C’est l’un des fléaux africains qui fait le plus de ravages sur le continent. Chaque année, selon les données l’OMS, 627 000 personnes meurent du paludisme en Afrique, majoritairement des enfants âgés de moins de cinq ans. Un chiffre trois fois supérieur au nombre de victimes de la Covid-19 sur le continent. Face à ce désastre sanitaire, recherche publique et mobilisation privée s’unissent pour apporter des solutions viables, alors que l’espoir d’un vaccin efficace et de traitements médicamenteux émergent de plus en plus.
Une année compliquée pour le paludisme en Afrique
Selon l’ONG Target Malaria, une nette augmentation des cas -et des décès- imputés au paludisme a été constatée en Afrique subsaharienne, qui supporte respectivement 95 % des cas et 96 % des décès du paludisme dans le monde. Selon les experts, une conjonction de facteurs délétères en est la cause et, en premier lieu, une résistance croissante des populations aux médicaments antipaludiques et des moustiques aux insecticides, mais aussi le développement d’espèces vectrices envahissantes dans la corne de l’Afrique. Une augmentation des vecteurs de risque qui se conjugue à la pression constante sur un système de santé déjà sous pression et durablement désorganisé par l’épidémie de coronavirus. « (La pandémie) a eu un effet très négatif » affirme Olivia Ngou, directrice de l’ONG Impact santé Afrique, qui précise que « certaines interventions comme les campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide, l’un des outils les plus efficaces pour éviter la transmission entre le moustique et l’homme, n’ont pas pu avoir lieu ». Une catastrophe aux graves conséquences socio-économiques. La Ligue contre le paludisme explique ainsi qu’une famille touchée par le paludisme perdrait environ 40 % de sa production agricole, tandis que l’OMS souligne que, sans ce fléau, le PIB africain serait supérieur de plus de 30 % à son niveau actuel.
De sérieux espoirs vaccinaux et médicamenteux
Un premier espoir se dessine depuis juillet dernier avec le lancement officiel de la première campagne de vaccination en Afrique et le déploiement du tout premier vaccin antipaludique, le RTS,S/ASO1, financièrement soutenu par le GAVI, l’Alliance du vaccin. Lancé en phase pilote depuis 2019, il a d’ores et déjà permis de protéger plus d’un million d’enfants du paludisme au Ghana, Kenya et Malawi, pays particulièrement à risque. « Ce nouvel outil, qui vient s’ajouter aux interventions existantes, va nous permettre de sauver encore plus de vies dans les pays les plus durement touchés par cette maladie meurtrière » a souligné le Dr Seth Berkley, directeur exécutif de GAVI, bien que de premières difficultés structurelles apparaissent. Une étude de marché mondiale, commandée par l’OMS, a ainsi d’ores et déjà conclu que la production mondiale serait largement insuffisante pour couvrir les besoins des 25 millions d’enfants qui, chaque année, naissent dans les régions les plus exposées. En tout et pour tout, la demande mondiale est estimée entre 80 et 100 millions de doses par an. Face à cet enjeu, les autorités de santé publique africaines espèrent qu’un second vaccin pourra passer les essais cliniques dans les prochaines années.
D’autant que le problème du paludisme a tout l’air d’une course contre la montre, le réchauffement climatique étendant largement les zones de développement des moustiques vecteurs de la maladie. « Il a été démontré que l’augmentation de la température d’un degré se répercutait sur le niveau de propagation du paludisme », explique Corine Karema, la directrice générale par intérim du Partenariat RBM, au magazine français La Tribune.
Autre vecteur d’espoirs, l’intérêt de certains traitements médicamenteux se confirme aussi. Une équipe de scientifiques a récemment repositionné dans la lutte antipaludique une molécule destinée originellement au traitement du glioblastome, un cancer très agressif du cerveau. Ce nouveau médicament récemment rendu public dans The Conversation, nommé l’altiratinib, devra encore faire l’objet d’études complémentaires avant une éventuelle diffusion plus massive mais semble d’ores et déjà devoir être un candidat intéressant pour renforcer l’arsenal thérapeutique contre le paludisme. Une urgence, alors même que l’épidémie avance et que son coût humain, social et économique se fait chaque jour de plus en plus lourd pour l’Afrique subsaharienne.
Gouvernements, entreprises et société civile en ordre de marche
Dans le domaine de la recherche, les acteurs publics et privés fourbissent ainsi leurs armes. Le groupe EcoBank, en partenariat avec Speak Up Afrique, a lancé en 2020 l’initiative « Zéro Palu ! les entreprises s’engagent » pour créer des synergies avec les acteurs privés et « cultiver un réseau de champions de la lutte contre le paludisme », tout en développant des programmes de prévention au sein des entreprises. Un processus logique, selon Carl Manlan, directeur des opérations de la Fondation Ecobank, qui affirme que « le coût économique du paludisme est bien documenté. Cette initiative veut se traduire en une opportunité pour les chefs d’entreprise et leur permettre d’agir maintenant afin que nous vivions demain sans moustiques nuisibles ».
En République démocratique du Congo (RDC), qui représente plus de 13 % des décès palustres du monde, juste après le Nigéria (31,9 %), l’opérateur minier TFM, filiale de la société chinoise CMOC, a soutenu en interne de nombreuses recherches menées par Léonard Ngwej Mutshid, responsable du service Vector Control de l’entreprise, pour tester les meilleurs insecticides de pulvérisation. Le directeur du VectorControl de CMOC a d’ailleurs, après sept années de recherche, obtenu un doctorat au sein de l’Université de Lubumbashi pour ses travaux prometteurs en faveur de la lutte contre le paludisme. Les études menées par la CMOC s’inscrivent dans les approches conseillées par l’OMS, « qui recommande recourir au contrôle des populations de vecteurs, afin de réduire le nombre de moustiques, et donc de diminuer la probabilité de piqûre ».
Les gouvernements ne sont pas en reste pour accélérer la lutte antipaludique. Muhammadu Buhari, chef de l’État nigérian, a lancé il y’a un mois à Abudja une initiative pour en finir avec le paludisme d’ici la fin de la décennie avec, comme objectif à court-terme, une baisse de 10 % de la prévalence de la maladie dans les quatre prochaines années. Les sociétés civiles pressent aussi les gouvernements à augmenter les financements dédiés à la lutte contre le paludisme, comme à Madagascar, ou un panel d’organisations a appelé il y’a quelques mois le gouvernement malgache à faire grimper les dépenses de santé de 7 à 15 % du PIB, conformément aux objectifs de la déclaration d’Abuja. En juin dernier, le Sommet de Kigali sur le paludisme et les maladies tropicales négligées, qui s’est tenu en marge de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth, a tenté de lever des fonds pour abonder le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui aspire à être doté de 18 milliards de dollars pour sauver « 20 millions de vies ».