Chaque semaine, dans L’épopée des musiques noires sur RFI, Joe Farmer met en relief la diversité des couleurs sonores nées de la diaspora africaine dans le monde. Abdou Mboup symbolise idéalement cette propagation des traditions ancestrales à l’échelle planétaire et son nouvel album African Lullaby en est le parfait exemple.
Né à Kébémer, à mi-chemin entre Saint-Louis et Thiès au nord-ouest du Sénégal, Abdourahmane Mboup est un percussionniste, chef d’orchestre et compositeur de grande valeur. Dès sa plus tendre enfance, il montre un goût certain pour les cadences du mbalax, ce rythme singulier enraciné dans la culture de sa terre natale. Il deviendra d’ailleurs l’un des maîtres du genre, n’hésitant pas à mâtiner ce tempo si spécifique de mille nuances harmoniques, inspirées de ses nombreux voyages à travers le monde.
C’est grâce au groupe Xalam, illustre formation sénégalaise créée en 1969, que sa notoriété croît rapidement. Il en devient l’un des piliers avant d’être chaperonné par le célèbre et regretté trompettiste sud-africain Hugh Masekela. Xalam se produit alors dans toute l’Afrique et en Europe.
Ce premier contact avec le vieux continent va d’ailleurs inciter le jeune Abdou Mboup à se poser à Paris au tournant des années 1980. Là, il découvre l’engouement de la Ville lumière pour les artistes africains et l’humeur métisse de cette cité rayonnante et accueillante.
Véritable carrefour des musiques internationales, la capitale française nourrit l’inspiration de nombreux artistes afro-épatants. Mory Kanté, Touré Kunda, Youssou N’Dour, et tant d’autres, font vivre l’élan d’ouverture d’une France bienveillance. Abdou Mboup se plaît bien dans cet univers de bouillonnement musical échevelé.
Womad décisif
C’est aussi à cette époque qu’il rencontre le trompettiste américain Jon Hassell, musicien multidisciplinaire dont les œuvres audacieuses le captivent. Abdou Mboup est sur un nuage lorsque son nouvel ange gardien le convie à le suivre au festival Womad à Londres en Angleterre. Ce n’est que le début d’une aventure qui va lui ouvrir les portes de la renommée.
Ses journées s’accélèrent et les propositions se multiplient. Le fameux Eddy Louiss, immense organiste français, le veut à ses côtés. Leur collaboration durera 10 ans. Toujours prompt à tenter de nouvelles expériences, Abdou Mboup participe aussi à l’élaboration d’un groupe de fusion jazz enthousiasmant : Sixun. Il ne restera cependant pas très longtemps au sein de cette formation à géométrie variable préférant se consacrer à d’autres projets.
Au tournant des années 90, les sollicitations sont nombreuses et Abdou Mboup devient un partenaire de choix pour des virtuoses comme Randy Weston ou Pharoah Sanders. L’association la plus surprenante sera scellée en 1991 avec le violoniste Jean-Luc Ponty. Nombre d’amateurs de jazz seront d’ailleurs surpris par l’accent africain de l’album Tchokola auquel se joignent notamment Brice Wassy, Guy N’Sangué, Angélique Kidjo et un Abdou Mboup devenu incontournable. Quelques fines oreilles considéreront, a posteriori, que ce disque fut déterminant pour l’ensemble des interprètes ayant façonné cette musique hybride.
Depuis ce moment clé, Abdou Mboup n’a cessé de se lancer des défis. Il serait impossible de citer ici tous ceux qui eurent recours à ses services… De Claude Nougaro à Nina Simone, de Harry Belafonte à Manu Dibango, de Johnny Clegg à Joe Zawinul, ils sont des dizaines à avoir encensé en studio ou sur scène les prouesses de ce rythmicien hors pair.
Attachement à l’Afrique
Installé aux États-Unis depuis 1995, Abdou Mboup n’oublie pourtant pas le pays qui l’a vu grandir. Chacun de ses propres albums avec son groupe Waakaw reflète son attachement africain, car, même s’il s’est abreuvé de sources culturelles et musicales très riches, il tient à préserver un patrimoine dont il est l’un des légataires.
Ainsi, African Lullaby papillonne entre ses connaissances jazz affûtées et sa maîtrise instinctive d’un art traditionnel séculaire. La métronomie des 12 nouvelles compositions que nous présente aujourd’hui Abdou Mboup est irrésistible parce qu’elle fait appel à l’essence d’une culture. Elle est la matrice de son génie créatif et lui permet de prendre des risques sans jamais se compromettre.
Lui, qui fut si souvent entouré de prestigieux colistiers, s’amuse aujourd’hui à dévoiler toute l’étendue de son talent en se démultipliant sur chaque titre. Il chante, fait les chœurs, programme ses séquences rythmiques, joue ici de la kora, là du Xalam, des claviers ou des percussions et produit l’ensemble.
Une vraie leçon d’humilité et de maturité !
Abdou Mboup African Lullaby (Autoproduction) 2019