Irak: les deux visages de la place Tahrir

La violente répression en Irak a considérablement affaibli la mobilisation populaire. La place Tahrir, épicentre de ces manifestations antigouvernementales à Bagdad, offre désormais deux visages : elle est quasiment vide en journée mais le soir, les plus téméraires font entendre leur voix.

Avec nos envoyés spéciaux à Bagdad, Sami Boukhelifa et Boris Vichith

Il est midi sur la place Tahrir, et seuls une cinquantaine d’étudiants manifestent encore. Drapeau irakien sur les épaules, Malek Hussein, futur ingénieur, semble déterminé à poursuivre la mobilisation. « À cause de la répression, les gens ont abandonné le combat. Nous subissons également des pressions. Des agents de la sécurité nationale nous ont menacés. Ils sont venus à la fac et nous ont même violentés. Ils nous ont dit : les manifestations, c’est terminé ! Mais leurs menaces ne m’arrêteront pas. »

Le soir, les renforts arrivent et la foule grossit. Zeidoune est aussi étudiant. Mais lui a choisi de manifester après les cours seulement. « Bien sûr qu’il y a moins de monde dans les rues. On nous a menacés. Ils nous ont dit : si vous ne revenez pas à la fac vous serez exclus. Et ils ont dit aux fonctionnaires qui manifestaient qu’ils risquaient d’être mis à la porte. On n’a pas le choix. » Il a passé ces dernières semaines à collecter des douilles d’armes automatiques et des cartouches de gaz lacrymogènes, et espère que ces preuves serviront à d’éventuels enquêteurs de l’ONU.

À la télévision les autorités disent que les forces anti-émeutes n’utilisent que des balles à blanc, c’est faux ! Tous les jours, il y a des morts et des blessés.

Témoignage de Zeidoune, jeune manifestant irakien de la place Tahrir
12/11/2019 – par Sami BoukhelifaÉcouter
En fin de journée, les tirs de gaz lacrymogènes reprennent et avec eux, le ballet des ambulances transportant les blessés.

Une mobilisation populaire très affaiblie par la répression

Les irréductibles de la place Tahrir dénoncent un État « voyou », adepte de menaces et d’intimidations ciblées, d’enlèvements de militants et de représentants de la société civile. Ils accusent les autorités d’agir dans l’ombre via les services de sécurité. « Ils viennent vous voir chez vous et menacent votre famille », confie un étudiant, qui affirme que plusieurs de ses camarades sont portés disparus.

Mais si le pouvoir est parvenu à briser ce mouvement populaire, c’est aussi grâce aux interventions musclées successives des forces de l’ordre. Tirs à balles réelles, gaz lacrymogènes et grenades assourdissantes ont contribué à mettre en place un climat de terreur. Plusieurs morts ces derniers jours, encore plus ces dernières semaines : un vent de panique s’est emparé de la rue.

Pour l’instant, le pouvoir politique reste silencieux. Les dirigeants contestés sont toujours en place. Rien n’a changé en plus de 40 jours de mobilisation populaire en Irak, un mouvement inédit par sa spontanéité.

rfi