Selon la transcription d’un appel téléphonique entre Donald Trump et Volodymyr Zelenskiy rendue publique par la Maison Blanche ce mercredi 25 septembre, le président américain a bien demandé à son homologue ukrainien d’enquêter sur son rival démocrate Joe Biden.
C’est un Donald Trump très remonté qui s’est exprimé mercredi 25 septembre en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York. Au lendemain du lancement par les démocrates d’une procédure de destitution à son encontre, à 400 jours de la présidentielle, le président des États-Unis s’est redit victime de « la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire américaine ».
Le chef de la première puissance du monde est accusé d’avoir fait pression sur un chef d’État étranger pour compromettre un rival politique en vue du scrutin 2020. En conférence de presse, il fait mine d’être étonné, rapporte notre correspondant aux États-Unis, Éric de Salve : « C’est une blague ? Une destitution pour ça ? Alors que nous avons eu un appel téléphonique merveilleux… »
En cause, un échange par téléphone, datant du 25 juillet dernier, avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelenskiy, depuis la Maison Blanche. La transcription de cette conversation, que la présidence a dû rendre publique, le confirme : Donald Trump a bien demandé au chef de l’État ukrainien d’enquêter sur son rival Joe Biden, favori dans la course à l’investiture démocrate.
« Ce serait formidable si vous pouviez vous pencher dessus »
L’actuel locataire du bureau Ovale soupçonnait l’ancien vice-président de Barack Obama d’avoir fait limoger un procureur ukrainien, quand il était encore en poste en 2014, pour protéger son fils d’une enquête de corruption. Le fils Biden travaillait à l’époque pour un groupe gazier ukrainien.
« J’aimerais que vous nous fassiez une faveur », lance dans la conversation Donald Trump à M. Zelenskiy. « On parle beaucoup du fils de Biden et du fait que Biden ait arrêté l’enquête, et beaucoup de gens veulent en savoir plus sur le sujet, donc ce serait formidable si vous pouviez vous pencher dessus », dit-il.
M. Trump propose ensuite à son homologue de travailler en coopération avec son avocat, l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani, « un homme très respecté ». Mais également avec le ministre américain de la Justice, Bill Barr ! Il précise que les deux juristes vont se mettre en contact avec lui prochainement.
« Les États-Unis ont été très très bons pour l’Ukraine »
Quelques jours avant cet échange téléphonique, pour ne rien arranger, le président américain avait gelé une aide de près de 400 millions de dollars destinée à Kiev. Les démocrates le soupçonnent donc désormais d’avoir utilisé ce levier pour mettre la pression sur le président ukrainien afin de nuire à Joe Biden.
Dans sa conversation, Donald Trump ne mentionne pas cette aide ; il se plaint juste que les États-Unis en fassent plus pour l’Ukraine que les Européens. « Les États-Unis ont été très très bons pour l’Ukraine et je ne dirai pas que ça a forcément été réciproque », ajoute-t-il, précisant que la tentaculaire enquête, aujourd’hui bouclée, sur l’ingérence russe en 2016 avait trouvé des ramifications en Ukraine.
La conversation soulève par ailleurs la question d’une autre contrepartie : M. Trump invite finalement son homologue à Washington, après avoir écouté sa réponse sur sa demande concernant l’ex-vice-président. Les démocrates sont donc désormais armés pour une procédure de destitution que la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi se refusait jusqu’ici d’ouvrir.
ANALYSE
Joe Biden a-t-il tenté de protéger son fils d’une enquête en Ukraine ?
Ce nouveau scandale sème l’embarras jusque chez les républicains. C’est « profondément préoccupant », a commenté Mitt Romney. Ce n’est sans doute pas encore suffisant, loin de là, pour permettre aux démocrates de faire voter par le Sénat leur procédure, mais l’affaire pourrait valoir quelques ennuis à Donald Trump, mais aussi à son ministre de la Justice.
Hunter Biden, fils de Joe, a effectivement été membre, entre 2014 à 2019, du comité de surveillance du groupe gazier ukrainien Burisma, un temps visé par une enquête par corruption. Pour sa part, il n’a toutefois jamais été inquiété. Mais Donald Trump accuse Joe Biden d’avoir réclamé en 2015 le limogeage du procureur général ukrainien pour protéger ses intérêts.
