Monsieur le Premier ministre, Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement. Madame la Secrétaire générale. Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Ambassadrices. Mesdames et Messieurs, chers amis.
Mes premiers mots seront pour vous, Monsieur le Premier ministre, pour vous remercier de nous accueillir durant ces journées à Erevan, pour vous féliciter aussi de la parfaite organisation de ce sommet qui intervient à un moment majeur de l’histoire de votre pays.
Vous savez quelle place votre pays occupe dans le cœur des Français. À Paris, Marseille Lyon, ou ailleurs, prononcer le nom Arménie, c’est faire vibrer une corde de la sensibilité nationale.
Car l’Arménie n’est pas seulement le nom d’une grande culture, d’une civilisation qui s’enracine dans la profondeur des siècles, le nom d’une des grandes tragédies de l’histoire qui interpelle l’ensemble de l’humanité. Ce sont aussi pour mes compatriotes des visages. Ceux de ces Arméniens Français, ouvriers ou artistes, militants ou entrepreneurs, sportifs, résistants, commerçants ou médecins, qui, par leurs talents et leur énergie, ont contribué à bâtir notre pays, qui aiment avec une passion sans limite la France qui leur a ouvert les bras, comme ils aiment leur patrie d’origine d’un amour éternel.
Et l’Arménie, pour la France et toute la Francophonie, c’était aussi une voix, une voix qui vient de s’éteindre et qui plonge nos pays dans la tristesse et le deuil. La voix d’un géant de la chanson, d’un comédien de génie qui disait mieux que toutes les autres nos tourments, notre bonheur, la douleur du temps qui passe, l’insouciance de la jeunesse. Qui chantait notre légèreté avec cette mélancolie qui accompagnait l’exil et célébrait notre manière si singulière d’être au monde.
Ce chanteur, qui représentait la culture francophone partout sur la planète, nous le savions tous, était Arménien.
Il défendait votre pays et sa mémoire. Il avait su créer pour lui un élan de solidarité lorsqu’il fut frappé par un meurtrier tremblement de terre. Il nous avait appris à admirer, à aimer votre peuple singulier, courageux, indépendant. A lui rendre justice en reconnaissant pleinement l’effroyable génocide dont il a été victime.
Pendant longtemps encore, et c’est la marque du génie d’un homme, nos pays se regarderont à travers ce trésor commun à nos peuples qu’était Charles AZNAVOUR.
Monsieur le Premier ministre, Madame la Secrétaire générale,
Aujourd’hui, c’est une famille qui se réunit à Erevan. Une famille aux dimensions de la planète, présente sur les cinq continents, en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique, en Océanie.
Une famille d’une telle diversité qu’elle est un défi à l’imagination. Nous tous, nous toutes qui lui appartenons, nous n’avons pas la même couleur de peau. Nos dieux n’ont pas toujours le même nom, et certains d’entre nous ne croient pas au ciel. Les climats sous lesquels nous vivons sont si dissemblables que les uns ne connaissent qu’un long été et les autres de rudes hivers enneigés. Nos chants ne se ressemblent pas, même s’ils s’accordent souvent à l’unisson.
Nos récits ne puisent pas aux mêmes sources, même s’ils coulent souvent dans la même direction.
Entre nous, il y a eu de nombreuses blessures qui commencent à peine à cicatriser grâce au travail de mémoire. Les langues que nous entendons depuis notre enfance, et jusque dans les rues de nos métropoles, sont innombrables, comme sont différentes les conditions d’existence de nos populations.
Mais cette famille si bigarrée, si chatoyante, si vibrante, diverse, coruscante, est une famille unie.
Unie avant toute chose par une langue, cette langue que chacun d’entre nous, avec nos accents, nos tournures, nos particularités, nous faisons vivre de manière plurielle, mais dans laquelle nous nous comprenons intimement. Cette langue qui n’appartient à aucun d’entre nous, mais qui est la propriété de tous, qui s’est émancipée de son lien avec la nation française pour accueillir tous les imaginaires, ceux de SENGHOR et d’IONESCO, de Milan KUNDERA et d’Alain MABANCKOU, de Charles AZNAVOUR et de Youssou N’DOUR, de MODIANO comme d’Amin MAALOUF.
