Chers concitoyens,
Il y a un mois, l’annonce d’une réduction de la subvention à la consommation de l’électricité a été l’un des éléments déclencheurs d’un mouvement d’humeur : « nio lank, nio bagn ». Cette réduction de la subvention est assimilée à une augmentation du prix de l’électricité et partant, à une forfaiture. Or, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est le prix de la responsabilité de plusieurs générations face à une politique énergétique inéquitable et discriminante, qui a mis les finances publiques dans une situation de perpétuelle tension.
L’accès des populations à l’électricité a toujours été une priorité de premier ordre pour tous les gouvernements qui se sont succédé au Sénégal. Facteur essentiel de développement économique et social, l’électricité est un bien devenu nécessaire et indispensable dans la vie quotidienne mais qui coûte très chère. Et si l’Etat devait appliquer la vérité des prix aux consommateurs, elle aurait été inaccessible à la majeure partie des populations, au vu du choix de la principale source de production d’énergie, parmi les plus chères au monde, qui avait été fait dès le départ par nos gouvernants, à savoir le pétrole brut importé.
Depuis 1960, un prix administré est payé par le consommateur d’électricité et c’est l’Etat qui supporte le différentiel entre le prix de revient et le prix fixé et administré. Entre 2017 et 2019, cette subvention a couté 315 milliards FCFA à l’Etat. Ce faisant, c’est comme si le Sénégal renonçait virtuellement à son indépendance énergétique par la non acquisition d’une centrale solaire de 200 mégawatts (MW) ou la non construction d’une centrale hydroélectrique de plus de 100 MW, pour pouvoir honorer la subvention à l’électricité.
Cette subvention, supportée par le contribuable, depuis l’aube de l’Indépendance, n’est-elle pas une priorité stratégiquement de moindre importance par rapport à l’ambition nationale d’accès universel à l’électricité ?
Or, pour réaliser l’accès universel à l’électricité, le principal levier sur lequel l’Etat peut s’appuyer c’est l’investissement public. Comment financer cet investissement ?
C’est précisément pour répondre à cette exigence d’accès universel à l’électricité que le gouvernement a décidé de réduire, à partir de ce 1er décembre 2019, sa contribution à la subvention aux gros et moyens consommateurs, entrainant du même coup, une hausse induite du prix de l’électricité pour ces derniers. Cette mesure ne concerne pas les petits consommateurs, qui représentent environ 55% des abonnés. Ils continueront, comme par le passé, à bénéficier des mêmes privilèges de subvention de la part de l’Etat.
Ce changement de paradigme est malheureusement mal interprété par des activistes, très vite rejoints par une partie de l’opposition, qui pensent avoir trouvé, là, une excellente occasion pour se donner un nouveau souffle.
Sans le savoir, ces « vaillants combattants autoproclamés des causes justes » sont en train de se battre pour le maintien d’un système de subvention à la consommation de l’électricité dont ils ne perçoivent même pas le côté inique, injuste et inhibiteur de tout effort d’investissement.
Chers concitoyens,
Au-delà de la hausse ciblée du prix de l’électricité, je vous invite à la réflexion constructive car il nous faut élever le niveau du débat public posé par le gouvernement afin de bâtir ensemble les fondements d’un nouveau compromis social plus équitable, promouvant les solidarités entre villes et zones rurales, entre nantis et démunis, pour un objectif commun d’accès universel à l’électricité.
Osons le dire, l’ancien modèle politique et économique de la subvention indifférenciée à la consommation de l’électricité est, dans le contexte actuel de notre développement, une aide socialement injuste et territorialement inéquitable. Une aide à laquelle on s’est tellement habituée qu’elle passe pour un droit puisqu’elle nous est présentée, pour les besoins de la « lutte » ainsi entamée, comme un acquis social que l’Etat arrache aux consommateurs.
