parrainage viole la Constitution du Sénégal et masque en réalité une crise politique profonde au sein de ma mouvance présidentielle. Laquelle chercherait à travers ce mécanisme à compenser d’une part, l’érosion de la confiance dont elle ne bénéficie plus auprès d’une bonne partie de la population ; et, d’autre part, à éviter une dispersion des voix qui sera politiquement « fatale » au Président de la République Macky Sall dès le premier tour.
Par conséquent, l’argumentaire du Ministre de la justice, qui, soi-disant, voudrait éliminer les candidats fantaisistes et mettre fin à une discrimination voire une rupture d’égalité entre les candidats indépendants et les partis politiques, ne me semble pas juridiquement convaincant.
1. La loi sur parrainage : une incapacité manifeste du Président de la République à fédérer sa famille politique
Le Président de la République Macky Sall sait qu’il ne bénéficie plus du contexte favorable de l’élection présidentielle 2012. Sa cote de popularité est au plus bas depuis une série de condamnations de leaders politiques : Karim Wade, Khalifa Sall, puis…l’incarcération de Barthélémy Dias…
Combiné au fait qu’il avait bénéficié pour être élu en 2012, de l’électorat de Khalifa Sall et d’Idrissa Seck, entre autres. Ce qui, de toute évidence, ne sera pas le cas en février 2019. Or, si on regarde dans le camp présidentiel, l’électorat de Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng ne permettra pas au Président de la République Macky Sall de compenser les pertes de voix. S’y ajoutent les divisions internes au sein de l’A.P.R. (Alliance pour la République)…
De plus, le mérite a cédé le pas à une gestion très colorée voire parcellaire ou très clanique des postes de responsabilité, mais aussi du pouvoir, qui font qu’aujourd’hui, l’immense majorité de la population sénégalaise ne s’identifie plus à ce régime. Qu’on l’accepte ou la réfute, telle est la réalité du terrain, sauf si les conseillers politiques du Président de la République prêchent dans le désert.
Donc, à moins d’un an de l’élection présidentielle, c’est un Président de la République affaibli politiquement qui cherche à reconquérir un électorat perdu. Et pour ne pas prendre de risque, il utilise pour le moment deux stratégies : la première, elle est connue de tous…la seconde, c’est justement la loi en cours sur le parrainage.
En effet, dans le contexte politique sénégalais, le parrainage traduit en réalité, la peur de l’exécutif d’une dispersion des voix et son incapacité même à rallier la coalition qui l’avait porté au pouvoir en 2012.
2. La loi sur le parrainage : une violation caractérisée de la Constitution sénégalaise
La loi sur le parrainage est inconstitutionnelle, en ce sens que l’article 103 de la Constitution dans sa version issue de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016, portant révision de la Constitution, précise que : « (…) La forme républicaine de l’État, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision. L’alinéa 7 du présent article ne peut être l’objet de révision ».
Malgré la clarté de cette disposition, le Ministre de la justice essaie de mettre en place un bricolage juridique, en faisant une distinction entre le « mode de scrutin » et les « modalités de l’élection », pour trouver ainsi une faille lui permettant de déconsolider notre Constitution.
D’abord, on attire l’attention du Ministre de la justice sur le fait que le texte ne fait pas référence au « mode de scrutin », il fait plutôt référence au « mode d’élection » qui est plus large et regroupe aussi les « modalités de l’élection ».