Unie, notre famille l’est, non pas seulement par cette langue, constamment transformée, mais aussi par une certaine vision du monde. Cette vision que notre langue commune, à travers nos échanges incessants, a contribué à façonner. Cette vision que chaque jour elle réinvente, parce que notre communauté linguistique, comme d’autres communautés linguistiques, est un être vivant qui s’enrichit sans cesse de nouveaux sens, de nouvelles constructions, de nouvelles expériences.
Unie, notre famille l’est enfin par ses idéaux, ses espoirs, ses aspirations les plus profondes. Ses aspirations à la fraternité, la paix, la liberté, la dignité humaine, la justice, qui sont le socle même de notre communauté.
Mesdames et Messieurs,
Ce Sommet aujourd’hui prend un tour tout particulier.
Vous avez évoqué, Messieurs les Présidents, Monsieur le Premier ministre, le cours que prend le monde, partout autour de nous. Nous voyons les grandes transformations à l’œuvre, et nous voyons notre ordre international bousculé.
Bousculé par les mensonges et une espèce de falsification insidieuse de toute forme de vérité.
Bousculé par les discours de haine qui montent dans toutes les régions du monde. Bousculé par la fracturation de l’ordre international dans lequel, ces dernières décennies, nous avons avancé et que nous prenions pour établi. Bousculé par le recul, la remise en cause dans tous les continents des libertés fondamentales que nous avons toujours défendues, des combats pour la dignité humaine, de l’égalité femmes/hommes et de l’ensemble des valeurs qui sont les nôtres. Bousculé, parce que le multilatéralisme et le respect qui l’accompagne sont remis en cause à peu près partout.
Notre principal risque aujourd’hui, c’est de se résigner. Se résigner activement en contribuant à cette évolution. Se résigner tacitement, en pensant que ce ne sont que des péripéties, accepter au fond d’être des somnambules.
Alors la francophonie dans tout ça, que vient-elle faire ? Non pas simplement dire des mots, même si les mots portent les combats les plus essentiels. Je crois que ce que nous devons en faire, car elle est constamment à réinventer, c’est un lieu ouvert et infini, constamment à réinventer, un lieu du ressaisissement.
Dans toutes les langues, nous acceptons les pires atrocités ou les reculs les plus inacceptables. Dans toutes les langues aujourd’hui, nous acceptons la remise en cause de l’indépendance de la justice, les pires violations des droits des femmes, les pires reculs de l’ordre international qui a été peu à peu construit par nos prédécesseurs.
La Francophonie doit être ce lieu du ressaisissement collectif contemporain, ce lieu où dans une langue qui en a conjugué tant d’autres, qui est forte de tant d’autres langues, et qui, sur tous les continents, s’est installée ainsi, est la langue qui ne va pas répéter des mots devenus parfois creux, mais qui sera, comme elle l’a toujours été, la langue du refus de la situation établie, la langue d’une ambition commune, la langue d’une conquête ou d’une reconquête, parce que c’est cela, avant toute chose, la Francophonie, et c’est cela ce qui nous unit.
Il y a 84 nations dans la Francophonie qui est la nôtre, du Nord au Sud, à travers toutes les mers. Et entre ces 84 nations, il n’y a pas une nation ou quelques-unes qui viendraient dicter des principes d’en haut. On l’a parfois fait, on l’a peut-être trop souvent fait. Il n’y a pas une nation qui aurait vocation à dire la vérité de nos principes, en particulier de la démocratie. Et en disant cela je me regarde au premier chef, car c’est souvent la France à qui cela a été reproché.
Et c’est si vrai que celles et ceux qui ont pensé et fait la Francophonie, ce sont ces premiers grands dirigeants africains dont l’ambition était de reconquérir, réinventer cet espace de langue et de valeurs, en disant : mais c’est le nôtre ! Et son avenir est là, chez vous. Mais nous allons en porter notre part, nous allons porter cette exigence ; c’est ça la magnifique force et vitalité de Francophonie.
