Les tests sur des médecins de l’hôpital Fann, déclarés positifs, puis négatifs au coronavirus (Covid-19) après un second essai, a soulevé des interrogations sur la fiabilité du test virologique par PCR (prélèvement nasopharyngé ou oropharyngé) pratiqué au Sénégal. Dans cet entretien, le Professeur Makhtar Camara, chef du service de l’unité bactériologique et virologique de l’hôpital Aristide Le Dantec, apporte des précisions sur ce test de dépistage du coronavirus et sa fiabilité. Il parle aussi de la possibilité de soigner des infectés et des cas graves par le sang de personnes ayant rencontré et neutralisé le virus
Au Sénégal, le seul test recommandé pour le dépistage du coronavirus est le test virologique par PCR (prélèvement nasopharyngé ou oropharyngé). Il existe pourtant ailleurs le test sérologique et les tests salivaires et à détection rapide. Pourquoi le Sénégal a-t-il choisi ce type de test. Est-il moins coûteux ou plus efficace ?
Le seul test qui est reconnu par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), c’est le test de biologie moléculaire par PCR en temps réel. Les tests sérologiques et salivaires sont encore en évaluation. Actuellement, le seul test qui est reconnu et recommandé c’est le PCR. C’est valable pour tous les pays. Le Sénégal n’a pas choisi délibérément les tests de biologie moléculaire. C’est l’OMS qui les a recommandés pour le diagnostic du COVID-19 et le suivi des patients infectés ; et c’est bien fondé sur des critères de sensibilité et de spécificité des tests. Actuellement, il y a plus de 200 tests qui sont en évaluation, soit au niveau de l’OMS, soit au niveau d’autres organismes comme le CDC (Centre pour le contrôle et la prévention des maladies) ou le FDA (Food and Drug Administration) des USA.
Quel est le degré de fiabilité du test virologique par PCR et ses marges d’erreurs ?
Les tests sont basés sur deux éléments importants. C’est d’abord la spécificité du test. Est-ce que ce test est capable de détecter le microbe recherché de façon spécifique. C’est le plus important car pour être fiable, un test doit d’abord être spécifique du pathogène recherché. Il doit être capable de détecter de manière spécifique le germe qui est recherché. On peut avoir plusieurs pathogènes dans un prélèvement naso-pharyngé, qui est de nature polymicrobien. On peut avoir plusieurs virus appartenant au genre Coronavirus dans un même prélèvement. Si on doit chercher le SARS-CoV-2, qui est responsable du Covid-19, il faut que le test soit spécifique à ce virus. Il faut ensuite qu’il soit sensible, c’est-à-dire que le test soit capable de donner un résultat positif lorsque l’hypothèse est vérifiée. Globalement, pour les tests de biologie moléculaire, la sensibilité la plus faible est de l’ordre de 80%. La spécificité la plus importante est de 100%. C’est pour cela qu’une personne peut être testée aujourd’hui négative et devenir positive dans deux jours. S’il n’y a pas suffisamment de particules virales dans l’échantillon, le test peut ne pas détecter le virus.
Le PCR est donc carrément fiable?
Le degré de fiabilité est bon. La fiabilité d’un test est basée sur la spécificité, qui permet de reconnaître de façon sûre, que c’est positif pour un germe donné. Mais aussi sa capacité de direction, c’est-à-dire la sensibilité. Plus un test est sensible, plus il peut détecter précocement une infection. Ce sont ces deux critères qui sont mis à profit pour le choix d’un test. L’idéal c’est d’avoir un test qui est 100% sensible et 100% spécifique. A défaut de l’être à 100%, que le test soit au moins à 80 ou 90% sensible. Il faut tenir compte de ce paramètre pour suivre les patients et non se baser sur un seul test pour dire que le patient est négatif. Si le patient est positif, ce qui permet de le confirmer, c’est la spécificité du test. Elle permet de dire avec certitude qu’une personne est positive pour un germe recherché. Les deux critères sont importants, mais surtout la spécificité. Au Sénégal, tous les tests de biologie moléculaire qui sont utilisés ont soit 100 % de spécificité ou très proche de 100%. Si on dit qu’un test est positif, c’est parce qu’il l’est réellement, sauf erreur de manipulation au laboratoire, provenant d’une éventuelle contamination à partir d’un échantillon positif. Mais c’est un fait extrêmement rare. Si on dit que c’est positif, si toutes les procédures sont très bien respectées, c’est vraiment positif. Par contre, si c’est négatif, on n’est pas sûr à 100% que c’est négatif. Il faut donc suivre la personne, la maintenir en quarantaine, si nécessaire et faire des prélèvements de suivi pour être sûr que la personne est négative.
«Il peut arriver qu’un prélèvement positif contamine un prélèvement négatif»
Le prélèvement de suivi doit se faire en principe en fonction de quelle périodicité?
