La rencontre tenue à Rosso Béthio les 16 et 17 février 2018 avec les acteurs et producteurs de la vallée du fleuve Sénégal a permis de faire le point sur les dynamiques foncières actuelles dans cette zone. En effet, le développement de l’agriculture de la zone étudiée met au premier plan les problèmes concernant l’appropriation de l’exploitation des terres qui sont pour une grande proportion, irrigables. Ainsi, le développement hydro agricole de cette localité, en raison des investissements considérables consentis par l’Etat pour la construction des deux barrages et des aménagements réalisées par la SAED, représente un capital national important dont la constitution a nécessité des arbitrages au niveau de l’allocation des ressources publiques.
C’est dans ce contexte, que l’équipe des experts de l’IPAR s’est déplacée pour constater avec l’ensemble acteurs et membres de l’Assescaw que le foncier c’est-à-dire le droit sur la terre, n’est qu’une des composantes d’un système complexe combinant à la fois l’organisation technique et sociale de la production et des ressources nationales que sont les barrages, la motopompe et les aménagements etc.
Les activités économiques sont dominées par l’agriculture : riziculture, maraîchage et culture de décrue dans la partie contigüe au fleuve appelée « Walo » où la grande disponibilité en eau offre la mise en valeur d’un domaine irrigable considérable et la culture pluviale dans la partie méridionale exondée appelée « Diéri », l’élevage extensif pratiqué principalement dans le « Diéri » et la pêche pratiquée de façon artisanale.
La construction des barrages de Diama et Manantali a réduit les surfaces consacrées aux cultures pluviales au bénéfice de l’agriculture irriguée (culture du riz et du maïs).
Les superficies aménagées sont réparties pour le département de Dagana 86 199 (67,3%), pour le département de Podor 25 841 ha (20,2%), pour le département de Matam 11 833 ha (9,2%) et le pour département de Bakel 4 179 (3,3%).
Le barrage de Diama a comme effet principal d’empêcher les eaux salées provenant de l’Océan Atlantique de remonter le courant du Fleuve Sénégal. Le développement de la riziculture ou d’autres cultures irriguées a généré des problèmes de dégradation chimique des eaux qui viennent s’ajouter à ceux que la zone a longtemps connus comme l’érosion éolienne, hydrique, la salinisation et l’alcalinisation des sols.
Les principales contraintes et menaces de cette zone constituent une pluviométrie faible et irrégulière, une salinisation et alcalinisation des sols lourds, un mauvais drainage, un envahissement du fleuve par les plantes aquatiques et une contamination chimique potentielle de l’eau souterraine.
L’élevage constitue une activité très importante au niveau de la zone. Il est pratiqué par l’ensemble des ethnies présentes dans la zone et partout au niveau du territoire de la Commune. Toutes les formes d’élevage sont pratiquées dans la zone, à savoir, l’élevage des petits ruminants, l’élevage des bovins, l’aviculture. La proximité du fleuve Sénégal et de ses défluents favorise la pratique de la pêche continentale pendant toute l’année au niveau des cours d’eau (défluents) et des canaux des aménagements hydro-agricoles.
La rencontre de Rosso Béthio a permis de ressortir les problèmes importants suivants :
La question des exploitations familiales et leur financement : L’analyse des interventions avec les acteurs présents à l’atelier de Rosso Béthio montre qu’au-delà du foncier, la problématique de l’accès au financement est devenue une contrainte importante en matière de sécurisation. Pour l’essentiel, les acteurs jugent les modalités de financement inadaptées. De leur point de vue, le chevauchement des campagnes de production agricole (hivernage, saison sèche froide, saison sèche chaude) exige un mode de financement annuel qui seul permet de surmonter les contraintes actuelles de remboursement.
L’application ineffective des PAOS : Beaucoup d’attentes à travers les Plans d’Occupation et d’Affectation des Sols (POAS) qui sont des outils techniques pour clarifier la situation foncière, renforcer la complémentarité entre l’agriculture et les autres activités productives et promouvoir la prise en charge par les populations des décisions de gestion du foncier.
Toutefois, le constat est unanime sur le caractère peu opérationnel de cet outil compte tenu des empiétements devenus de plus excessifs au détriment des éleveurs.
Actuellement il n’y a pas de délibération réservée à l’élevage, la vaine pâture est prévue par le POAS mais les règles posées n’ont jamais été respectées et les difficultés d’accès aux points d’eau pour le bétail persistent.
Les stratégies foncières : La coexistence agrobusiness par ses investissements à grande échelle et l’agriculture familiale suscite toujours des questionnements. En effet, la controverse que suscitent actuellement les acquisitions massives de terres par des investisseurs étrangers ou nationaux a mis en exergue la problématique des droits fonciers et des investissements agricoles dans les priorités mondiales de développement.
S’agissant précisément des stratégies foncières, un phénomène qui a été déjà observé prend de l’ampleur notamment dans la zone du Delta accentuant ainsi l’accumulation foncière par l’Agrobusiness. Ces acquisitions foncières à grande échelle ont suscité des conflits violents qui ont conduit aux événements violents dans la zone.