En effet, en utilisant volontairement l’expression « mode de scrutin », et en procédant à un découplage entre le « mode de scrutin » et les « modalités de l’élection » : le Ministre de la justice entend là endormir certains constitutionnalistes qui ne seraient pas vigilants. Pourquoi ? C’est là où intervient l’intérêt d’une parfaite connaissance de la théorie du droit qui permet de voir ici la face-cachée de l’iceberg. En effet, séparer le « mode d’élection » de ses « modalités », reviendrait d’une part, à séparer un contenant de son contenu ; et pire, cela conduirait à tort, à séparer le « mode d’élection » de ses accessoires dont les « modalités de l’élection », en font partie intégrante. Ne pas l’admettre, c’est ignorer la théorie de l’accessoire en droit. Laquelle a une utilité très pratique en telle circonstance et dans toutes les disciplines. On ne peut pas séparer une montre de ses accessoires sans porter atteinte à son caractère esthétique d’origine. De la même manière, on ne peut pas détacher le « mode d’élection » de ses « modalités », sans déconsolider la Constitution. En effet, la relation qu’entretient le « mode d’élection » avec ses « modalités », est fusionnelle. Si bien que, les « modalités de l’élection » constituent un passage obligé du « mode de l’élection ». Si on essaie de séparer l’un de l’autre, on perd un maillon important de la chaîne. Ce qui serait de nature à porter atteinte à l’effet utile de l’article 103 de la Constitution dans sa version issue de la loi constitutionnelle de 2016, précitée.
Par conséquent, on ne peut pas détacher le « mode d’élection » de ses accessoires que constituent ici les « modalités de l’élection », sans violer la Constitution. Parce qu’ils sont consubstantiels, et donc, pas détachables juridiquement. Il ne faut pas oublier que la Constitution n’a pas pour vocation à entrer dans l’excès de détails, c’est la raison pour laquelle, elle a utilisé le terme générique : « mode d’élection », qui a pour vocation à regrouper l’ensemble. Donc, il faudrait plutôt y voir un contenant avec des contenus dont les modalités de l’élection, le parrainage, etc.
3. La loi sur le parrainage : une élimination supposée des candidats fantaisistes
L’argument ne convainc pas. Nombreux ont été les travaux en droit comparé ayant relevé que : « (…) la procédure dite de parrainage ne permet pas de contenir une inflation massive de candidatures », Jean-Pierre Camby, RDP, 2002, p. 610.
Au demeurant, en France par exemple, le parrainage connaît une série de râtés, notamment lors de l’élection présidentielle de 1974 où 12 candididatures parviennent à obtenir les parrainages nécessaires. Le filtre devient totalement inefficace en 2002 où 16 candidats s’affrontent, Voir, Les parrainages à l’élection présidentielle : état et perspectives, p. 5.
Au Sénégal, même s’il s’agit d’un parrainage par des citoyens, il n’en demeure pas moins que 65.000 voire 70.000 signatures, c’est déraisonnable et techniquement ingérable dans un État comme le nôtre.
À cet égard, je rappelle qu’en France, rien que pour contrôler seulement 500 signatures : « les opérations techniques et administratives afférentes à ce traitement ont mobilisé pendant près de trois semaines, sous l’autorité des membres du Conseil, ses dix rapporteurs-adjoints et tous ses collaborateurs (…). Le greffier du Conseil en a assuré le pilotage ». De manière plus précise, le service juridique du Conseil était assisté de 5 magistrats du Conseil d’État et de 5 autres de la Cour des comptes ; une vingtaine de gendarmes logés au 5e étage veillait jour et nuit sur les cartons contenant les formulaires », Voir, Jean-Eric Schoettl, « Le Conseil constitutionnel et l’élection présidentielle de 2002 (juin 2000 – mai 2002) », Petites Affiches, 12 juin 2002, n° 117, p. 12, cité par Patrick Grosieux, « Droit constitutionnel électoral. Le « parrainage » des prétendants à l’élection présidentielle : simple formalité juridique ? », Revue française de droit constitutionnel 2004/3 (n° 59), pp. 580-581.
Alors, je vous laisse donc imaginer ce que va être le contrôle de 70.000 signatures. En plus du fait que l’introduction du parrainage bis viole la Constitution du Sénégal ; tel qu’il conçu, le nouveau dispositif en cours sur le parrainage est aussi irrationnel à tout point de vue.
4. La loi sur le parrainage : une correction alléguée à une discrimination ou une rupture d’égalité entre les candidats indépendants et les partis politiques
Cet argument allégué ne me semble pas recevable en droit. Il ne convainc pas. Parce qu’en droit, il peut ne pas y avoir de discrimination ou de rupture d’égalité, dès lors que l’on est en présence d’une situation objective, appréciable et en rapport avec l’objet (ici le parrainage). C’est justement le cas de la situation des candidats indépendants par rapport aux partis politiques légalement constitués.