Or, cette subvention, dans son principe comme dans son application est porteuse de plusieurs contradictions qui la rendent à la fois socialement injuste, inéquitablement répartie, économiquement inefficiente, budgétairement non viable et politiquement inadaptée.
1) On veut une énergie abordable alors qu’on a fait l’option d’une source de production chère
Ce qui en cause ici, c’est l’absence d’une vision à long terme. La plupart des Etats ont reproduit le modèle de production et de distribution électrique légués par le colonisateur, avec comme principale source énergétique, le pétrole et comme modalité, la subvention. Importée d’ailleurs pour assurer le confort de l’ancien colonisateur, la subvention a été par la suite adoptée par les élites intellectuelles, politiques et citadines pour conserver ces mêmes privilèges hérités, au détriment des populations défavorisées du monde rural.
Si très tôt l’option avait été de fournir l’électricité par une source de production hydroélectrique, à l’instar de ce qui se fait avec le barrage de Manantali dont le coût de production du kWh est de 34 francs CFA, au lieu de 80 à 90 francs CFA le kWh pour nos centrales thermiques, jamais on aurait eu besoin de passer par la subvention pour le maintien d’une tarification abordable.
Si, par ailleurs, les potentialités hydroélectriques de Sambagalou, Kaléta, Gouina, Koukoutamba, etc., avaient été développées par le Sénégal, la Gambie, le Mali et la Guinée, au moins 50 % de nos besoins nationaux en électricité auraient été couverts, induisant une relative indépendance énergétique et surtout une baisse d’au moins 50 % des prix actuellement pratiqués dans la sous-région.
La Chine, elle, a tôt fait de choisir le charbon comme sa principale source de production électrique pour assurer son indépendance énergétique et ainsi offrir à sa population une énergie abordable et soutenable.
Aujourd’hui encore, en dépit des réalisations du Président Macky SALL, dans le cadre de la diversification des sources d’énergie (mix-énergétique), plus de 60% de notre production électrique ainsi que la subvention restent tributaires du cours du baril de pétrole.
Les ponctions opérées sur le budget public pour assurer cette subvention se font au détriment d’autres dépenses d’investissement notamment celles relatives à l’électrification rurale.
Alors, toutes les marches du monde n’y feront rien. L’électricité restera toujours chère, tant que notre production énergétique sera tributaire du pétrole.
Le choix stratégique fait par le Président Macky SALL consiste justement à passer par la suppression progressive de la subvention pour prendre en charge les autres besoins en investissement notamment ceux relatifs à l’accès universel à l’électricité abordable et à la réduction des coûts de production par la modernisation des outils de production existants et par la promotion d’autres sources d’énergie non dépendantes du pétrole.
Fort heureusement, le PSE a consacré depuis 2014 le mix-énergétique comme axe prioritaire de la politique énergétique, réduisant considérablement la forte dépendance de la production d’électricité au pétrole ainsi que le coût de production du kWh. Les exemples des centrales solaires en service depuis 2015, que sont Santhiaba Mékhé (30 MW), Bokhol (25 MW), Malicounda (20 MW), Ten Merina (30 MW), Kahone (21 MW), Diass (23 MW), et de la centrale éolienne Taiba Ndiaye (50 MW), illustrent parfaitement la pertinence de la vision long terme du Président car elles contribuent, à la fois, à un développement durable, à notre indépendance énergétique et surtout à la réduction du coût de l’électricité (35 à 65 francs CFA le kWh contre 80 à 90 francs CFA pour le pétrole).
Le programme gaz to power actuellement en cours d’exécution dans toutes nos industries énergétiques locales et qui a récemment entraîné l’arrêt de la centrale à charbon de Sendou de 125 MW pour la transformer en centrale à gaz, permettra à terme une réduction de 30% des coûts de production.
Les économies budgétaires qui seront ainsi dégagées par cette réforme de la subvention à la consommation d’électricité permettront de financer les investissements nécessaires afin de garantir l’accès universel à l’électricité abordable à tous les sénégalais.