Le vice-président américain de l’époque a bien exigé le départ de ce procureur. En revanche, il semblerait qu’il l’a fait dans le cadre d’une campagne de lutte contre la corruption menée avec les Européens et les organisations internationales qui, eux aussi, militaient pour le départ de ce responsable accusé d’entraver les réformes.
ANALYSE
« Le fils Biden a quitté l’Ukraine avec des millions de dollars »
Volodymyr Zelenskiy s’est également exprimé devant la presse mercredi, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Enfoncé dans un fauteuil, le jeune et inexpérimenté président ukrainien s’est retrouvé bombardé de questions, auxquelles il a répondu assez à l’aise, rapporte notre envoyée spéciale Murielle Paradon.
« Ce fut un bon échange téléphonique, normal », a déclaré Volodymyr Zelenskiy. « Personne n’a fait pression sur moi », a-t-il ajouté, insistant sur le fait qu’il ne voulait pas « être impliqué dans les élections aux États-Unis ». Il faut dire qu’il avait alors, juste à côté de lui en conférence de presse conjointe, son homologue américain.
« Personne n’a fait pression ! », s’est empressé de confirmer ce dernier, qualifiant l’échange d’« anodin » et dénonçant une affaire « montée de toutes pièces ». « Moi, je voulais juste lui demander de faire ce qu’il pouvait – et ce n’est pas sa faute – pour lutter contre la corruption massive. Et quand le fils de Joe Biden a quitté l’Ukraine avec des millions de dollars, il n’était pas au courant. Et ces millions de dollars, c’est de la corruption ! »
REPORTAGE
« Encore plus accablant que ce que j’avais imaginé »
C’est « encore plus accablant que ce que j’avais ou que ce que beaucoup d’autres avaient imaginé », a dénoncé à la presse l’influent élu démocrate Adam Schiff, président de la commission du Renseignement de la Chambre des représentants. « Ces notes reflètent un chantage mafieux classique », ajoute-t-il, cinglant.
« Il ne s’agit pas de politique. Il y a des sujets qui sont plus importants que la politique. J’ai prêté serment en devenant sénatrice, comme tous les élus du Congrès ; et ce serment nous engage à respecter la Constitution des États-Unis. Personne n’est au-dessus des lois, même pas le président », attaque également Elisabeth Warren, candidate à la primaire démocrate, au micro de notre correspondante à Washington, Anne Corpet.
Et d’ajouter : « Il a clairement montré que si le Congrès ne le place pas devant ses responsabilités, il est prêt à enfreindre la loi aussi souvent que cela peut l’arranger pour sauver ses intérêts et promouvoir son propre agenda politique. Ce n’est pas comme cela que fonctionne notre gouvernement. Nous avons des responsabilités qui sont bien plus importantes que la politique. »
« L’influence de l’Ukraine en Amérique doit faire pâlir Poutine »
En Ukraine, l’affaire est évidemment suivie de près, comme le rapporte notre correspondant à Kiev, Sébastien Gobert. « L’influence qu’a l’Ukraine sur la politique américaine doit faire pâlir Poutine de jalousie », commente un internaute sur les réseaux sociaux, résumant l’amusement des Ukrainiens quant à la place inattendue que leur pays prend ces jours-ci à Washington.
Un amusement toutefois teinté d’inquiétude. Une dispute diplomatique avec les États-Unis ne ferait qu’affaiblir la position ukrainienne dans les négociations face à la Russie. Les conséquences sont redoutées, et l’attitude de Volodymyr Zelenskiy scrutée dans le détail. Le président n’est pas soupçonné à Kiev d’avoir accordé de faveur, aucune enquête contre le fils Biden n’est ouverte. Mais les intentions du président ukrainien demeurent un mystère.
L’ironie est en tout cas cruelle : Volodymyr Zelenskiy a promis pendant sa campagne de lutter contre la corruption endémique et la justice sélective. Et voilà qu’on lui aurait demandé d’initier des poursuites judiciaires politisées, demande n’émanant ni des oligarques, ni de personnalités douteuses de cette république post-soviétique, mais tout bonnement du leader du monde libre.
Rfi