C’est une conversion du regard et du langage, ça n’est pas une leçon donnée par les uns à d’autres. C’est tout l’inverse. C’est la reconquête d’une langue, des valeurs premières par quelques-uns qui se sont dit : mais, cette langue et ces valeurs vivent encore plus fortement chez nous. Alors, je vous le dis avec la plus grande humilité, moi, qui aujourd’hui suis dans un continent qui vit tant et tant de reculs, qui vit la remontée des passions tristes et des haines, personne n’a de leçon à donner à qui que ce soit.
Mais nous avons tous et toutes une exigence contemporaine à porter, une ambition à porter. Celle dont nous héritons, celle que nos pères fondateurs ont voulu pour nous, celle d’une langue qui ne veut rien abdiquer, au contraire, et qui se réinvente à chaque instant.
Celle de la jeunesse, car c’est la force de la Francophonie. Celle d’une exigence de valeurs, de valeurs démocratiques. Non des valeurs que nous l’on traîne avec habitude, avec des mots qu’on ne dit que dans les Sommets et auxquelles nos peuples ne croiraient plus. Non, notre exigence démocratique est vitale, vibrante, parce que ces valeurs, elles ont été portées dans la rue, d’abord, par des hommes et des femmes de tous nos pays. Parce qu’elles ont souvent pour origine des révolutions, révolution pour l’indépendance ou pour la démocratie.
Alors, c’est à l’aune de cela qu’il nous faut regarder aujourd’hui notre Francophonie. Notre sommet aujourd’hui ne peut pas être un sommet comme les autres quand nous voyons le cours du monde. Ce n’est pas possible, et on ne peut pas donner le sentiment que nous égrènerions des mots convenus parce qu’on les a toujours dits. D’abord parce que, je le disais, c’est ce que nous devons à nos grands aînés, la Francophonie aura bientôt 50 ans, et je veux ici rendre hommage aux anciens secrétaires généraux de notre organisation, messieurs Boutros BOUTROS-GHALI et Abdou DIOUF, et bien sûr, avoir une pensée pour le président SENGHOR et toutes celles et ceux qui ont accompagné cette magnifique aventure.
Leur action, leur vision, leur engagement encore aujourd’hui, pour celles et ceux qui sont là, nous inspirent et nous accompagnent. Et à la veille de notre cinquantenaire, dès aujourd’hui, et ce, d’ici au sommet de Tunis, notre ambition, notre exigence devra être, au regard de cette histoire, de réinventer notre Francophonie.
Ma première conviction, ma conviction profonde, c’est que la Francophonie doit reconquérir la jeunesse, doit redevenir un projet d’avenir plein et entier. Oui, notre organisation doit s’adresser d’abord à la jeunesse. On nous a parfois reprochés d’être trop institutionnels. C’est souvent injuste, mais pas toujours infondé. Notre organisation doit renouer avec nos populations, s’adresser à elles, faire la preuve auprès d’elles de ce qu’elle apporte. La population de l’espace francophone est jeune, ne l’oublions pas, lui proposer un avenir par l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi, l’engagement dans la cité, la culture, c’est notre défi principal. Le premier combat de la Francophonie dans les années à venir, c’est la jeunesse, et tout particulièrement la jeunesse en Afrique.
Le continent africain est en train de se réinventer. D’aucuns voudraient l’installer dans les imaginaires d’hier, dans les querelles d’hier, dans les fractures d’hier. Mais ce continent est aujourd’hui l’un des plus jeunes au monde. Cette jeunesse est une chance extraordinaire. Et la Francophonie a pour elle un combat à livrer, le combat pour déployer notre langue, nos langues, qui est aussi le combat de nos valeurs partout en Afrique, celui que portent courageusement les chefs d’Etat et de gouvernement qui sont ici, assis à nos côtés. Le combat contre l’obscurantisme, le combat contre les mariages forcés, le combat contre l’oppression imposée aux femmes, le combat contre le recul de l’éducation, en particulier des jeunes filles, le combat pour nos valeurs et cette ambition.