2) Le contribuable qui paie et qui n’a pas accès au bien ni au service pour lequel il paie
Il s’agit là, d’une injustice sociale criarde et d’une véritable inversion de l’ordre des priorités pour un Etat soucieux de la protection des couches vulnérables.
C’est par l’impôt versé par les contribuables que la subvention à l’électricité est payée. Or plus de 35% des contribuables n’ont pas accès à l’électricité, principalement en zone rurale. Est-il normal que le paysan qui n’a pas d’électricité chez lui continue de payer sa part de contribution à une subvention pour une électricité dont il ne bénéficie pas ?
Le contribuable non usager, donc non consommateur d’électricité, doit-il continuer à payer pour ce haut fonctionnaire ou ce richissime homme d’affaires, une subvention qui ne lui est même pas profitable ?
Que dire de ce contribuable de Soucouta qui, muni de sa lampe-tempête, voit les fils de haute tension quitter la centrale électrique de Boutoute, située de 4 kms de son village, pour aller alimenter, au niveau de la station balnéaire du Cap Skiring située à 80 kms de son village, les somptueuses villas, les pieds dans l’eau, de ce richissime citoyen ou expatrié, alors que lui, il n’a pas même pas accès à l’électricité et paie la subvention?
La subvention à l’électricité, qui est ainsi payée par l’ensemble des contribuables, a un caractère fortement discriminatoire car elle ne concerne que 65% de la population. Il faut que l’aide de l’Etat profite à tout le monde et que toutes les populations aient le même accès à l’électricité pour que le principe de la subvention universelle indifférenciée soit justifié. Quand un Etat subventionne le prix de l’électricité, il doit être en mesure de garantir son accès à tous, de façon à en faire profiter tout le monde, par pur souci d’équité.
Alors, faut-il encore organiser des marches de protestation pour chercher à préserver les privilèges d’une certaine catégorie de consommateurs, ou au contraire, à l’instar du Président Macky Sall, s’employer à réformer le système ou même à l’éradiquer, ne serait-ce que de façon progressive et ciblée ?
3) Une subvention qui profite aux gros consommateurs et qui est supportée par les plus faibles
Il est clair que le modèle de subvention universelle encourage la surconsommation des ménages les plus nantis qui de ce fait sont plus subventionnés que les 54% représentant les petits consommateurs. Cela s’apparente à une mauvaise redistribution des richesses du pays.
Est-ce normal que ce modeste enseignant qui ne dispose que d’un réfrigérateur continue à payer la subvention à travers l’impôt, au profit de ce directeur général qui dispose de plusieurs climatiseurs, sans compter les réfrigérateurs, congélateurs et autres accessoires à forte consommation d’énergie, sans aucun moyen de contrôle ou de limitation de sa consommation ?
C’est pourquoi, la mesure prise par le gouvernement de s’approcher de la vérité des prix pour les plus riches est salutaire, puisqu’elle permet d’éviter que les ressources censées financer l’ensemble du secteur de l’ énergie ne soient phagocytées par la seule subvention qui, en définitive, ne sert qu’aux intérêts des plus gros consommateurs et des groupes sociaux influents.
Il y’a une limite objective à cette subvention. Si la consommation est très élevée et qu’en même temps cela coïncide avec des effets externes négatifs, cela entraine inéluctablement des tensions qui finissent par être insupportables pour notre budget. Pour construire un « Sénégal émergent dans une économie solidaire », l’Etat est obligé de prendre ses responsabilités et de mettre en œuvre un modèle plus durable, plus équitable.
4) Le citoyen connecté à un réseau concédé à un privé et qui paye un prix au kWh deux fois plus cher qu’un citoyen connecté à un réseau concédé à la SENELEC
Il s’agissait là d’une rupture d’égalité entre les citoyens. Avant septembre 2018, les consommateurs ruraux dont les réseaux sont gérés par les concessionnaires privés payaient en moyenne plus de 200 FCFA le kWh alors que les privilégiés des villes, qui profitent des moindres occasions pour aller se plaindre devant les grilles du Palais, payaient en moyenne 100 FCFA le kWh.
