En préparant la programmation de la nouvelle édition du festival, l’équipe de Cinélatino s’est aperçue que l’année 2017 avait été une année fructueuse pour le cinéma chilien qui a produit une quarantaine de films (fictions et documentaires), et que les femmes de cinéma s’étaient taillé une belle part du gâteau avec 10 films. D’où l’idée de ce focus consacré aux « Chilenas » et la présence à Toulouse de Paulina Garcia, invitée d’honneur du festival qui s’achève ce dimanche 25 mars. Être femme et faire du cinéma au Chili.
Avec notre envoyée spéciale à Toulouse,
Elles sont nombreuses dans la salle et cinq sur l’estrade pour apporter leur témoignage sur ce qu’est être femme de cinéma au Chili. Des femmes qui se sont illustrées ces derniers temps comme la comédienne Paulina Garcia qui présentait deux films à Cannes en 2017: La Cordillera et La fiancée du désert, ou encore comme Daniela Vega qui a fait sensation à Berlin (avant Hollywood) avec le film Une femme fantastique, récompensé par l’Ours d’argent du scénario, mais aussi Rara de Pepa San Martin, primé à San Sebastián fin 2016 ou encore Family Life d’Alicia Scherson, remarqué à Sundance, et d’autres…
Devant et derrière la caméra
Des femmes qui investissent tous les secteurs, devant et derrière la caméra. Mais il reste du chemin à faire pour que la profession les reconnaisse au même titre que leurs confrères masculins. « Quand sur un tournage, un réalisateur fait répéter plusieurs fois la même scène, on va dire qu’il est exigeant, assure la réalisatrice Claudia Huaiquimilla, venue à Toulouse avec son premier long métrage, Mala Junta. Mais quand c’est une femme, on dira qu’elle ne sait pas où elle veut aller ». La jeune cinéaste pointe encore la tendance à cantonner les femmes de cinéma, y compris à l’école de cinéma, dans des métiers jugés plus féminins (script, montage, production, etc.).
Andrea Chignoli, monteuse expérimentée et enseignante, qui a notamment travaillé sur La fiancée du désert, renchérit : « une monteuse ne peut pas parler de façon directe et claire au réalisateur, c’est considéré comme une agression ». La monteuse, et c’est un métier surtout féminin, doit faire preuve de davantage d’intelligence pour défendre son point de vue dans ce métier où il faut beaucoup discuter pour le travail, poursuit-elle. Et moi, j’ai beaucoup de mal à entourer mes messages « des éléments décoratifs » que l’on attend d’une femme, conclut-elle en riant.
Des remarques que pourraient sans doute reprendre à leur compte nombre de femmes de cinéma dans nombre de pays. Dans les récentes prises de parole suscitées par l’affaire Weinstein qui a fait sauter le bouchon, on pourrait retrouver de semblables témoignages. D’ailleurs des femmes de cinéma chiliennes ont raconté avoir été harcelées dans leur milieu professionnel et des pages ont été créées sur les réseaux sociaux.
Une société encore très conservatrice
Les Chilenas pointent aussi le conservatisme de la société chilienne. On ne vit pas dix-sept ans sous une dictature militaire, celle d’Augusto Pinochet, qui, en plus, a laissé une Constitution toujours en vigueur même si elle a été amendée, sans que cela laisse des traces. La présidente sortante Michelle Bachelet a d’ailleurs créé la surprise, quelques jours avant de quitter le pouvoir en présentant un projet de réforme constitutionnelle.
Une société où la religion catholique est encore très prégnante et globalement pénalisante à l’égard des femmes: où le droit à l’avortement n’a été que partiellement autorisé l’an passé, où le divorce a été accepté tardivement par l’Église catholique et où l’homosexualité et les questions de genre sont encore compliquées à aborder même si le film Une femme fantastique de Sebastián Lelio a contribué à ouvrir le débat.
