Du franc CFA à l’eco : la longue marche de la CEDEAO vers une monnaie unique

Le Nigeria a demandé lundi 10 février le report du lancement de l’eco, la monnaie unique ouest-africaine, prévu en théorie cette année. Nouvel épisode dans le long processus d’intégration économique et monétaire initié par les quinze pays de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

Dès sa création, en 1963, à Addis Abeba en Ethiopie, l’Union africaine, alors l’Organisation de l’unité africaine (OUA), inscrit l’objectif d’intégration monétaire dans son acte constitutif. En 1971, cette décision est confortée par l’effondrement du système monétaire international de Bretton Woods, et l’avènement d’un environnement mondial plus instable.

L’année suivante, le président togolais, Gnassingbé Eyadema, et son homologue du Nigeria, le général Yakubu Gowon, entreprennent une tournée destinée à promouvoir l’idée d’une intégration sous-régionale.

En 1975, leurs efforts débouchent sur le traité de Lagos et la création de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Au début des années 1980, les chefs d’État et de gouvernement de la communauté posent les bases d’un processus d’intégration monétaire.

Deux grandes zones monétaires
Au sein des quinze pays de la CEDEAO, l’intégration monétaire concerne deux ensembles institutionnels distincts. Créée en 1994, il y a d’abord l’UEMOA, l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui a le franc CFA en partage et regroupe le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Guinée-Bissau.

Depuis 2000, l’on a la ZMAO, la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest. Celle-ci compte six pays et autant de monnaies : le cédi au Ghana, le dalasi en Gambie, le dollar libérien au Liberia, le franc guinéen en Guinée, le leone en Sierra Leone et le naira au Nigeria. Avec son escudo, l’archipel du Cap-Vert est le seul pays de la CEDEAO à n’appartenir à aucune de ces deux grandes zones monétaires.
Après une période d’atermoiements et de relatif immobilisme, la mise en place de la ZMAO insuffle une dynamique nouvelle à la communauté. En effet, au cours de cette même année 2000, les autorités ouest-africaines expriment leur volonté d’accélérer le processus d’intégration monétaire.

Un projet de création d’une monnaie unique en deux étapes est alors élaboré. Ce dernier prévoit le lancement, en janvier 2015, d’une monnaie commune, par les pays membres de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest. Il s’agit de l’eco. Dans sa seconde phase, le plan disposait que la ZMAO fusionnerait à terme avec l’UEMOA, afin de créer, en 2020, une seule et même monnaie pour l’ensemble des pays de la CEDEAO.

Une stratégie d’intégration graduelle
Afin d’asseoir les bases de son intégration, la CEDEAO adopte également, en 2001, le mécanisme de surveillance multilatérale des politiques économiques et financières des Etats membres. Objectif : le respect d’un ensemble de critères de convergence macroéconomiques, susceptibles de contribuer à homogénéiser les économies de la région.

Après trois reports successifs, en 2003, 2005 et 2009, les autorités ouest-africaines renoncent finalement, en juillet 2014, à lancer l’eco en janvier 2015 au sein de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest. Raison invoquée : le niveau insuffisant de préparation et de convergence économique au sein de la ZMAO.

Dès lors, la CEDEAO adopte une stratégie d’intégration graduelle. Seuls les pays qui respecteront les critères de convergence dits de premier rang avant 2020 (déficit budgétaire limité à 3% du PIB, une inflation à 10% maximum et une dette inférieure à 70% du PIB), participeront à la monnaie unique.

En dépit des appels répétés à poursuivre les efforts de respect des critères de convergence, les résultats au sein de la communauté sont loin d’être à la hauteur des enjeux. D’ailleurs, en décembre 2017, à l’issue du sommet d’Abuja, au Nigeria, les chefs d’Etat et de gouvernements déclarent dans leur communiqué final : « Déplorant le faible niveau du taux d’intégration économique après plus de 40 ans d’existence de la CEDEAO, le sommet a invité la commission, en collaboration avec les États membres, à accélérer la mise en œuvre des projets et programmes intégrateurs […] ». Néanmoins, dans ce même communiqué, ils s’engagent à poursuivre les objectifs des pères fondateurs de doter la région d’une union monétaire.

Une monnaie unique en 2020 ?
Fin 2019, soit deux ans après le constat alarmiste des responsables ouest-africains, seul le Togo réussit à respecter les fameux critères de convergence de premier rang. Réunis à Abuja, les chefs d’Etat et de gouvernement de la région adoptent malgré tout le symbole de l’eco – « EC » – ainsi que le nom de la future banque centrale, la BCAO, Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest.

Parallèlement à tout ceci, à Abidjan en Côte d’Ivoire, le président ivoirien Alassane Ouattara annonce, en présence de son homologue français, Emmanuel Macron, le remplacement du franc CFA pour les pays de l’UEMOA par un eco à parité fixe avec l’euro et garanti par la France.

Moins d’un mois plus tard, le 16 janvier 2020, à l’issue d’une réunion, toujours à Abuja au Nigeria, le conseil de convergence de la zone monétaire d’Afrique de l’Ouest souligne dans son communiqué final que l’annonce du chef de l’État ivoirien « n’est pas conforme avec la décision de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO d’adopter I’éco comme nom d’une monnaie unique indépendante de la CEDEAO. »

Un épisode qui illustre certes les difficultés de ce processus d’intégration monétaire, mais qui n’y met pas un terme, bien au contraire. Car dans ce même communiqué, « le Conseil de convergence de la ZMAO recommande qu’un sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d‘État et de gouvernement des États membres de la ZMAO se réunisse prochainement pour examiner en profondeur cette question et d‘autres questions connexes. »