Il avait fait d’un rapprochement avec l’Occident, pour sortir son pays de la crise économique, l’alpha et l’oméga de sa politique à la tête de la République islamique. Le président Rohani apparaît aujourd’hui affaibli par la décision de Donald Trump de déchirer l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, et par le retour des sanctions. Le jour de l’annonce américaine, mardi 8 mai 2018, il a tenté de réagir. Le pourra-t-il vraiment ? Les conservateurs vont-ils avoir de nouveau le vent en poupe ?
La première réaction iranienne est venue mardi soir du président de la République lui-même. Hassan Rohani a dénoncé la décision de Donald Trump de réimposer des sanctions contre son pays, et a assuré qu’il donnait une chance aux futures négociations, qui vont durer quelques semaines encore avec les trois pays européens signataires de l’accord signé en 2015.
Le président Rohani n’a donc pas abandonné l’accord de Vienne. Il a demandé à son ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, d’engager les négociations avec Paris, Londres et Berlin, mais aussi avec Moscou et Pékin. Il veut vérifier si, ensemble, ces pays peuvent contrer le départ des Etats-Unis, explique notre correspondant à Téhéran, Siavosh Ghazi.
« Soit nos intérêts sont assurés par ces cinq pays, soit nous suivrons notre propre chemin », a déclaré le président iranien, laissant entendre que Téhéran pourrait aussi quitter l’accord. M. Rohani a ainsi évoqué une possible reprise de l’enrichissement d’uranium à un niveau plus élevé si ces négociations ne donnaient pas les résultats escomptés par l’Iran.
L’Iran avait accepté de limiter son enrichissement d’uranium à 3,6% dans le cadre de l’accord de Vienne, un point crucial pour empêcher toute velléité militaire dans un programme nucléaire. Mais la République islamique pourrait l’augmenter à 20% en quelques jours, selon Ali Akbar Salehi, le chef de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OEAI).
Trump le promet : Les Etats-Unis sont « aux côtés » de l’Iran
La situation du président Rohani n’est pas confortable. Ce qu’a promis Donald Trump – une grave erreur selon Barack Obama-, ce sont « des sanctions économiques les plus élevées possible ». De quoi affecter encore l’économie iranienne, dont la monnaie a déjà perdu plus de 40% de sa valeur au cours des six derniers mois, provoquant une forte inflation.
« La situation économique des Iraniens pourrait encore se fragiliser. Maintenant, il est difficile de dire dans quelle mesure cela se réduit aux sanctions ou à la mauvaise gouvernance des autorités », fait remarquer Vincent Eiffling, chercheur à l’université catholique de Louvain, en Belgique, qui pense surtout que les Iraniens risquent de réagir, comme toujours, en une poussée de nationalisme.
« Paradoxalement, la décision de Donald Trump pourrait consolider l’assise populaire du régime,dit-il. Parce que s’il y a bien une chose à laquelle les Iraniens sont tous littéralement opposés, qu’ils soient pour ou contre le régime, ce sont les ingérences étrangères. En cas d’ingérence, généralement, ils ont tendance à se regrouper autour de l’autorité politique en place. »
M. Trump l’assure : s’il complique des vies avec ses sanctions, le peuple américain est « aux côtés » du peuple iranien. A condition qu’il lâche son régime ? Une posture potentiellement « contre-productive », estime Vincent Eiffling. « L’histoire de l’Iran depuis le début du XIXe siècle est profondément marquée par les ingérences étrangères », rappelle-t-il.
Le président Rohani pourra-t-il se remettre d’un tel camouflet ?
« Donc au final, Donald Trump pourrait bien renforcer les éléments les plus conservateurs du régime iranien », conclut-il. Une situation d’autant plus inconfortable pour le président Rohani, un modéré qui s’était énormément investi dans cet accord, qui se retrouve soudain fragilisé, comme l’explique le journaliste Ahmad Parhizi, joint à Téhéran par RFI.
A ses yeux, les grands gagnants, ce sont les ultra-conservateurs : « Je vois plein d’enthousiasme de la part des ultras sur les réseaux sociaux, parce que le retrait de Trump montre, selon eux, que Rohani et ses alliés réformateurs étaient naïfs de croire l’Occident et les Etats-Unis. C’est un grand échec pour Rohani, qui considérait l’accord comme son plus grand avantage. »
Et de rappeler que le président « croyait que d’autres accords dans d’autres domaines seraient également possibles, notamment sur les droits de l’homme et sur la question des missiles iraniens ». « Les durs, qui avaient perdu plusieurs élections, étaient devenus très impuissants,ajoute Ahmad Parhizi. Ils comptent sur l’échec de Rohani et le désespoir du peuple pour les prochaines élections. »
Hassan Rohani a été élu en 2013 sur la promesse des dividendes économiques d’une entente avec les Occidentaux sur le nucléaire. A l’inverse, rappelle Vincent Eiffling, les conservateurs « estiment que la République islamique ne peut exister qu’au travers cette logique de confrontation », « en faveur d’une autarcie, d’une totale indépendance de l’Iran à l’égard des puissances étrangères ».
■ Rester dans l’accord ? Pas à n’importe quel prix, selon Ali Khamenei
Le guide suprême iranien a réagi à son tour ce mercredi. Il demande aux Européens des « garanties réelles » pour permettre à Téhéran de rester dans l’accord de Vienne. « Maintenant, on dit qu’on veut continuer l’accord nucléaire avec les trois pays européens, (mais) je ne fais pas confiance à ces trois pays (…) Vous voulez conclure un accord, obtenez des garanties réelles, car demain ils feront la même chose que ce que les États-Unis ont fait », a déclaré l’ayatollah Khamenei dans un discours diffusé par la télévision d’Etat.
« Si vous réussissez à obtenir des garanties, de sorte qu’on puisse faire confiance, il n’y pas de problème vous pouvez continuer sur le même chemin. Si vous ne réussissez pas à obtenir une telle garantie définitive, et je doute réellement que vous puissiez le faire, à ce moment on ne plus continuer comme ça », a précisé M. Khamenei. Le guide suprême explique en substance que le retrait de Washington démontre, trois ans après l’accord de 2015, qu’il avait eu raison de mettre en garde les Iraniens contre l’attitude des Américains.
RFI