En septembre 2018, le Président Macky Sall avait décrété le principe d’une tarification uniforme et universelle pour tous les Sénégalais, posant du même coup, le 1er acte d’un nouveau compromis social basé sur l’équité territoriale en matière d’accès à l’électricité.
Depuis cette date, le principe d’une tarification unique du prix de l’électricité est appliquée de sorte que les consommateurs vivant dans les centres urbains (Dakar, St Louis, Thiès, Ziguinchor, Kaffrine, Matam, etc. ) connectés aux réseaux gérés par la SENELEC, sont facturés aux mêmes prix que les consommateurs des localités de Dabia, Ranerou, Noto gouye, Sandiara, Ndangalma, Taquine, Neteboulou, Djibabouya, etc., connectés aux réseaux gérés par les privés sélectionnés par l’ASER.
Cette décision historique, qui répare une injustice longtemps constatée, est passée sous silence. Et ces populations n’ont pas eu droit à des marches des activistes de « nio lank, nio bagn » pour voir cette injustice réparée. L’électricité est un bien de première nécessité et son accès doit être garanti à tous dans un souci d’égalité de traitement.
Le Président Macky Sall est donc en train de changer courageusement le modèle hérité de la colonisation par un modèle plus équitable et plus juste car l’Etat ne peut pas se permettre de subventionner indéfiniment la consommation d’électricité au détriment des investissements.
Ce faisant, il s’inspire des meilleures pratiques mondiales pour éviter d’exposer le budget national à la volatilité du prix du pétrole, mais surtout pour faire bénéficier, aux ménages les plus pauvres, d’un revenu minimum garanti et pour réaliser l’objectif d’accès universel à l’électricité.
Mes chers concitoyens,
Ma conviction profonde est que cette nouvelle réforme de la subvention ciblée à la consommation de l’électricité doit être maintenue et même amplifiée.
Ce nouveau compromis social doit s’accompagner d’une politique volontariste et durable d’accroissement de l’indépendance énergétique de notre pays et de réduction des coûts de production d’électricité.
Et, il fallait qu’un Président réformateur, courageux et juste comme Macky Sall pour décider d’une rupture avec le traditionnel système de subvention et proposer un nouveau compromis social.
Cette subvention à la consommation à l’énergie, qui dure depuis 60 ans, repose sur un modèle de plus en plus dépassé un peu partout à travers le monde.
Ce nouveau compromis social proposé devra s’accompagner inéluctablement d’une grande réforme de notre fleuron national qu’est la Sénélec qui pourrait gagner en efficience et en efficacité. On pourrait, par exemple, séparer en deux filiales autonomes mais complémentaires, les activités de production des activités de transport et de distribution. Une telle réforme pourrait avoir comme résultat la baisse des coûts de production et l’amélioration des rendements de réseaux des centrales électriques.
Cela nous éviterait le paradoxe de pouvoir exporter de l’électricité disponible en surplus pendant la journée alors que nos capacités disponibles le soir sont insuffisantes parfois pour faire face à la forte demande. Cela nous éviterait également des locations conjoncturelles de capacités énergétiques pour faire face aux pics de réseau et aux pointes de consommation électrique.
Mes chers concitoyens,
Je lance un appel pour un consensus dynamique autour de ce nouveau compromis social fondé sur un modèle économique plus conforme à notre idéal de justice sociale.
Ma certitude est que ce nouveau compromis social doit être expliqué et accepté par tous.
Doudou KA,
Ingénieur Civil des Ponts et Chaussées, Paris
Conseiller financier au sein de la BMCE Capital ayant participé à une étude pour la restructuration de la SENELEC, 2005-2006
Directeur de mission au sein de la BMCE Capital pour le montage financier de la centrale thermique privée IPP de 67,5 MW de Kounoune, 2004-2006