[Reportage] L’Hermione, frégate symbole de la liberté, fait escale à Tanger

L’Hermione, frégate symbolisant la liberté, la solidarité et la paix, est arrivée ce 7 mars pour sa première et unique escale en Afrique, à Tanger au Maroc. Un premier voyage mouvementé pour un équipage inédit, partageant une expérience hors du commun. Reportage.

De notre envoyée spéciale à Tanger,

Des vents force dix dans le détroit de Gibraltar, des creux de dix mètres, du roulis à plus de 40 degrés, les quatre derniers jours de voyage entre La Rochelle et Tanger n’ont pas été de tout repos pour l’équipage de L’Hermione. Dans le port de Tanger, le vent s’est calmé ce 9 mars, les 80 gabiers – dont une quinzaine de professionnels – et le commandant récupèrent. « Des dépressions successives se sont multipliées, ce qui a rendu la fin de la traversée difficile », confie le commandant Yann Cariou. « L’Hermione n’a jamais connu de telles conditions de navigation. C’était rude (…). Certains gabiers ne pouvaient même pas respirer en haut du mât tant le vent était fort. Mais ils ont bien assuré. »

Une expérience de plus dans cette aventure hors du commun débutée le 30 janvier dernier : un voyage au long cours, de l’Atlantique à la Méditerranée,  sur une frégate semblable à celle de La Fayette en 1778 où des matelots de 34 pays francophones se découvrent et vivent ensemble.

Sur L’Hermione, projet lancé par l’association Hermione-La Fayette et l’OIF, le mot « solidarité » prend toute sa valeur. « Si l’on n’est pas unis dans ces moments, c’est la fin, pour nous tous », raconte Jimmy, Québécois de 33 ans, visiblement ému de l’expérience qu’il vient de vivre. « On s’entraide autant physiquement que psychologiquement. Parfois à 4h du matin on était réveillés pour aller rapidement aider les autres. L’union est indispensable pour nous. »

Chacun est un maillon indispensable de l’équipage. Toutes les manœuvres se font à la main et réclament beaucoup de main-d’œuvre, et des efforts décuplés quand la tempête gronde des jours durant. Le navire de mille tonnes impressionne : plus de 65 mètres de long, portant trois mâts, dont un grand mât de 54 mètres, mille poulies, 2 200m2 de voilure, deux ancres d’1,5 tonne, 35 kilomètres de cordage…

Pourtant, les gabiers semblent ne faire qu’un avec la frégate, ils la connaissent par cœur, jusqu’aux 280 points de tournage. Jimmy appréhende qu’une fois au sol, il n’entende plus les craquements de bois permanents et que le mal de terre s’empare de lui. Les marins s’occupent de la frégate 24h/24h, la cajole. Ils ont appris à l’apprivoiser, tout comme certains ont appris à apprivoiser l’océan. Soulo, jeune Malien de 26 ans, n’avait jamais vu ni bateau ni la mer. Il a été très malade, victime du mal de mer durant dix jours. Et pourtant, il est prêt à recommencer : « C’est une aventure humaine remplie d’émotions, de solidarité et de partage. »

Ensemble, pour le meilleur

Regarder à l’horizon est, selon les matelots, le meilleur remède contre le mal de mer. Sur l’Hermione, c’est aussi une façon qui permet de découvrir de nouveaux horizons, de s’ouvrir au monde et aux autres, aux cultures. « On apprend autant sur soi-même que sur les autres », confie Jimmy qui avoue avoir appris beaucoup de chaque membre de l’équipage. « On avait des stéréotypes sur les uns et les autres, poursuit Soulo, bonnet en laine vissé sur la tête, et désormais on pense différemment. On est tous pareils, et surtout unis, pour le meilleur et pour le pire, ensemble, dans la tolérance. »

« On a vécu sur une autre planète durant trois semaines, raconte Danie, jeune Canadienne déjà prête à repartir si l’occasion se représente. On a tissé des liens incroyables que personne ne pourrait imaginer. Ça m’a ouvert l’esprit, entre autres, sur l’Afrique, ça m’a apporté énormément. »

« Je ne sais pas si notre expérience peut sauver le monde, mais ça peut servir d’exemple et rendre la vie plus harmonieuse entre les peuples de différentes cultures, de différents pays, d’être plus ouverts et plus patients », espère Danie, s’harnachant de son baudrier pour repartir en haut du mât.

Ce lundi 12 mars, L’Hermione reprendra la mer pour Barcelone, avec d’autres gabiers pour continuer cette aventure humaine unique à travers le dépassement de soi, l’ouverture aux autres. « Ces nouvelles troupes enrichissent L’Hermione, raconte le commandant, c’est maintenant le monde qui s’invite à bord et apprend à vivre ensemble. Quelle meilleure preuve qu’il est possible de s’entendre par-delà les différences de culture, de genre et de religion ? » La mer n’a pas de frontière.


♦L’Hermione de La Fayette

A la fin des années 1770, la rupture est consommée entre l’Angleterre et les « insurgents », partisans de l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique du Nord. De retour d’Amérique, le jeune Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, conquis par l’Amérique, arrive à obtenir le soutien de la France. Il embarque le 21 mars 1780 à bord de L’Hermione et arrive, après 38 jours de traversée, pour apporter son soutien militaire et financier aux troupes de Washington. Dix-huit mois plus tard, c’est la victoire. La Fayette s’est révélé dès l’âge de 20 ans un champion des droits et des libertés, l’un des grands penseurs et défenseurs des principes de l’égalité devant la loi, de la suppression de l’esclavage et de la peine de mort. La reconstruction de L’Hermione, projet né en 1992, rend hommage à La Fayette et conserve la mémoire d’une grande aventure.

 

rfi