Le nouveau Procureur de la Cour d’appel de Dakar, Ibrahima Bakhoum, a pris fonction ce mercredi. Il a enfilé sa nouvelle toge sous la supervision de l’inspecteur général de l’administration de la Justice (Igaj), Cheikh Tidiane Lam, qui en a profité pour témoigner de la probité morale du nouveau patron du parquet général.
Ibrahima Bakhoum est désormais le Procureur général de la Cour d’appel de Dakar. Il a été installé dans ses nouvelles fonctions ce mercredi, sous la supervision de Cheikh Tidiane Lam, Inspecteur général de l’administration de la Justice (Igaj). Parlant du remplaçant d’Ousmane Diagne, le patron de l’Igaj dira que le magistrat Bakhoum a «l’ancienneté, le grade et l’expérience» pour gérer le poste.
Selon nombre de ses proches, ce qui est sûr et certain c’est que Ibrahima Bakhoum restera le même et sera uniquement au service de la loi, tel que le recommande le statut des magistrats. «Qu’il gère un dossier qui concerne des tenants du pouvoir ou de l’opposition, il aura strictement le même comportement. Il sera au service de la loi quoique cela puisse lui coûter», témoigne un magistrat qui l’a longuement côtoyé.
Ses prérogatives, il les tire de la loi. En effet, suivant les dispositions du Code de procédure pénale, le Procureur général est chargé de veiller à̀ l’application de la loi pénale dans toute l’étendue du ressort de la Cour d’appel. A cette fin, il lui est adressé tous les mois, par chaque Procureur de la République, un état des affaires de son ressort. Le Procureur général a, dans l’exercice de ses fonctions, le droit de requérir directement la force publique.
Le Procureur général a autorité́ sur tous les représentants au ministère public du ressort de la Cour d’appel. A l’égard de ces magistrats, il peut dénoncer les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, les enjoindre d’engager ou de faire engager les poursuites.
Tous les officiers et agents de la police judiciaire sont placés sous sa surveillance. Il peut les charger de recueillir tous renseignements qu’il estime utiles à une bonne administration de la justice.
Un parquetier chevronné
La carrière d’Ibrahima Bakhoum a démarré en 1995, à sa sortie de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), scindée aujourd’hui en École nationale d’administration (Ena) et Centre de formation judiciaire (Cfj).
Parquetier redoutable et éloquent, il a fait montre d’une indépendance durant toute sa carrière. Il a servi avec la même rigueur professionnelle partout où il a été amené à servir.
Il a piloté de grands dossiers comme l’affaire du détournement de 2 milliards de FCfa par des Inspecteurs du Trésor.
Bakhoum a commencé sa carrière au Tribunal du travail de Dakar en 1995. Après deux mois dans cette juridiction, suite à sa demande d’intégrer le «pôle» judiciaire, il est affecté à Tambacounda comme juge d’instruction. Il marque ce passage avec l’inculpation de personnes proches de Kukoï Samba Sanya, qui avaient tenté de commettre un coup d’État en Gambie. Des inculpés qui ont été par la suite jugés par la Cour d’assises de Kaolack en 2001.
Après la région orientale, il est affecté à Diourbel comme Président du Tribunal avec compétence sur Bambey. Son passage par la suite à Mbour comme Procureur de la République lui ouvre les portes de Dakar où il sera promu, sous les ordres de Lassana Diaby, alors procureur de la République, premier Substitut du Procureur. Dans la capitale, il sera mis sous les projecteurs, car ayant trouvé beaucoup d’affaires d’État en maturation, notamment avec les audits des établissements publics déclenchés par le régime de Wade et la traduction devant la justice d’anciens dignitaires du Parti socialiste.
Sa parfaite maîtrise du Droit, sa rigueur professionnelle reconnue par ses pairs et son indépendance finiront, paradoxalement, par le desservir. Un épisode viendra noircir sa brillante carrière, si éloquemment entamée.
L’affaire Abdoul Aziz Tall ou la descente aux enfers
En 2005, après 11 mois de détention provisoire, Abdoul Aziz Tall, ancien Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase), est traduit devant le tribunal correctionnel de Dakar. L’ancien dignitaire socialiste était poursuivi pour abus de biens sociaux. Ibrahima Bakhoum, alors premier substitut du procureur de la République de Dakar, prend son courage en main et démonte l’accusation. Il expliquera devant le tribunal, présidé à l’époque par Mahawa Sémou Diouf, qu’Abdou Aziz Tall ne peut être poursuivi pour abus de biens sociaux. A la limite, on aurait dû l’incriminer pour détournement de deniers publics. Et même cette dernière infraction n’est pas constituée. Si faute il y a, avait-il souligné, ce n’est qu’une faute de gestion passible de la chambre de discipline financière. Il avait, par conséquent, requis la relaxe pure et simple. Le tribunal l’avait suivi dans ses réquisitions. Ibrahima Bakhoum venait de dire le Droit. Ce que le régime de Wade ne lui a jamais pardonné. Il récoltera une demande d’explication de sa hiérarchie. Une mesure illégale car l’adage dit «la plume est serve et la parole est libre». Autrement dit, un magistrat du Parquet a toute sa liberté de penser quand il prend ses réquisitions orales. Pis, son ministre de tutelle de l’époque était entré en conflit ouvert avec lui en le faisant affecter à la Cour d’appel de Ziguinchor qui n’était pas encore mise en place.
