukrainiens, qui ont trouvé refuge à Belgrade. En effet, la Serbie a maintenu ses liaisons aériennes avec Moscou et elle est l’un des seuls pays d’Europe où les Russes peuvent se rendre sans visa. La capitale serbe sert donc de hub pour de nombreux opposants démocrates russes qui fuient le régime de Vladimir Poutine.
Revirement progressif
La position officielle de la Serbie peut-elle évoluer ? Nul doute que le chancelier Scholz va profiter de son voyage pour faire passer de pressants messages incitant la Serbie à se rallier aux positions européennes. Selon un rapport confidentiel destiné au Service d’action extérieure de l’Union, qui a fuité il y a trois jours, Aleksandar Vucic serait en train de préparer un progressif revirement. Dans cette manœuvre, il pourrait compter sur le soutien de l’Eglise orthodoxe serbe et voudrait aussi obtenir le ralliement de l’opposition libérale. Cependant, la Serbie ne va certainement pas se hâter, et Aleksandar Vucic compte même sur la virulence de l’extrême droite pro-russe pour justifier auprès des Européens son extrême prudence. En réalité, Belgrade voudrait bien continuer à jouer sur les deux tableaux aussi longtemps que possible et n’accorde qu’un crédit très limité aux promesses européennes.