C’est la Francophonie qui le mènera dans tous ces espaces et à vos côtés. Et je veux qu’ensemble, nous puissions en faire un symbole d’avenir, de reconquête. La Francophonie doit permettre aux jeunes francophones d’être mieux scolarisés, de bénéficier des meilleures bibliothèques, des nouvelles technologies, de faciliter l’accès aux meilleures universités et permettre aux jeunes chercheurs de publier dans les meilleures revues, et bien évidemment, combat premier, d’aller à l’école pour tous les jeunes enfants, et en particulier les jeunes filles.
La France sera à vos côtés dans cette famille de la Francophonie, et vous le savez, j’ai profondément réengagé la politique de développement française dans cette direction, et c’est un combat pour nous tous que nous menons, contre l’obscurantisme et pour ce destin commun.
Mesdames et Messieurs,
La Francophonie, ensuite, doit se redonner un mandat fort en faveur de notre langue et du plurilinguisme. La langue française et sa diffusion sont au centre de notre organisation. Et quand je dis la langue française, je parle de nos langues françaises dont l’épicentre, je l’ai souvent dit, n’est ni à droite ni à gauche de la Seine, mais sans doute dans le bassin du fleuve Congo, ou quelque part dans la région.
Notre premier devoir est de changer d’échelle dans le soutien à l’apprentissage de la langue, à la transformation de la langue et à l’ambition que nous devons porter.
La Francophonie comptera plus de 700 millions de locuteurs au milieu de ce siècle. Et si nous savons ensemble nous y prendre ce sera bien davantage. C’est à cette condition que la Francophonie sera une force dans la mondialisation et il faut utiliser tous les outils pour cela.
Notre organisation doit aussi se préoccuper de la place du français hors du monde francophone, elle doit faire campagne à l’Unesco notamment, en faveur de l’enseignement obligatoire de deux langues étrangères. Cela profitera au français qui est la deuxième langue la plus enseignée après l’anglais dans le monde et naturellement au plurilinguisme. Mais ce que nous devons bâtir ensemble à cet égard, c’est bien un agenda de conquête ou de reconquête pour la Francophonie.
Notre langue n’est pas installée pour toute éternité à travers le continent et compte tenu de l’enjeu que je viens d’évoquer, de cet enjeu éducatif, fondamental, il nous faut aujourd’hui œuvrer pour que nous puissions faire davantage encore pour la promotion du français. D’abord en faire, encore davantage, la langue des échanges. L’OIF doit ainsi promouvoir le français avec encore plus d’efficacité dans les espaces de référence de la vie internationale où se forge le statut de langue mondiale, dans les institutions de gouvernance politique, à l’ONU, au sein des organisations régionales comme l’Union européenne et l’Union africaine. On doit pouvoir échanger, négocier, proposer des initiatives dans notre langue, en faire une langue encore plus forte, du commerce, des affaires, de la diplomatie.
Ensuite, ce qui nous caractérise, c’est que nous sommes une langue, nous sommes la langue de la création et sujet, à ce sujet, laissez-moi vous dire que c’est un combat qui est sans doute l’un des plus importants du siècle qui s’ouvre. Nous échangeons dans les sommets internationaux, pour beaucoup d’entre nous, souvent en anglais ; l’anglais s’est imposé comme quelques autres langues selon les régions, comme une langue d’échange très forte. Mais l’anglais est devenu une langue d’usage, je dirais de consommation. Notre langue, le français l’est tout autant, mais, c’est aussi une langue de création.
Nous sommes l’espace géographique de valeurs, d’imaginaires où l’auteur, le créateur est la chose la plus importante ; l’espace dans lequel, lorsque l’on échange quelque chose, un contenu, une idée, on n’échange pas un bien comme les autres, mais ce que quelqu’un à un moment a créé, a imaginé, a écrit ou dit. Le mot d’autorité dans notre langue renvoie à cela. L’autorité vient de l’auteur, de celui qui a créé. Il n’y a rien de plus beau, de plus fort que de créer et d’imposer un mot, un poème, une idée, une réalité.
Ce qui nous réunit c’est que dans nos pays des gens sont morts pour des mots ou des idées. Il n’y a rien de plus fort. Alors se battre pour que notre langue soit plus forte aujourd’hui, c’est se battre pour que l’auteur soit plus fort. Et c’est se battre pour que dans cet espace nouveau qu’est Internet, la Francophonie soit présente. Je veux rendre hommage à ce titre au combat que nos amis Canadiens et Québécois mènent sur ce sujet ; ils ont beaucoup d’idées. Bravo et nous allons vous suivre, vous accompagner.
