À six mois du référendum d’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, Emmanuel Macron s’apprête à visiter cet archipel français du Pacifique du 3 au 5 mai 2018. Aussi attendu que polémique, son déplacement est confirmé sur la petite île d’Ouvéa, au nord de la Grande-Terre. Ce sera la première fois qu’un président de la République se rend dans ce haut-lieu de l’indépendantisme kanak.
À Nouméa, la capitale de la Nouvelle-Calédonie, la visite d’Emmanuel Macron ne suscite pas une très grande effervescence. « Je n’étais pas au courant de sa venue jusqu’à ce que je lise le journal, témoigne Lelainie, jeune institutrice calédonienne. Après, c’est normal qu’il vienne, nous sommes français et il est notre président. Mais je n’attends pas grand-chose de son discours. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il me paraît important qu’il s’exprime et donne son point de vue alors que le référendum approche. »
Dans six mois, le 4 novembre 2018, les électeurs de cet archipel français de l’océan Pacifique devront répondre à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Ce scrutin devrait être une étape historique dans le processus de décolonisation inauguré il y a trente ans.
Un processus qui a commencé dans le sang. Le 5 mai 1988, l’armée française donnait l’assaut sur une grotte où un commando indépendantiste kanak (du peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, présent bien avant la prise de possession française) retenait des gendarmes en otages. C’était à Ouvéa, une île très proche de la Grande-Terre, et la tragédie a fait 19 morts parmi les preneurs d’otages. Certains ont été exécutés sur place de façon sommaire.
L’évènement a suscité les Accords de Matignon, signés à Paris en juin 1988 et a ouvert la voie à de nombreuses avancées politiques pour les Kanaks ainsi qu’au référendum qui se tiendra à la fin de l’année. Il a aussi laissé un traumatisme durable dans la société calédonienne.
Voilà pourquoi la visite sur place du président de la République, pour le jour anniversaire de la tragédie, était loin de faire consensus. C’est un autre président de la République, François Mitterrand, qui a signé l’ordre d’assaut, tiennent à rappeler des habitants de l’île – réunis au sein du « Collectif de Gossanah ». Ils ont vivement protesté contre la visite présidentielle, jusqu’à estimer dans un communiqué qu’il s’agissait d’une « provocation ». Et ont promis des manifestations musclées s’il venait à se montrer sur place ce jour-là.
«Honorer les morts»
Après un certain suspense sur le programme présidentiel, Emmanuel Macron a finalement décidé de maintenir sa visite à Ouvéa, mais a consenti à se limiter à « un geste pour honorer les morts et préparer l’avenir». Il ne fera pas de discours sur place, ne voulant pas donner le sentiment d’instrumentaliser la tragédie et le fait qu’il soit le premier président de la République à venir jusqu’à l’île d’Ouvéa.
Cette île est depuis bien longtemps déjà un haut-lieu de l’indépendantisme, mais l’intégralité de l’archipel n’est pas dans les mêmes dispositions belliqueuses envers Emmanuel Macron. La droite non-indépendantiste a ainsi appelé à une « grande marche bleu-blanc-rouge» le jeudi 4 mai. L’objectif est de « montrer au président de la République que la majorité des Calédoniens veut rester dans la France », selon ses organisateurs.
« Il ne reste que quelques jours, je ne vois pas ce qu’il pourrait dire d’intéressant. Il ne connaît pas nos conditions de vie ici, il n’aura pas le temps de prendre conscience des problèmes que nous rencontrons… », temporise Stanley, jeune père de famille originaire de Houaïlou, un village de brousse.
À défaut de l’opinion publique et de l’homme de la rue – plutôt indifférent au déplacement d’Emmanuel Macron dans l’océan Pacifique – l’idée que Macron doit dire clairement ce qu’il pense du référendum du 4 novembre est partagée par la majorité de la classe politique calédonienne, toutes tendances confondues.
Peu d’information sur le référendum du 4 novembre
Au-delà de son passage à Ouvéa, le programme du président comporte un large volet « mémoriel ». Ce déplacement est consacré à l’héritage de la colonisation, sur cette terre distante de 16 000 kilomètres de Paris, qui fut une colonie de peuplement ainsi qu’un bagne durant de longues années.
Emmanuel Macron restituera de façon symbolique au gouvernement calédonien l’acte de prise de possession de l’archipel par la France, en septembre 1853. Ce document était jusqu’ici conservé en métropole et il s’agit pour l’Elysée de montrer que la Nouvelle-Calédonie a maintenant en mains les clés de son destin.
Le chemin sera pourtant bien long encore jusqu’au référendum du 4 novembre. L’Organisation des Nations unies, qui suit attentivement le processus de décolonisation ainsi que l’organisation du scrutin, a dénoncé à de nombreuses reprises « le manque d’information » de la population sur les alternatives à la présence de la France dans le Pacifique.
Le Premier ministre français Edouard Philippe a bien promis une « campagne d’information des électeurs », qui comporte un volet historique, mais pour l’instant les électeurs calédoniens n’ont rien vu venir. Peu surprenant, dans ces conditions, qu’en dehors d’une franche opposition d’une partie des indépendantistes, la visite d’Emmanuel Macron ne soulève pas d’enthousiasme exagéré dans l’archipel français.