Le 15 mars 1908, il y a 111 ans de violents combats opposaient devant l’actuelle préfecture de Dagana, le marabout Aly Yoro Diop de Fanaye (Dimatt) et ses partisans aux troupes coloniales françaises et leurs alliés africains. La mémoire collective a retenu ces événements sous les vocables en wolof -xaré ali ou fiyannde Aly en poular.
Aly Yoro Diop qui naquit en 1884 à Fanaye, n’appartenait pas à l’aristocratie religieuse tooroodo .Petit talibé, il fit ses études coraniques auprès du grand marabout de la localité, Alpha Moussa SY.
À cette époque, il vivait dans un milieu avec un moule social, politique formaté par l’islam. A cela s’ajoutait une haine contre la domination étrangère, surtout française qui était perçue comme une menace aussi bien pour leur liberté que pour leur religion.
Dans la conscience collective de ces populations foutanké, l’islam devrait être utilisé comme instrument de lutte politique contre toute domination étrangère et/ou injustice sociale pratiquée par un pouvoir étranger ou local.
Vers la fin de l’année 1905, les rapports de l’administration coloniale indiquèrent que le marabout Aly Yoro Diop avait commencé ses premières prédications demandant la lutte contre la présence des infidèles français.
Une lettre de l’administrateur Dolisse, commandant le cercle de Dagana, adressée au Lieutenant-gouverneur du Sénégal confirma ces activités dites subversives. Cet administrateur avait attiré l’attention de ses supérieurs sur la menace qui couvait : « … la résistance, jusque là passive de ces indigènes, jointe à leur fanatisme religieux exécuté par le jeune prophète Aly Yoro Diop, risquait fort de devenir de la résistance ouverte…».
Pour mettre fin à ce début d’agitation, Dolisse, commandant le cercle de Dagana fit arrêter sans résistance Aly Yoro Diop, le 7 février 1906 par un peloton armé dirigé par le chef de province de Gallodjina, Samba Yomba Guilé MBODJ.
Dans une note adressée à ses supérieurs, Dolisse était opposé à toute mesure de clémence en faveur du prisonnier Aly Yoro Diop, car, écrivait-il, « …ce serait d’un très mauvais effet dans le pays, étant donné la gravité des faits et de l’esprit des gens du Dimar qui ne comprendraient guère cette mesure que comme une faiblesse».
Dolisse redoutait en effet que la libération de Aly Yoro Diop, ne soit interprétée par ses partisans comme une manifestation de la grâce divine. En effet, au moment de son arrestation, Aly Yoro Diop, avait annoncé à ses fidèles que les portes de sa prison s’ouvriraient d’elles-mêmes, miraculeusement par la grâce d’Allah. Alors il reviendrait de l’exil pour libérer le pays des infidèles français. Pour ces raisons, il avait proposé au Lieutenant-gouverneur du Sénégal de l’époque, Camille Guy, de l’éloigner de son terroir natal de Dimatt, « …pendant une durée de temps qui sera proportionnée à l’attitude qu’il prendra dans sa nouvelle résidence…».
Le 16 mars 1906, Aly Yoro Diop fut condamné plutôt en une résidence surveillée en pays sérère Ndoute, dans le cercle de Tivawouane d’où il réussit d’ailleurs à s’évader le 16 Avril, un mois exactement après son assignation.
Quand ses partisans, furent au courant de cette évasion subite, ce fut l’allégresse, ils l’interprétèrent comme une manifestation de la grâce divine, en faveur d’Aly Yoro Diop et surtout la véracité de ses prédictions.
Pourtant, les autorités françaises n’avaient pas perdu totalement les traces du fugitif et à travers le contrôle de routine sur la circulation des personnes, le suivaient dans toutes ses pérégrinations. Ainsi, une lettre du Résident de Sou el Maat en date du 8 juillet 1908, adressée au commandant de cercle du Trârza, confirme bien qu’Aly Yoro Diop était venu dans le courant du mois de mai 1906 dans cette localité pour rendre visite à Cheikh Amadou Bamba Mbacké , en résidence surveillée dans cette localité. Il y était resté vingt-quatre heures avant de repartir à Podor et puis Kaédi, après avoir séjourné d’abord trois ou quatre jours dans son village à Fanay Rewo.