Dans la vallée du fleuve Sénégal, 367.422 ha sont affectés pour la riziculture et le biocarburant. A titre d’illustrations, nous pouvons citer des cas d’affectations des terres à grandes échelles parmi lesquels: -2789 ha attribués pour le Biocarburant à la Compagnie Agricole de Saint Louis (Français), – 14399 ha octroyés à la CSS,- 137 ha attribués à VITEL- 20 000 ha attribués à SENHUILE,- 535 ha attribués à Cheikhs LO- 310 ha alloués à WAF-210 ha attribués à SEPAM- 399 ha attribués à SCL-355 ha alloués à SENEC INDIA-126 ha à STS.
Déplacements néfastes des populations, un sujet encore actuel : Les populations se sentent menacées par l’ampleur de l’agrobusiness et ses impacts négatifs. En effet, beaucoup de villages ont été déplacés ces dernières années et les différentes initiatives ou tentatives de déplacement continuent de s’opérer de manière inquiétante. En réalité, les populations ne sont pas satisfaites des opérations de déplacement déjà effectuées car les engagements des bénéficiaires, dans le cas d’espèce des investisseurs privés, ne sont pas respectés notamment les tracés de parcours de bétail, les mares artificielles ou autres infrastructures ou avantages promis.
La vulnérabilité foncière des femmes : Les femmes ayant assisté à la rencontre ont fait des témoignages importants. Elles sont victimes d’une grande vulnérabilité foncière, à cause de facteurs principaux parmi lesquels nous avons la prééminence de fait des régimes fonciers coutumiers sur le droit moderne et les pesanteurs socioculturelles. En effet, la quasi-totalité des femmes n’a pas accès aux droits fonciers formels. Cette exclusion fragilise la capacité des femmes à investir dans l’exploitation de leurs terres. Les femmes, surtout en milieu rural, sont lésées dans le processus d’affectation des terres, au sein des exploitations familiales. Pour l’essentiel, elles accèdent au foncier par des legs ou de manière collective par le biais des stratégies des regroupements féminins qui sont généralement affectataires de superficies réduites par les conseils municipaux.
Théoriquement, la loi sur le domaine national n’exclut pas les femmes de la transmission des droits d’affectation aux ayants droits. En réalité, elle entérine les discriminations à l’égard des femmes du fait de son adossement à la tenure coutumière qui offre de façon privilégiée l’accès à la terre aux membres de la communauté rurale, dans un contexte où les conseils ruraux sont composés, pour l’essentiel, des propriétaires coutumiers et/ou de leurs alliés. La femme ne devenant chef de ménage qu’accidentellement (essentiellement en cas de veuvage), c’est l’homme qui contrôle la force démographique familiale qui est mobilisée dans les exploitations agricoles. A la faiblesse du statut de la femme, s’ajoute la méconnaissance par la grande majorité d’entre elles, des lois qui pourraient leur permettre de faire valoir leurs droits. Même lorsqu’elles connaissent la législation, elles n’osent pas remettre en cause les règles sociales, en particulier les rapports entre hommes et femmes.
Les femmes rurales accèdent à la terre de façon indirecte. Cet accès résulte d’une autorisation temporaire de cultiver des parcelles. Toute femme qui se marie et rejoint le domicile de son époux reçoit une parcelle. Lorsque la famille du mari ne dispose pas de suffisamment de terre, elle entreprend des démarches pour bénéficier d’un prêt de terre qu’elle alloue par la suite à la nouvelle mariée. En cas de divorce, la femme qui revient au domicile de ses parents peut se faire attribuer une parcelle.
Incompréhensions autour du schéma foncier du PDIDAS : En effet, le PDIDAS a mis en place un schéma foncier qui repose sur les axes suivants:
Pour l’investisseur, il bénéficiera d’une délibération lui affectant les terres qui ont fait l’objet de négociation et d’accord tripartite entre l’investisseur, les communautés et l’Etat.
Les points d’accord sont consignés dans un cahier de charges qui sera annexé au titre d’affectation (délibération).
Ces terres affectées à l’investisseur seront délimitées à l’aide de GPS, cartographiées et inscrites dans le Système d’information foncière (SIF) de la commune et une double tenure est faite, par le cadastre régional.
L’accord tripartite et le cahier de charge permettront de fixer les conditions d’installation de l’investisseur, les obligations mutuelles des parties et assureront une quiétude dans la cohabitation entre investisseurs et communautés.
De multiples interrogations sont formulées par les populations qui ne comprennent toujours pas les contours de ces options et leurs conséquences sur les exploitations familiales et la sécurité alimentaire. Pour les acteurs interrogés, l’enjeu majeur devrait être de faire des exploitations familiales, une agriculture diversifiée et durable, créatrice de richesses et d’emplois, qui garantit la disponibilité de la terre pour les générations futures.
Par Ibrahima Arona DIALLO,
Professeur de droit public (UGB) et expert foncier à l’IPAR
Professeur de droit public (UGB) et expert foncier à l’IPAR
A Rosso Béthio,
Le 16 et 17 février 2018