« Mala Junta » est le premier long métrage de la jeune réalisatrice chilienne Claudia Huaiquimilla. Comme son patronyme l’indique, elle est d’origine mapuche, une communauté indienne du sud du Chili qui lutte toujours pour la reconnaissance de ses droits ancestraux sur son territoire et pour la reconnaissance de sa culture. Couronné du prix du Public et du prix lycéen de la fiction au Festival Cinelatino de Toulouse en 2017, le film raconte au travers l’histoire d’une amitié entre deux jeunes garçons, comment se construisent des individus dans un contexte social et politique difficile. A la fois celui de la lutte de ces Indiens pour leurs droits mais aussi d’une société dure pour les faibles, les marginaux ou ceux qu’elle considère comme tels. Un film attachant.
Tano et Cheo sont deux adolescents en marge du monde « normal ». L’un parce qu’il est issu d’une famille éclatée et a grandi trop seul et trop vite dans la rue, l’autre parce qu’il est d’origine indienne. Les deux garçons ont comme point commun de « se sentir étranger partout », explique la réalisatrice qui reconnaît avoir mis beaucoup d’elle-même dans ses deux personnages.
L’un, Tano, est une graine de délinquant de la capitale qui, après un séjour en maison de redressement après un « casse » dans une station-service où il vole des bonbons, est pris en charge par son père avec lequel il n’a jamais vécu, qui l’emmène dans le grand Sud pour qu’il s’aère la tête et apprenne à vivre. L’autre, Cheo, est un jeune Indien Mapuche couvé par sa mère (veuve ?) et entouré de plusieurs générations de femmes, et malmené par ses camarades en raison de son accent, de sa couleur de peau et sans doute de sa modeste condition.
Entre le voyou vantard et le timide pataud qui rêve d’avoir des amis sur Facebook, des liens vont se nouer à la façon des adolescents. Petit à petit, les antennes se déploient et se touchent. Ils se testent mutuellement, se jaugent. Tano est sec, noueux et parle comme une mitraillette ; Cheo est rond, un peu gauche et son verbe est lent. Dure scène du film où il est moqué par ses camarades de lycée pour son accent chantant imprimé par la langue mapuche.
Justesse des acteurs
Les deux acteurs sont très justes, chacun dans leur registre : Andrew Bargsted, le mauvais garçon, vient du théâtre mais semble être promis à une carrière cinématographique ; Eliseo Fernández, lui, issu de la même communauté que la réalisatrice à laquelle il est apparenté, était l’un des personnages enfant d’un précédent court-métrage. Tous deux sont encadrés par une solide équipe de comédiens adultes parmi lesquels on retrouve avec plaisir Francisca Gavilán, interprète de plusieurs films distribués en France comme Violeta d’Andrès Wood ou encore Las hermanas Quispe de Sebastián Sepúlveda.
Au fil de la narration les rôles s’équilibrent entre les deux garçons. Tano découvre que son copain peut aussi faire preuve de courage physique lorsqu’il s’agit d’affronter les policiers que la communauté mapuche suspecte d’avoir liquidé un de ses leaders. Dès lors son regard sur lui change au point qu’il lui viendra en aide contre ses bourreaux de l’école. Une séquence qui peut expliquer le titre du film, non traduit en français car – peut-être – difficile à rendre. On pourrait risquer ici « Au péril de l’amitié »…
Tandis que Cheo s’affirme au sein de sa famille et de son groupe, Tano découvre lui qu’il a un père – la manière dont les liens entre le père jusqu’alors absent et le fils se nouent est aussi une réussite du film –, quelqu’un sur qui il peut lui compter, et des gens pour lesquels il compte, tout simplement.
La lutte pour le droit à la terre
Au-delà de l’histoire des deux garçons se joue aussi un drame qui est le quotidien de la communauté des Indiens Mapuche, dont est issue la réalisatrice. Une ethnie qui lutte pour ses droits à la terre, contre les expropriations dont elle a été victime dans ces régions où l’agro-industrie forestière fait des ravages. Le monstre est incarné par une immense usine de pâte à papier appartenant au groupe industriel Celulosa Arauco. Une bête mangeuse d’arbres. Images de troncs hâchés menus par les mâchoires d’acier des machines. Nous sommes loin de la carte postale classique des lacs et montagnes du Sud du Chili.
Des images d’actualité télévisées nous ramènent sans cesse à cette réalité. Comment faire respecter ses droits ancestraux ? Comment faire en sorte que l’Etat reconnaisse le droits des communautés à vivre sur leurs terres ? Comment arrêter les exactions d’une police aux ordres des puissants ? Autant de questions sensibles au Chili encore aujourd’hui, d’où le recours au financement participatif de la réalisatrice et de son producteur pour amorcer le financement du film. En février, le parquet a ouvert une enquête contre la police soupçonnée d’avoir falsifié des preuves contre des leaders de la communauté Mapuche dans une affaire d’incendies criminels en 2017 contre des camions d’entreprises forestières dans le sud du Chili.
Les enfants subissent cette violence sociale. Violence faite aux Indiens. Violence faite aux adolescents « déviants » auxquels peu de portes de sorties sont proposées. Pour l’oublier, les garçons cherchent refuge dans la forêt, auprès des arbres et notamment d’un magnifique pommier indigène qui devient le totem de leur amitié. « Classe ! », s’extasie Tano quand il découvre l’arbre qui fut aussi le refuge de la réalisatrice quand elle était enfant. La forêt, un territoire et un temps de liberté mangés par les tronçonneuses de la papeterie dont on entend le rugissement. Malheur à ceux qui naissent du mauvais côté de la barrière oui, mais foin de misérabilisme ou de folklorisme. Le pommier a certes été déraciné mais chacun des deux garçons a en main des armes – symboliques – pour poursuivre son chemin.
rfi