Ce n’est que le 10 Mars 1908, qu’Aly Yoro réapparut dans son village natal de Fanaye. C’est à cette date que, Mamadou Seydou Kane, chef du village de Fanaye Diéri, vint rendre compte à l’administrateur du cercle de Dagana, Chesse, « …qu’un indigène nommé Aly Yoro, ancien interné politique évadé, venait de faire sa réapparition à Fanaye… » .
Par lettre en date du 11 Mars Mr Chesse informait ses chefs : « …qu’à Fanaye (rive sénégalaise ), cent huit chefs de case sur cent dix sept avaient rejoint l’agitateur…».
Le 13 Mars, il mandata deux notables, l’Elimane de Fanaye et le Président du tribunal de Dimar pour transmettre un message aux habitants et à Aly Yoro Diop, leur intimant de rejoindre pacifiquement leur domicile. En guise de réponse Aly Yoro Diop devant une foule surexcitée déchira publiquement la lettre et remis aux plénipotentiaires, une balle et de la poudre enveloppées dans une étoffe bleue, ce qui fut une véritable déclaration de guerre.
Dans la nuit du 14 mars, profitant de la pleine lune, Aly Yoro Diop quitta Fanay Rewo avec une centaine de partisans parmi lesquels, sa mère, sa tante et l’époux de celle-ci, Djiby Tokossel Sy, le chef du village de Fanay Rewo.
A l’aube du 15 mars, Aly Yoro Diop et ses compagnons apparurent devant la résidence de Dagana, certains montés à cheval, portant des étendards rouges.
Avec sa troupe, ils avaient préféré ne pas pénétrer directement dans la ville et la traverser, mais plutôt la contourner par le sud. Ce détour sera expliqué par les anciens par la protection mystique qui protège la ville de Dagana.
L’administrateur Chesse envoya au-devant d’Aly Yoro Diop, le chef du Foss-Galojina, Samba Yomb Guilé Mbodj et l’interprète du cercle Samba Faye pour le dissuader d’attaquer le poste, mais en vain. Accueillis à coups de fusil, par les talibés d’Aly Yori, ils reviendront au galop au poste, indemnes .
D’autres tentatives de négociations, comme celles du grand notable de Dagana Omar Cissé Gamou Samb aboutirent aux mêmes résultats. Djibril Tokossel Sy qui était le porte-parole du mouvement, inflexible, avait exigé la conversion de l’administrateur Chesse à l’islam avant toute négociation et avant toute retraite de ses partisans. Il est important de noter qu’Aly Yoro Diop n’avait pas parlé de chasser les Européens, mais de les convertir à l’islam. Et « …si les Blancs ne veulent pas accepter ses paroles, ils seront aussitôt anéantis par des fusils qui partiront du ciel…».
Vers 8h30 mn, avec l’échec des pourparlers, une fusillade intense éclata des deux côtés. Selon l’administrateur Chesse, le premier coup de fusil serait parti des rangs des «assaillants». Il décrit ainsi le combat : «Les partisans de l’agitateur, qui s’étaient couchés dès les premières salves, s’abritent derrière les cadavres, ils tirent posément avec beaucoup de calme, ils visent le sommet du mur derrière lequel se trouvent les défenseurs du poste et les fenêtres du 1er étage derrière lesquelles sont les dames. Un fanatique se jette sur la porte des écuries, essaie de faire sauter la serrure avec un sabre et ordonne aux gardes d’ouvrir.
Les chants et les cris durent pendant tout le combat. Vers 9 h15, le feu se ralentit faute de munitions d’un côté comme de l’autre. Ce qui reste des assaillants s’enfuit. Le chef Samba Yomb Guilé Mbodj les poursuit et fait quelques prisonniers… ».
Immédiatement, l’administrateur et les fonctionnaires groupés autour de lui quittèrent la résidence et se portèrent vers les morts et les blessés: 29 cadavres et 18 blessés gisaient sur le sol. Les premiers furent enterrés avec le concours de la population de Dagana réquisitionnée ; les autres furent recueillis et pansés par le docteur Breffeil. Aucun des défenseurs de la résidence n’avait été blessé.
Aly Yoro Diop était parmi les morts, son frère grièvement blessé mourut deux jours après. La mère et la tante du marabout étaient parmi les prisonniers ainsi son oncle.
