Penché sur la capote ouverte de son véhicule « 7 places », Aladji Sall examine les différents organes du moteur. Au même moment, ses passagers s’acquittent des formalités administratives au poste frontière de Keur Ayib. Au bout de 10 mn, toutes les formalités sont terminées et le chauffeur reprend le volant. Au total, il aura fait moins de 30 mn en terre gambienne.
Un temps record qui témoigne de l’importance du pont de Farafenni sur la traversée de la Gambie. A peine la question soulevée que le conducteur, jusqu’ici concentré sur son moteur, se redresse et ajuste son boubou. « Un jour, j’ai quitté Kolda à 7 h du matin et j’ai passé la nuit à Kaolack. Avec un bon véhicule, on peut passer la nuit à Dakar. Avant le pont, c’était inimaginable », lance-t-il, les yeux pétillant de satisfaction.
En fait, le pont de Farafenni a longtemps suscité un espoir du côté de la partie sénégalaise, notamment les habitants de la Casamance et les commerçants qui éprouvaient d’énormes difficultés pour traverser le fleuve Gambie via les bacs de Farafenni. Les paquebots gambiens n’étaient plus que des masses de ferraille rouillées qui tombaient en panne régulièrement, rendant la traversée aléatoire.
Inauguré le 21 janvier 2019 par les présidents sénégalais et gambien après 4 ans de travaux, le pont, d’un montant de 50 milliards, a été financé gratuitement par la Banque africaine de développement pour faciliter les déplacements des personnes et booster les échanges entre les pays de l’espace Cedeao, grâce à des infrastructures de qualité. Il fait partie du grand corridor sous-régional Dakar-Lagos, en passant par Banjul, Bissau, Conakry, Freetown, Monrovia, Abidjan, Accra, Lomé et Cotonou.
Baptisé officiellement transgambienne, l’ouvrage, long de 1,5 km, enjambe le fleuve Gambie. C’est un vieux projet des années 70 maintes fois annoncé, sans qu’il ne voie le jour, du fait de la méfiance du côté gambien. Banjul avait d’abord invoqué la navigabilité du fleuve du temps de Daouda Diawara, avant de brandir l’argument sécuritaire sous le règne de Jammeh, marqué par des relations heurtées entre les deux voisins.
« Sirate », le pont de l’enfer
En août 2018, à quelques mois de la livraison du pont, il n’y avait qu’un seul ferry sur trois. Ce qui rendait la traversée extrêmement difficile. Moussa Diagne, un des habitués de la route exprimait la souffrance, dans le journal EnQuête, par une comparaison qui en dit long sur l’épreuve. « Vous connaissez « sirate » (le pont au-dessus de l’enfer) ? Il est plus facile de traverser là-bas que de passer ici », disait-il sur un ton sérieux. En période de fête, des Sénégalais de la partie sud du pays ont, à plusieurs reprises, égorgé leur mouton de tabaski à l’embarcadère.