Je souhaite en particulier que l’on examine l’ambitieux projet canadien de bâtir, à partir de TV5 Monde, une plate-forme numérique francophone. Nous devons nous battre pour défendre notre langue sur Internet, nous devons nous battre pour défendre partout le droit d’auteur sur Internet et dans les modes de communication contemporains qui sont les nôtres. Parce que c’est simplement se battre pour celles et ceux qui créent ces idées, qui luttent pour les défendre, qui parfois sont tombés pour elles.
La Francophonie pourrait ainsi s’emparer de ce combat essentiel qui est celui des auteurs et du parcours entre les langues.
A ce titre je plaide pour que nous puissions organiser un congrès des écrivains de langue française, sur le modèle de ce que font nos amis hispanophones. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cela n’a jamais été fait en 50 ans. Ce congrès devrait réunir les grands écrivains, les grands éditeurs, tous ceux dont le métier est la langue, dans tout l’espace francophone. Il devrait remettre les auteurs au centre, prendre acte du changement de statut du français, qui n’est plus simplement la langue de la France, et du rôle majeur de tous les continents dans la création littéraire. Notre ministre de la Culture y est particulièrement attachée, elle qui a dédié sa vie à l’édition, littéraire. Ma représentante personnelle pour la francophonie Leïla SLIMANI a eu cette volonté, cette idée et mènera à vos côtés ce beau projet.
Le combat pour les auteurs, pour les idées est le plus beau qui soit. Investissons-le, ne faisons pas des langues simplement des espaces d’usage comme on dit, de consommation. Ce sont des espaces de création, de réinvention. Et c’est pourquoi aussi je crois que ce combat fondamental pour notre langue, c’est un combat pour le plurilinguisme. Se battre pour la Francophonie, ça n’est pas se battre pour rétrécir dans notre langue et nos amis qui sont là, en particulier Africains, le savent parfaitement, eux qui vivent dans le plurilinguisme. C’est reconnaître la part d’échange, de traduction qu’il y a dans et par le français.
La Francophonie pourrait ainsi s’emparer du débat sur le français, « langue monde » et soutenir des initiatives comme le Dictionnaire des francophones, que nous devrions pouvoir conduire et porter ensemble. Et je souhaite que nous puissions multiplier les initiatives ensemble. La France a commencé et nous avons mis des financements en place pour multiplier les dictionnaires entre les différentes langues de l’espace francophone et le français. Il n’y a pas de dictionnaire aujourd’hui entre le wolof et le français. Allons-y, développons-le, ; ces langues sont des langues d’échange et c’est vrai de tant et tant d’autres langues, du Pacifique, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud comme de l’Amérique du Nord.
Je serais également heureux que la Francophonie accompagne l’initiative que j’ai prise de rénover le château de Villers-Cotterêts. Nous sommes ici à Erevan et je vous parle d’une ville qui m’est chère, qui est au cœur de la région de France où je suis né ; ce lieu est un lieu auquel nous devons toutes et tous beaucoup et je vais vous expliquer pourquoi. Pour au moins deux raisons. D’abord, c’est le lieu où a été signée l’ordonnance de François 1er qui a décidé que le Français parmi beaucoup d’autres langues serait la langue utilisée pour les actes officiels, les textes administratifs en France. Cette ordonnance a ainsi créé les conditions qui ont fait du français la langue officielle. La deuxième raison, c’est que c’est la ville où est né Alexandre DUMAS, l’écrivain qui a fait rêver dans tous les continents.
Eh bien dans ce lieu, où ce texte si important a été pris, dans ce château de Villers-Cotterêts, je veux que nous puissions faire un des lieux de la Francophonie, un espace de découverte des cultures francophones dans leur pluralité, un lieu où tous les francophones du monde pourront investir notre imaginaire commun, venir étudier, créer, transformer. Parce que nous sommes un espace du plurilinguisme, parce que nous sommes un espace de compréhension commune.
