Lutte contre la cyberhaine : la longue liste noire des contenus visés par les députés

L’Assemblée nationale examine mercredi la proposition de loi contre les contenus haineux en ligne. Si la lutte contre l’impunité sur Internet fait l’unanimité, les professionnels du numérique s’inquiètent d’un champ d’application trop large.

L’Assemblée nationale examine mercredi la proposition de loi contre les contenus haineux en ligne. Si la lutte contre l’impunité sur Internet fait l’unanimité, les professionnels du numérique s’inquiètent d’un champ d’application trop large.

Stigmatisation des personnes en surpoids, harcèlement scolaire, revenge porn ou même dénonciation des conditions d’élevage des animaux. La liste des sujets qui tomberaient sous le coup de la loi contre les contenus haineux en ligne s’allonge au fur et à mesure que les amendements des parlementaires s’accumulent avant l’examen, mercredi 3 juillet, de la proposition de loi initiée par la députée LREM Laetitia Avia.

Quelques 370 amendements ont ainsi été déposés pour étendre le champ d’application de cette loi au-delà des incitations à la haine, à la violence, et aux injures à caractère raciste ou encore religieuses présentes dans le texte initial. Le site spécialisé sur l’actualité High-Tech NextInpact évoque ainsi un « déluge d’amendements » qui risque d’avoir des « effets dévastateurs sur la liberté d’expression ».

La mesure phare de cette proposition de loi oblige les plateformes et moteurs de recherche à retirer les contenus « manifestement » illicites sous 24 heures, sous peine d’être condamnés à des amendes jusqu’à 1,25 million d’euros. Un « bouton » commun devrait apparaître sur les pages Internet de ces plateformes afin de faciliter le signalement des contenus problématiques par les utilisateurs.

Les contours flous de la cyberhaine

Reste à définir les contenus qui relèvent de la « cyberhaine ». Un grand nombre d’amendements vise précisément à étendre ce caractère illicite à des propos qui sont actuellement considérés comme relevant de la liberté d’expression.

Par exemple, l’amendement n°131 insiste pour que la stigmatisation des activités agricoles, d’élevage ou de vente de produits issus de l’agriculture et de l’élevage soit considérée comme un propos haineux. Les auteurs de cet amendement font un lien entre l’expression des opinions antispécistes sur les réseaux sociaux et les actions chocs contre les professionnels de la viande, le tout sous le néologisme d’agribashing.

« L’incitation par Internet à commettre ces actes et à discréditer notre modèle agricole et notre modèle d’élevage français ne doit pas rester impunie », avancent les 13 députés LR ayant rédigé le texte.

La liste noire des amendements détaillée par NextInpact démontre la volonté d’étendre le domaine de la loi à un grand nombre de propos, allant des commentaires désobligeants sur le physique (grossophobie, « body shaming ») aux critiques contre le sionisme, en passant par le harcèlement sexuel, moral, ou scolaire.

Doutes sur l’efficacité de la loi

Ce déferlement d’amendements fait partie du jeu parlementaire classique, chaque député essayant de montrer qu’il défend les intérêts de sa chapelle, même si leurs textes sont ultérieurement passés à la trappe. Mais les professionnels du numérique s’inquiètent de cette tendance lourde à vouloir déléguer aux plates-formes sur Internet le retrait de propos haineux dont la définition n’est pas clairement fixée. Les plateformes devront effectivement décider très rapidement par elles-mêmes quels contenus retirer, au risque d’une cascade de polémiques et conflits juridiques.

Les trois principales organisations françaises de professionnels du numérique – Tech in France, Syntec Numérique et l’Asic – estiment donc que les députés visent trop large dans les contenus, « au risque de compromettre » l’application de la loi.

Cette critique se nourrit également du premier bilan de la loi NetzDG en Allemagne, qui a inspiré le texte français en discussion. Six mois après l’entrée en vigueur de la loi NetzDG, près de 80 % des contenus signalés par les utilisateurs n’avaient pas été supprimés. Les chiffres fournis par Facebook, YouTube et Twitter montrent que les contenus supprimés dans le cadre de cette loi ne sont qu’une goutte d’eau, comparée aux nombres de contenus supprimés par les mécanismes de modération internes à ces plateformes.