Autre obstacle, pointé notamment par Claudia Huaiquimilla qui vient d’un milieu modeste: le coût des études au Chili. S’endetter, contracter un prêt auprès d’une banque, pour faire des études de cinéma, c’était compliqué pour une famille comme la sienne. La gratuité totale des études est une longue bataille au Chili. Cela faisait partie des promesses des campagnes électorales de Michelle Bachelet en 2006 et 2014, l’éducation ayant été municipalisée ou privatisée sous la dictature militaire. Le dossier avance, mais pas assez vite pour les jeunes qui ont investi la rue à plusieurs reprises ces dernières années.
Les premiers pas dans le cinéma
Cette nouvelle génération des femmes de cinéma du Chili n’a pas ou peu vécu la dictature. Elle a cependant grandi dans une société verrouillée. Pendant la dictature militaire, la production culturelle et cinématographique était quasiment inexistante et il n’y avait pas d’école de cinéma. Celle-ci fut créée après la fin de la dictature, au milieu des années 1990. Les pionnières, comme les pionniers, se sont donc formées de façon autodidacte, en bricolant, sans argent et en filmant avec de la pellicule périmée, en confrontant leurs expériences, raconte Andrea Chignoli. Elle partira aux États-Unis pour faire une école de cinéma avant de revenir au Chili où maintenant c’est à son tour d’enseigner. Parmi ses élèves, Claudia Huaiquimilla qui, grâce à la volonté de sa mère, elle-même enseignante, a pu faire des études. Une mère qui a fait son éducation cinématographique en lui achetant des films (piratés) sur les marchés. Elle choisissait ceux sur la pochette desquels on voyait les logos des festivals comme les palmes de Cannes ou l’ours de Berlin. Elle raconte encore comment elle a découvert que le cinéaste Raùl Ruiz était Chilien et originaire de la même région qu’elle qu’après avoir vu plusieurs de ses films.
« Pour ma part, j’ai été peu encouragée par mon entourage familial, très machiste, à faire des études », témoigne Marcela Saïd. Elle apprend le piano et l’anglais dans l’attente d’un mariage qui viendrait couronner son éducation de « petite princesse ». Mais, l’oiseau n’a qu’une envie: quitter son pays. C’est en France qu’elle découvrira les films d’auteur, les documentaires et commencera à faire du cinéma. D’abord pour faire de la politique et expulser la rage qui l’habitait. Auteure de deux longs-métrages de fiction remarqués – elle vient de donner au cinéma un beau personnage de femme avec Mariana -, elle avait notamment réalisé un impressionnant travail d’enquête au Chili sur la pieuvre Opus Dei(2006).
S’emparer de nouveaux rôles
Les rôles des femmes dans le cinéma chilien ont aussi changé, témoignent les invitées de la table ronde. Les femmes, jusqu’à la fin des années 1990, étaient toujours cantonnées à des rôles secondaires. « « Mais pourquoi dans les films latino-américains les femmes sont-elles toujours des prostituées ?« , m’a-t-on demandé quand je suis arrivée aux États-Unis », raconte Andrea Chignoli. Mais maintenant on a des Gloria, des Daniela, des Mariana donc… Paulina Garcia témoigne, elle, du soin qu’elle met à choisir des rôles de femme au cinéma : à ne jamais accepter un rôle où la femme serait dépeinte de façon méprisante, à moins que ce ne soit pour le dénoncer.
Alors y a-t-il une spécificité chilienne ? Tous ces témoignages racontent en creux l’histoire d’un pays, de ses cultures et de ses contradictions. À un spectateur qui lui demande si elle se sent plus Mapuche que chilienne, Claudia apporte cette réponse percutante : « Ce que nous avons appris, nous les jeunes, c’est que notre identité, c’est ce que nous décidons de vivre ». En transposant ça au cinéma, on pourrait dire : mon cinéma, c’est celui des histoires que je veux raconter, peu importe mon sang ou mon sexe. « Je veux, déclare Marcela Saïd, qu’un producteur – si je lui dis que je suis parfaitement capable de faire un film d’action – me fasse confiance comme il le ferait à un homme ». Un message que pourraient reprendre à leur compte nombre de femmes de cinéma, partout dans le monde.
► Le site du festival Cinélatino
RFI