Brexit: désavouée, Theresa May doit désormais faire face à une motion de censure

Le vote était présenté comme difficile voire impossible, mais l’ampleur du revers a eu l’effet d’une gifle pour Theresa May. Mardi soir, les députés britanniques ont très massivement rejeté l’accord de sortie de l’UE négocié par la Première ministre, avec 432 voix contre et seulement 202 voix pour. De mémoire de parlementaire, on n’avait pas connu tel désaveu pour un Premier ministre depuis 1920. Voilà donc le Royaume-Uni sans plan précis pour sortir de l’Union européenne, à moins de trois mois du Brexit. Les ennuis sont loin d’être terminés pour la Première ministre.

Le visage défait de Theresa May s’affiche en Une de nombreux journaux ce mercredi 16 janvier 2019 avec des titres cinglants. « Une humiliation complète », assène le Daily Telegraph, « La pire défaite de tous les temps», renchérit le Metro, tandis que le tabloïd Daily Mail estime que le maintien en poste de la dirigeante « ne tient plus qu’à un fil », tout comme le Brexit d’ailleurs.

A la Une du Sun, la tête de Theresa May a été surimposée sur un dessin de dodo, relate notre correspondante à Londres, Muriel Delcroix. Pour le tabloïd, son accord sur le Brexit est aussi mort que cette espèce d’oiseau aujoud’hui disparue. Enfin, le Daily Mirror titre sans appel : « Pas d’accord, pas d’espoir, pas la moindre idée, pas de confiance », en écho à la motion de censure contre Theresa May déposée par le chef du Labour.

Il faut dire que ce dernier, Jeremy Corbyn, n’a pas perdu de temps. Dans la foulée de la déclaration de Theresa May, le chef du Parti travailliste a pointé une « défaite catastrophique » et présenté sa motion de censure contre le gouvernement, rapporte notre envoyée spéciale sur place, Anastasia Becchio. Les débats débuteront à la mi-journée avant un vote prévu aux alentours de 19h.

Theresa May affaiblie mais pas encore à terre

L’initiative est présentée comme très risquée pour son auteur Jeremy Corbyn. Certes, Theresa May est affaiblie par la nouvelle défaite qu’elle vient de subir et son parti est très divisé. Les tenants d’un Brexit dur, à l’instar de Boris Johnson et Jacob Rees Mogg, ont même fêté le résultat du vote au champagne. Mais de là à ce que des députés Tories se rallient aux travaillistes pour faire tomber le gouvernement, il y a un pas que peu oseront sans doute franchir.

Dès mardi soir, le petit parti unioniste nord-irlandais DUP et plusieurs députés rebelles conservateurs ont annoncé qu’ils soutiendraient Theresa May, eux qui ont pourtant voté contre elle lors du vote sur l’accord de divorce. Si elle passe cette épreuve, elle aura donc jusqu’à lundi pour présenter un « plan B ».

Theresa May a d’ores et déjà prévu de s’entretenir avec les chefs de partis pour tenter de comprendre ce qui serait de nature à recueillir un soutien de la Chambre des communes. Une mission qui s’annonce délicate, tant les points de vue sont larges. Dans l’immédiat, Theresa May n’a pas prévu de se rendre à Bruxelles. Elle doit d’abord faire un peu de ménage à domicile, avant de se tourner vers les responsables européens.

■ Que va-t-il se passer maintenant ?

Questions-réponses avec d’Emmanuelle Saulnier-Cassia, professeure en droit de l’Union européenne à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.

RFI : Un accord est-il encore envisageable entre Londres et l’Union européenne ? Où va t-on vers un Brexit sans accord, un no deal?

Emmanuelle Saulnier-Cassia : On ne peut pas dire aujourd’hui que cela sera définitivement un « no deal ». Une modification à la marge de l’accord conclu avec l’Union européenne est toujours possible quoi qu’en disent les parties, c’est à dire le gouvernement de Theresa May et les Européens, qui n’ont pas intérêt à dire qu’on peut rouvrir les négociations.

Mais comme Theresa May a quelques jours encore pour se représenter devant le Parlement avec une nouvelle motion, une nouvelle déclaration pour dire comment elle envisage les choses, on peut imaginer qu’entre aujourd’hui et lundi prochain, il y ait des petits aménagements à l’accord.

C’est malgré tout une hypothèse qui devient de plus en plus improbable par rapport à un « no deal », voire un second référendum qui reste aussi une option possible. Car aujourd’hui, Dominic Grieve, un parlementaire connu qui a déposé des amendements ayant fait avancer les choses, va déposer deux propositions de loi sur l’organisation d’un second référendum.

Outre cette hypothèse de second référendum, il y a un vote ce mercredi soir sur une motion de censure. La crise peut-elle s’amplifier avec une éventuelle chute de Theresa May ?

A priori, je n’y crois pas. Je ne pense pas que la motion de censure puisse passer. Mais on ne sait jamais. Dans ce contexte de Brexit, on a vu tellement de choses. Il faut une majorité simple. Si on compte les voix actuellement des travaillistes, du SNP (le Parti national écossais), des libéraux-démocrates et du seul Vert au Parlement et des Gallois, on n’arrive pas à la majorité simple. Il faudrait qu’il y ait suffisamment de conservateurs, au moins une vingtaine, pour une motion de censure.

Dans le propre camp de Theresa May, certains ont-ils envie de lui faire mordre la poussière ?

D’une certaine manière, oui. Mais personne n’est kamikaze au Parti conservateur, et personne ne souhaite prendre la place de Theresa May, qui est une place impossible. Même les plus durs comme Jacob Rees-Mogg ont annoncé qu’ils voteraient contre la motion de censure. Donc, c’est assez improbable qu’il y ait le soutien de conservateurs à la motion de censure de l’opposition.

D’après vous, la sortie de l’Union européenne aura-t-elle bien lieu le 29 mars ? Cela pourrait-il être décalé à plus tard ?

Une sortie est toujours prévue le 29 mars, mais une possibilité d’organiser autre chose pour éviter un « no deal » est de repousser les négociations, ce qui est possible au regard de l’article 50 du traité de l’Union européenne. Mais pour cela, il faudrait que le Royaume-Uni le demande. Jusqu’à présent, Theresa May a dit : « Pas question. » Mais l’UE pourrait lui imposer de faire cette demande de renégociation pour accepter éventuellement des modifications homéopathiques à l’accord qui a été conclu.

 

Rfi