Bolsonaro reclus, Lula à la manœuvre pour construire son futur gouvernement

Bolsonaro reclus, Lula à la manœuvre pour construire son futur gouvernement

Depuis sa défaite à l’élection présidentielle du 30 octobre et sa courte allocution, Jair Bolsonaro garde le silence. Après une semaine de repos dans le Nordeste du Brésil, Lula s’est lui engagé dans la « transition », un dispositif constitutionnel qui lui donne un droit de regard sur la gestion des affaires courantes jusqu’à sa prise de fonction le 1er janvier. Il met également en place sa future équipe gouvernementale et prépare les premières mesures de son mandat. Récit.

Un peu plus de deux semaines après l’élection de Luiz Inacio Lula da Silva à un troisième mandat à la tête du Brésil, le géant latino-américain est revenu à une vie un peu plus normale… et bien moins politisée. Pendant trois mois, la campagne électorale a maintenu le pays dans un état de tension permanent. Au grand soulagement de beaucoup, malgré la courte défaite de Jair Bolsonaro, le chaos ne s’est pas installé et une équipe de transition s’est mise en place à Brasilia.

Ce scénario d’une transition ordonnée et pacifique entre les deux rivaux de la présidentielle semblait pourtant loin d’être acquis. En effet, Jair Bolsonaro avait répété à de multiples reprises depuis un an que, s’il ne remportait pas l’élection, ce serait en raison de « fraudes massives » et cette menace de coup de force s’est matérialisée pendant quelques jours.

Au lendemain de la victoire de Lula, sur le score très étroit de 50,9 %, de nombreux partisans du président sortant, les camionneurs à leur tête, organisent immédiatement des blocus routiers réclamant une intervention de l’armée pour suspendre le processus électoral.

Mardi 1er novembre, après 48 heures d’un silence inquiétant, Jair Bolsonaro prend enfin la parole devant la presse, au palais présidentiel da Alvorada à Brasilia. Pendant deux minutes, le président sortant, visiblement tendu, lit un texte dans lequel il affirme « comprendre » les manifestants et juge leur colère « légitime ». Sans reconnaître sa défaite, il affirme cependant son « respect de la Constitution » et demande la levée des blocus.

« Acabou » (c’est fini)
Après cette déclaration, l’ex-militaire rencontre les membres de la Cour suprême, ceux-là même qu’il n’a cessé de menacer tout au long de son mandat. À l’issue de cette réunion, l’un des magistrats déclare à la presse que Jair Bolsonaro avait dit : « C’est fini ». « En ordonnant le début de la transition, il a reconnu le résultat final de l’élection », ajoute-t-il. De son côté, Alexandre de Moraes, le président du Tribunal supérieur électoral (TSE), qui s’est opposé à Jair Bolsonaro tout au long de son mandat, prévient que les « actions antidémocratiques » de « ceux qui n’acceptent pas le résultat de l’élection seront traitées comme des actes criminels ».

Alors que le trafic routier reste paralysé dans une large partie du pays, le président sortant reçoit, jeudi 3 novembre, Geraldo Alckmin, le vice-président élu de Lula. Jair Bolsonaro indique à son interlocuteur qu’il s’engage à favoriser une transition harmonieuse, sans pour autant prendre la parole ni publier de communiqué.

Vendredi 4 novembre, la plupart des barrages routiers sont levés, les partisans de Jair Bolsonaro ayant visiblement pris acte que le « Mythe » (« Mito », le surnom de Bolsonaro pour ses partisans) a renoncé à encourager une insurrection populaire pour faire sortir les militaires de leurs casernes et empêcher l’intronisation de Lula le 1er janvier 2023.