Enfin, et c’est le point sur lequel je voulais terminer mon propos, la Francophonie est en quelque sorte ce lieu ouvert, universel, ce lieu d’excellence où nous pouvons réinventer le combat pour les bien commun universels et la réinventer le multilatéralisme. Pour ces deux raisons que je viens d’évoquer, parce que le français est devenu une langue monde et parce que le français est une langue de traduction et d’échange. Le français n’existe pas si on le réduit à un continent ; le Français n’existe pas s’il refuse la traduction. Il n’est pas une langue qui écrase les autres, c’est une langue qui se nourrit des autres, qui n’existe que dans un espace de traduction. C’est une langue qui ne peut vivre, progresser, se développer que si on comprend qu’elle est un espace de compréhension commune, respectueux du monde, loin de toute hégémonie, le lieu d’une réinvention permanente, d’un humanisme repensant des équilibres nouveaux. Ça doit être cela la Francophonie, une langue de l’universel, de la traduction, des auteurs, de l’échange.
Et c’est pourquoi la Francophonie a le devoir aujourd’hui de défendre les biens communs universel. Au premier chef, l’environnement. Faisons ensemble de ce combat un combat commun. Il n’y a dans cette salle que des pays qui se battent, quelles que soient les résistances salle, pour l’environnement, contre le réchauffement climatique. Œuvrons ensemble pour un pacte mondial pour l’environnement. Œuvrons ensemble pour de nouvelles avancées afin de ne rien céder au scepticisme qui s’installe.
Un autre enjeu, parmi nos biens communs, est constitué par les droits de l’Homme. En particulier par la protection contre les crimes les plus graves. Là aussi, œuvrons ensemble pour bousculer les règles de nos organisations parfois devenues obsolètes. Ensemble défendons le fait que le droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU doit être encadré ; interdisons son utilisation lorsque des crimes de masse sont perpétrés. Nous ne pouvons plus accepter que certaines puissances bloquent la condamnation par la communauté internationale de certaines situations insupportables. C’est à la Francophonie de porter ces combats, afin d’en finir avec la paralysie, l’irresponsabilité, le cynisme.
La Francophonie doit être cet espace qui se bat pour le droit des femmes et je veux ici saluer le travail qui a été réalisé par Michaëlle JEAN, à laquelle je rends hommage, qui s’est fortement mobilisée dans ce combat.
La Francophonie doit être féministe et vous avez eu raison, Madame la secrétaire générale, de ne rien céder sur ce sujet. La Francophonie doit être féministe, l’avenir de l’Afrique sera féministe, tout comme en Europe et ailleurs ; et je veux ici souligner le courage du président ESSEBSI. Alors que nous vivons la montée des obscurantismes, la montée de celles et ceux qui voudraient enfermer tout un continent dans une lecture déformée d’une religion, il s’est dressé et avec courage a pris encore ces dernières semaines des textes fondamentaux pour le droit des femmes, le droit à être libre, le droit dans le mariage, le droit dans l’héritage. Alors que tous les autres avaient peur, alors que les obscurantistes disaient de ne pas faire, le président ESSEBSI l’a fait et nous devons le soutenir dans ce combat. Et nous serons là, Président !
Ne cédez rien, ne cédez rien dans ce combat, vous venez d’un pays où l’indépendance a été faite par un grand président qui a apporté l’éducation aux filles comme aux garçons. Vous venez d’un pays qui a été un exemple dans la Francophonie et dans la conquête de l’Afrique. Vous venez d’un pays qui nous a rendus fiers, qui nous rend fier.
Ce combat pour les femmes, nous le continuerons. Je demanderai ainsi au Conseil consultatif sur l’égalité des sexes, créé par nos amis canadiens dans le cadre du G7, de le poursuivre dans cette enceinte, sous présidence française.
Voilà quelques-uns des combats et des solidarités que nous devons développer les uns pour les autres, ensemble. Pour cela, la Francophonie ne doit pas être un club convenu, un espace fatigué. Cela doit être le lieu d’une reconquête, d’un combat en profondeur et d’une solidarité qui nous lie. Je crois à notre identité commune. Je le disais, elle est faite de blessures, parfois de divisions mais, il y a plus grand qui nous lie, cette ambition pour le monde et cette langue.