L’idéal c’est tous les deux à trois jours. Les patients suivis, avant qu’ils ne soient déclarés négatifs, c’est-à-dire guéris, subissent deux tests espacés de 48 heures. Si les deux tests sont revenus négatifs, on dit que le patient n’a plus de charge virale détectable. Il est donc guéri a priori.
Récemment, il y a eu des faux positifs signalés au Sénégal et beaucoup de gens, sur la base de cela, s’interrogent sur la fiabilité du test utilisé…
Les faux positifs peuvent arriver durant la manipulation, comme je viens de le dire, parce que personne n’est infaillible. C’est une situation extrêmement rare, parce qu’avant de rendre un résultat qui apparait positif, le prélèvement est vérifié, avec deux techniques différentes, avant de le rendre. C’est comme cela que procèdent l’Institut Pasteur de Dakar et l’IRESSEF (Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation). Mais il peut y avoir une erreur durant le prélèvement. Ce sont les médecins et les infirmiers qui interviennent à ce niveau. Ce n’est pas le laboratoire qui réalise les prélèvements. Il peut arriver qu’un prélèvement positif contamine un prélèvement négatif. Sinon, les méthodes qui sont utilisées au Sénégal sont fiables.
Peut-on s’attendre à ce que les autres tests soient appliqués au Sénégal ?
Il y a des tests sérologiques qui sont en évaluation au niveau des organismes internationaux ou américains de certification. A l’IRESSEF, nous avons un kid sérologique de diagnostic rapide, que nous comptons évaluer. Le kid est déjà là, nous avons déposé le protocole de recherche au niveau du comité d’éthique du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS), nous attendons juste l’approbation pour démarrer l’étude.
Ces tests pourront-ils permettre de diagnostiquer plus de personnes afin de détecter davantage de porteurs ?
Les tests sérologiques mettent en évidence les anticorps qui sont dirigés contre le virus. Généralement, ces anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 sont mis en évidence à partir de l’apparition des signes cliniques. Ces tests seront plutôt destinés au suivi des patients qui sont infectés ou pour faire un dépistage de masse afin de voir si la population est immunisée ou non. Mais ce n’est pas forcément recommandé pour un dépistage précoce. On ne peut pas utiliser ces tests pour dépister de façon précoce et sûre, pour pouvoir conclure qu’une personne est infectée ou non. Mais on peut faire des prélèvements dans le temps, en l’espace d’une semaine pour évaluer l’évolution du statut sérologique.
«Le sang de ces personnes (qui ont rencontré et neutralisé le virus) pourrait être utilisé pour soigner d’autres patients qui sont infectés et dans un état grave»
Quel serait donc l’avantage de ce test de diagnostic rapide à ce stade de la lutte contre la propagation du virus ?
D’abord nous avons une population jeune. Ensuite, cette maladie est caractérisée par le fait que 35 à 40% des personnes qui ont rencontré le virus ne vont jamais développer de signes cliniques. Elles peuvent héberger le virus, leur système immunitaire peut être capable d’éliminer le virus sans qu’elles ne développent de signes cliniques. On pourrait faire un diagnostic de masse d’une population donnée, pour voir s’il y a des personnes qui ont déjà rencontré le virus, qui ont pu l’éliminer et développer des anticorps neutralisants capables de les protéger. Le sang de ces personnes pourrait être utilisé pour soigner d’autres patients qui sont infectés et dans un état grave, si ce sérum contient des taux importants d’anticorps neutralisants. Le test sérologique est surtout indiqué pour le suivi. Ce sera un diagnostic de masse pour vérifier si on a une immunité plus ou moins collective d’un groupe de population donné. A l’IRESSEF, nous avons acheté, avec nos propres moyens, une certaine quantité de ce kids que nous comptons évaluer.
Et quand-est ce que vous comptez démarrer l’évaluation ?
Nous avons déjà déposé le protocole de recherches et nous attendons l’approbation du ministère de la Santé. Nous allons démarrer dès que le protocole sera approuvé. Nous allons cibler une population plus ou moins à risque, comme le personnel de santé, les forces de défense et de sécurité, qui sont très exposés, entre autres.
Quel est l’objectif final ?
Le but c’est de valider le test, en le comparant avec les tests de biologie moléculaire, qui sont aujourd’hui les techniques de référence. Nous allons en profiter pour avoir une idée sur le niveau d’exposition du personnel soignant, mais aussi des forces de défense et de sécurité et de certains patients suivis. C’est pour avoir une appréciation globale ; d’abord sur la qualité du test, mais aussi le niveau d’exposition. Quand on est exposé et que l’on ne tombe pas malade, c’est parce que le système immunitaire a pu développer des anticorps robustes qui ont été capables de neutraliser le virus pour empêcher sa multiplication dans l’organisme. Tant que la multiplication du virus est circonscrite à un niveau acceptable, la personne peut ne peut pas développer des signes cliniques. C’est ce qui arrive dans 85% des personnes qui sont en contact avec le virus. C’est parce que le système immunitaire est assez robuste pour contenir l’évolution du virus.
IGFM