Dessin de Marz, publié dans le quotidien Folha de Sao Paulo illustrant le lâchage des manifestants pro-Bolsonaro par l’armée, publié le 12 novembre 2022.
Dessin de Marz, publié dans le quotidien Folha de Sao Paulo illustrant le lâchage des manifestants pro-Bolsonaro par l’armée, publié le 12 novembre 2022. © DR

La transition, un laboratoire du futur gouvernement
Depuis, le centre de gravité du pouvoir au Brésil s’est déplacé du palais présidentiel vers le Centre culturel de la banque du Brésil, à Brasilia, où s’est installée une équipe réunissant des proches du président sortant et des représentants de la vaste coalition emmenée par Lula. Cette équipe peut compter jusqu’à 50 personnes, avoir accès aux comptes publics et préparer les premiers décrets qui seront promulgués par le nouveau président après son investiture.

« Cette équipe de transition réunit des membres de l’actuelle et de la future administration. Son fonctionnement est régi par une loi. Elle met en avant les personnalités qui peuvent devenir ministre ou dont l’influence sera prépondérante dans le futur gouvernement », explique Mauricio Savarese, journaliste brésilien de l’Associated Press à Sao Paulo.

C’est le vice-président élu Geraldo Alckmin, 70 ans, issu du centre droit et proche des milieux d’affaires, qui dirige cette équipe. « Lula a fait de lui son chef de gouvernement provisoire. Lui se positionne déjà en chef d’État et s’occupe déjà de relations internationales en se rendant par exemple à la COP27 à Charm el-Cheikh ces jours-ci », ajoute le journaliste auteur d’un ouvrage consacré à la destitution de Dilma Rousseff en 2016.

« Geraldo Alckmin est un ancien adversaire de Lula et un vestige de la droite traditionnelle qui a presque disparue au profit du bolsonarisme. Il joue un rôle essentiel dans la transition et dans la formation du nouveau gouvernement », confirme au micro de RFI l’historienne spécialiste du Brésil contemporain Armelle Enders.

On y retrouve aussi Simone Tebet, arrivée troisième au premier tour de la présidentielle, qui représente, elle aussi, ce même courant de la droite libérale et conservatrice qui ne s’est pas ralliée à Bolsonaro et s’est engagé derrière Lula pendant la campagne électorale.

Du côté du Parti des travailleurs (PT), cofondé par Lula à la fin des années 1970, deux caciques y ont fait leur entrée : sa présidente, Gleisi Hoffmann, et l’ancien ministre Aloizio Mercadante. Chaque jour, les quotidiens brésiliens analysent la composition de cette équipe de transition et jaugent la cote de différentes personnalités pour entrer dans le futur gouvernement.

« Le gouvernement de transition se met en place, dans un sens le plus œcuménique possible. Lula met en avant le front démocratique qui lui a permis de remporter l’élection. Le gouvernement qui s’annonce ne sera pas un gouvernement du Parti des travailleurs comme ce fut le cas entre 2003 et 2016 », analyse Armelle Enders.

À titre d’exemple, l’écologiste Marina Silva, qui s’est rangée derrière Lula trois semaines avant le 1er tour, est pressentie pour retrouver le portefeuille de l’Environnement, sans pour autant intégrer (pour l’instant) l’équipe de transition. L’ex-footballeur du PSG Rai ou le leader du mouvement des mal-logés Guilherme Boulos ont quant à eux récemment intégré l’équipe encore en construction.

La bataille du budget
Mercredi 9 novembre, après une pause médiatique passée sous le soleil de Bahia, Lula est de retour dans l’arène et se rend à Brasilia, là où tout se négocie. Il y rencontre l’influent président de la Chambre des députés et ex-allié de Jair Bolsonaro, Arthur Lira, et le président du Sénat, Rodrigo Pacheco. Priorité des discussions : trouver un moyen d’obtenir une importante rallonge budgétaire pour financer ses promesses électorales à partir du 1er janvier, date de son entrée en fonction.

S’exprimant devant les membres de l’équipe de transition, Lula fond en larmes en rappelant que lutter contre la faim est le combat de sa vie et qu’il entend s’y attaquer dès le premier jour de son mandat.