« Aucune femme, aucun enfant n’a été tué ou blessé .Huit blessés sont morts de leurs blessures le 16 et 17, six autres ont été évacués sur l’hôpital de Saint-Louis. »
Le cadavre d’Ali Yero Diop fut exposé devant toute la population de Dagana convoquée pour une assemblée car, «il était indispensable … de couper court à tout bruit de fuite…» qui en cas de doute, alimenterait, chez ses talibés rescapés, un espoir de retour miraculeux du Mahdi de Fanay Rewo.
Pendant tous les combats, les populations de la ville de Dagana s’étaient calfeutrées dans leurs maisons et certains même avaient traversé à la nage le fleuve pour se refugier sur la rive mauritanienne.
L’administration coloniale française leur infligera après les combats, de fortes amendes et leur imposa la corvée pour enterrer les morts pour leur non assistance et neutralité.
Le jour même, de Saint-Louis des renforts militaires, une compagnie de tirailleurs de 100 hommes fut convoyée à Dagana par voie fluviale par le bateau «Borgnis-Desbordes» qui y arriva à deux heures du matin, le 16 mars.Ce fut un grand soulagement pour la petite communauté coloniale qui malgré la défaite et la mort d’Aly Yoro, était en proie à une panique .
Des représailles furent prises contre les villages du Dimatt ( Thiangaye, Tékaane , Dimatt etc..) qui avaient soutenu l’agitateur .A Fanaye Waalo, le résident, réunit une assemblée des notables du village et infligea « …une amende de 500 francs et l’obligation dans le plus bref délai, de payer l’impôt…».
Les habitants du village de Fanaye qui avaient réussi à s’échapper, à l’issue des combats furent l’objet de poursuites pénales. Les prisonniers faits après le combat furent tous relâchés à l’exception de Djibril Tokossel, âgé de cinquante ans, de son épouse, de la mère d’Aly Yoro DIOP ainsi que sa sœur Aissata Fati DIOP, âgée de trente-cinq ans . Ils furent tous condamnés en exil en Casamance ou Djibril Tokossel décédera naturellement en juin 1909, dans sa résidence d’internement à Sédhiou.
En cette époque du début du XXeme siècle, la France avait réussi à travers une politique d’accommodation, à établir une cohabitation harmonieuse avec les confréries islamiques, dont les chefs avaient accepté le joug du pouvoir colonial.
Ce fut la première fois, depuis les jihads d’Al Hajji Oumar Tall, de Mamadou Lamine Dramé, et celui de Maba Diakhou et avec la fin de la conquête coloniale ,qu’un prédicateur menait aussi directement une action armée contre l’administration française.
La brutalité avec laquelle le pouvoir colonial organisa sa riposte, sa mobilisation militaire et administrative contre Ali Yoro Diop montrait qu’il avait une grande crainte de ces mouvements insurrectionnels dirigés non pas des grandes figures religieuses, mais dus aux «… menées» des prédicateurs qualifiés par lui de « …charlatans appartenant aux dernières classes de la population et sans instruction aucune…»
Pour éviter le retour de ce genre d’événements, l’administration recommanda d’exercer une surveillance plus grande et plus rapprochée sur la propagande musulmane menée des fanatiques hors des confréries..
L’administration du cercle de Dagana ,continua quant à elle, de gérer les suites de la crise. Pour surveiller de plus près la population, le Dimat Worgo fut intégré au canton du Foss Galodjina dirigé par Samba Yomba Guilé qui, avec l’interprète du cercle Samba Faye, avait tenté de négocier la reddition d’Ali Yoro DIOP et de ses partisans, le matin de l’attaque du poste de Dagana.
Ali Yoro DIOP eut la chance de voir son corps ne pas être profané ou démembré par la barbarie coloniale, comme les martyrs Mamadou Dramé ou Diéry Dior Ndella Fall dont les crânes ont été expédiés en France. Il sera enterré dans une fosse commune située entre le fleuve Sénégal et les HLM de la ville de Dagana.
Pendant la période coloniale , malgré des interdits, des talibés provenant du Mali faisaient le pèlerinage sur la tombe D’aly Yoro à Dagana . Depuis quelques années, l’actuel maire de la commune de Fanaye organise avec ses administrés, des prières sur la sépulture de ce martyr de la foi , ce résistant armé anti-colonial qu’était Aly Yoro DIOP lors de leur gamou annuel .