Plus tard, son nom est cité dans la célèbre affaire de corruption dans la magistrature, et dans une autre histoire d’usure. Malgré le fait que l’Inspection générale de l’administration de la Justice (Igaj), après une investigation poussée, l’avait complètement blanchi, Ibrahima Bakhoum est, contre toute attente, sanctionné et mis au frigo. Mais, comme il était quitte avec sa conscience, il est resté droit dans ses bottes. A l’époque, la loi ne permettait pas à un magistrat de former un recours suite à une sanction disciplinaire.
Saisine du Cnlcc
Toutefois, pour laver son honneur, il avait, via son pool d’avocats coordonné par l’un des conseils actuels d’Ousmane Sonko, Ciré Clédor Ly, saisi la Commission de lutte pour la transparence, contre la corruption et la concussion (Cnlcc). Dans la lettre adressée à cette entité créée par Me Abdoulaye Wade et remplacé plus tard par l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), il dénonçait les sanctions qui lui ont été infligées injustement.
«Monsieur le président, Messieurs et Mesdames les membres de la commission, vous constaterez que ces sanctions sont prises en l’absence de toute implication du sieur Ibrahima Bakhoum des faits de corruption ou d’usure, ce qui avait été d’ailleurs relevé par l’Igaj et le rapporteur du Conseil de discipline. Pourtant, une campagne de presse savamment menée avait confondu le sieur Bakhoum et les mis en cause dans ces actes graves, ce qui eut pour conséquence, de porter gravement atteinte à sa dignité, à son honneur, sa crédibilité et à sa considération. Dans le but de rétablir la vérité, situer les responsabilités et éclairer l’opinion sur ce scandale, le requérant a jugé opportun de vous saisir afin que la transparence et la lumière jaillissent, pour restaurer son honneur et sa dignité, surtout que le traitement princier de faveur qui lui avait été fait, qui est celui de passer au crible tous ses comptes bancaires depuis 2000, et de lui demander par ailleurs de justifier chaque centime, n’a été appliqué à aucun magistrat», écrivait-il sous la plume de son avocat Me Ciré Clédor Ly.
La Commission de lutte pour la transparence, contre la corruption et la concussion, ajoutait-il, dispose d’un pouvoir d’investigation. C’est pourquoi, faisait remarquer Ibrahima Bakhoum, il l’a saisi formellement pour «permettre d’établir la vérité des faits, l’intéressement ou la participation du sieur Ibrahima Bakhoum à ces cas graves de corruption et d’usure qui resteront gravés dans la mémoire collective des citoyens Sénégalais et du monde entier».
«La dignité qui sied aux fonctions de magistrat ne peut souffrir d’aucun doute, car pour le magistrat, le doute est intolérable», concluait Ibrahima Bakhoum.
Après investigation, la Cnlcc n’avait retenu aucun fait de corruption le concernant et avait recommandé à la justice de permettre aux magistrats sanctionnés d’avoir un droit de recours pour éviter qu’on ne les lèse.
Ce n’est que bien plus tard qu’Ibrahima Bakhoum reviendra dans les bonnes grâces de sa hiérarchie en rejoignant le ministère de la Justice où il va occuper les fonctions de Directeur des affaires criminelles et des grâces et Conseiller technique en charge des affaires pénales et de la coopération pénale internationale.
En 2013, il regagne le parquet comme Substitut général au Parquet général de Dakar avant être promu Avocat général près la Cour d’Appel de Dakar. Depuis hier, il est officiellement Procureur général de la Cour d’appel de Dakar.
Le témoignage de Cheikh Tidiane Lam, patron de l’Igaj
Lors de son installation, Cheikh Tidiane Lam a tenu à dire que même s’il est assujetti à l’obligation de réserve, il peut témoigner que toutes les informations distillées à l’encontre d’Ibrahima Bakhoum ne sont pas conformes à la vérité.
«J’étais inspecteur à l’Igaj au moment des faits reprochés à Ibrahima Bakhoum. Et je puis témoigner que l’Inspection générale de l’administration de la Justice ne l’a jamais épinglé pour des affaires liées à la Corruption ou à l’usure. Le rapport de l’Igaj n’avait retenu aucune faute disciplinaire le concernant. Mieux, au moment où cette affaire éclatait, Bakhoum n’était plus en fonction au parquet de Dakar», témoigne l’actuel inspecteur général de l’administration de la Justice.
Sur les soubassements qui avaient conduit à la sanction d’Ibrahima Bakhoum malgré son innocence, Lam dit ne pas pouvoir s’épancher sur la question. «Les acteurs sont là et ils ont la liberté de vous dire les tenants et les aboutissants de cette affaire, mais retenez que rien n’avait été trouvé qui puisse faire douter de la probité morale de Bakhoum», dit-il.
Justement, l’un des acteurs est Me Ciré Clédor Ly, avocat d’Ousmane Sonko, ancien défenseur du magistrat Ibrahima Bakhoum.
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