Et c’est pourquoi je souscris également à la proposition de mieux partager les bonnes pratiques en matière de politique publique dans tous les domaines, au sein de l’espace francophone. C’est vrai que notre communauté est riche d’une diversité sans pareil mais, nous devons mieux en tirer parti, nous inspirer les uns des autres. Le Rwanda par exemple est un modèle de parité politique, l’Arménie a une expérience très intéressante en matière d’éducation numérique, qu’elle exporte en France. Nous avons chacun, les uns les autres, des expériences à partager pour progresser ensemble.
Mesdames, Messieurs,
Pour mener tous ces combats, je souhaite que nous nous donnions pour objectif de réviser la charte de la Francophonie. Un travail collectif de réflexions et de propositions pourrait être lancé par la direction de l’OIF et par la présidence arménienne pour ainsi adapter notre pacte social aux nouveaux enjeux du XXIème siècle. En nous posant ou reposant des questions importantes. Quel est le bon périmètre de la Francophonie ? Faut-il se contenter pour entrer dans notre famille francophone de prendre quelques engagements en matière de langue française ou de respect des droits de l’homme ou faut-il se prévaloir d’accomplissements, de réalisations concrètes ? Ne devrions-nous pas être plus exigeants avec nous-mêmes et chercher à consolider notre communauté ? Ne devrions-nous pas également revenir sur la rigidité de nos stratégies, de nos programmations qui sont adoptées pour 4 ans, voire 8 ans ? Ne pourrions-nous pas trouver, comme le propose le député KRABAL, des moyens de donner une plus grande visibilité, une plus grande influence à nos parlements, à nos sociétés civiles ?
Ce ne sont là que quelques pistes, mais je crois que collectivement nous gagnerions à mener ce combat.
Mes chers amis, il y a 15 jours, nous étions avec Charles AZNAVOUR à Paris. Il allait partir pour un concert à Tokyo et il parlait de la joie, de l’excitation je dirais même, qui était la sienne de pouvoir être aujourd’hui à Erevan. Ce rendez-vous était important pour lui. D’abord ce devait être un nouveau rendez-vous avec sa chère Arménie, avec ce peuple arménien dont il restera à jamais le messager, le défenseur, le héros. Et puis ce devait être un rendez-vous avec notre langue française. Charles AZNAVOUR a en quelque sorte une vie qui dit tout de cette aventure collective qui est la nôtre. Cet enfant d’immigrés était sans héritages, sans relations, avait fait peu d’études. Sa première langue était l’arménien, sa deuxième, le géorgien. Il n’y a pas un Français qui ne le cite pas comme l’un des plus grands poètes contemporains. C’est ça la Francophonie, c’est ça le français. Ça ne se donne pas en héritage et pour toujours, ça s’apprend, ça se traduit, mais d’abord et avant toute chose, ça se conquiert par envie. CAMUS disait mon pays, c’est la langue française. Notre pays, c’est la langue française. C’est un pays qui n’a pas forcément de contour ; c’est un lieu infini, mais fait d’exigences, de combats, de morsures. C’est un pays où on est fier d’un mot, c’est un pays où on défend des idées, c’est un pays qu’on acquiert de haute lutte. C’était ça l’histoire de Charles AZNAVOUR, c’est ça la nôtre.
Voilà mes chers amis, les quelques convictions que je voulais partager avec vous. Nous avons tant en commun et tant à faire. Nous n’avons aucune leçon à nous donner mais que des combats à mener ensemble. La Francophonie, ça n’est pas un espace d’assis, ce n’est pas un lieu de femmes et d’hommes fatigués, ça n’est pas un lieu convenu, c’est une terre d’inventions, de conquêtes. C’est une terre de femmes et d’hommes qui sont toujours les immigrés des autres, toujours les refusés des autres, c’est la langue de tous les asiles parce que c’est la langue de tous les combats. C’est le lieu de toutes les dignités, c’est notre langue et c’est donc aujourd’hui notre responsabilité.
Vive la Francophonie, je vous remercie.