L’autre problème tient à l’insertion dans le projet de loi sur le parrainage du concept de « sénégalais électeur ». Cette formule n’est pas anodine, elle éliminerait d’office Karim Wade et consort de la course à l’élection présidentielle de 2019, sous réserve de l’adoption dudit projet de loi. Même les profanes le savent…
5. La loi sur le parrainage : une loi constitutionnelle déconsolidante suscitant de nombreuses interrogations
Le projet de loi sur le parrainage, c’est en réalité une loi qui ouvre beaucoup de brèches, et qui suscite une multitude d’interrogations qui ne trouvent pas de réponse dans le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale. Par conséquent, c’est une loi qui n’est pas en adéquation avec la sécurité juridique.
D’une part, il faut d’abord signaler la non-implication dès le départ des leaders des grands partis de l’opposition. En démocratie, il n’est pas admis d’exclure des travaux préparatoires d’une réforme majeure : les principaux protagonistes. Par exemple, une réforme qui touche les collectivités locales doit inclure leurs représentants. De la même manière, une réforme qui touche les partis politiques doit inclure leurs leaders, leurs représentants, dans le cadre d’un dialogue constructif en amont. On n’est pas en présence d’une loi ordinaire, mais, d’une loi constitutionnelle qui touche un domaine très sensible.
D’autre part, la volonté d’appliquer cette hypothétique réforme dans l’immédiat à l’élection présidentielle de 2019, laisse perplexe. Parce que le Sénégal n’a pas assez de recul vis-à-vis de cette procédure de parrainage, et n’est pas suffisamment préparé techniquement, matériellement et humainement, à moins d’un an de l’élection pour éviter les cafouillages. L’expérimentation de la procédure de parrainage aux seuls candidats indépendants ne constitue pas, à elle seule, un motif suffisant pour le généraliser à l’ensemble du dispositif. Ce qui est valable aux candidats indépendants n’est pas forcément valable aux partis politiques.
Que faire en cas de doublon de signatures d’un parrain pour ne pas pénaliser un candidat ? Dans cette hypothèse, les partis politiques auront-ils suffisamment de temps pour régulariser leur situation ? De quel délai vont-ils disposer ? Le contentieux lié au parrainage sera-t-il totalement vidé avant la proclamation par le Conseil constitutionnel de la liste des candidats officiellement en compétition ? La liste des parrains sera-t-elle publiée pour aider les candidats à opérer les corrections nécessaires dans le délai, notamment, en cas de doublons ou d’erreurs ? Le Sénégal a-t-il réellement besoin d’un dérèglement de son dispositif constitutionnel et électoral à moins d’un an de l’élection présidentielle ? Comment le Conseil constitutionnel sénégalais a été outillé pour contrôler un grand nombre de signatures dans un temps très limité ? Sans parler des moyens techniques, matériels et humains que cela nécessite pour un contrôle sérieux et normal des signatures, etc.
C’est autant de questions qui nécessitent un recul à l’égard d’une hypothétique généralisation de la procédure de parrainage, qui, au demeurant, est contraire à la Constitution sénégalaise dont l’article 103 précité, fait écran à toute révision du mode d’élection ou de ses modalités ou de ses démembrements.
Le projet de loi sur le parrainage pose donc plus de problèmes qu’il en résout.
Enfin, croire que le contentieux lié aux parrainages sera correctement vidé en un temps record pour 70.000 signatures, c’est un leurre.
Quoi qu’il en soit, afin de ne pas porter atteinte à notre démocratie et à notre Constitution, le Président de la République Macky Sall doit, pour sauvegarder la paix sociale, retirer le projet de loi sur le parrainage. On ne doit pas toucher à une disposition déjà sanctuarisée dans la Constitution. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Alioune Gueye,
Professeur de Droit public,
Membre du Comité scientifique à la Revue juridique et politique des États francophones (Paris- France),
Membre du Comité scientifique à la Revue québécoise de Droit international public (Québec-Canada),
Ancien A.T.E.R en Droit public en France, Rang 1er