Apparue en Chine au mois de décembre 2019, la maladie à Coronavirus, plus connue sous le nom de COVID-19, a connu une progression fulgurante en quelques semaines seulement. Á cet effet, conformément au règlement sanitaire international, le Ministère de la Santé et de l’action Sociale du Sénégal avait alors pris toutes les dispositions sanitaires pour empêcher la propagation de la maladie au Sénégal. Celles-ci se déclinent ainsi :
« 1. Le renforcement de la surveillance épidémiologique sur toute l’étendue du territoire national, avec un accent particulier au niveau des portes d’entrées du pays.
La diffusion de l’information à l’intention des agents de santé avec l’envoi de fiches techniques sur la maladie aux régions médicales, districts sanitaires, et à l’ensemble des établissements publics de santé.
L’information et la sensibilisation des populations avec ce communiqué qui en constitue l’étape inaugurale».
Quelques jours après son apparition (le 02 mars 2020), le Sénégal enregistrait son premier cas testé positif à la pandémie de la COVID-19. C’est au lendemain de l’apparition du premier cas que le Gouvernement avait mis en place une stratégie de contingentement de la maladie à travers la mise sur pied d’un Plan de riposte contre la pandémie de la COVID-19.
Cependant, sa rapide progression avait amené le Président de la République, lors d’une déclaration officielle en date du 14 mars 2020, à prendre huit (08) mesures fortes visant à limiter la propagation de la maladie par l’interdiction de tout rassemblement. Parmi celles-ci, on pouvait retenir « la fermeture des écoles et universités à partir du lundi 16 mars 2020 ».
Malgré toutes ces mesures, le nombre de cas testés positifs au Sénégal ne cessait d’augmenter. C’est dans ce contexte que le Président de la République a jugé nécessaire de durcir les mesures. Il avait déclaré l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire, une mesure entrée en vigueur dès le lundi 23 mars à minuit. Elle est assortie d’un couvre-feu sur l’étendue du territoire national, de 20 heures à 6 heures. L’objectif principal était, selon le Chef de l’État, de relever le niveau de riposte de la Covid-19.
Voulant attirer l’attention des populations sur l’ampleur de la pandémie, le Président s’est adressé aux sénégalais en ces termes :
« Ce soir, mes chers compatriotes, et je vous le dis avec solennité, l’heure est grave. La vitesse de progression de la maladie nous impose de relever le niveau de la riposte. Á défaut, nous courons un sérieux risque de calamité publique. En conséquence, en vertu de l’article 69 de la Constitution et de la loi 69-29 du 29 avril 1969, à compter de ce soir à minuit, je déclare l’état d’urgence sur l’étendue du territoire national) ».
Tenant compte de l’évolution sans cesse de la pandémie, les autorités éducatives du Sénégal, en collaboration avec celles médicales, avaient jugé nécessaire de reporter la date de reprise des Enseignements/Apprentissages, initialement prévue pour le lundi 06 avril, jusqu’au lundi 04 mai 2020.
Conscient des contrecoups que cette pandémie va engendrer sur l’économie nationale, le Président de la République avait décidé de mettre en place un Programme de résilience économique et sociale, décliné en quatre Axes prioritaires pour un montant de 1 000 Milliards de FCA en vue de « renforcer notre système de santé et soutenir nos ménages, notre diaspora, nos entreprises et leurs salariés». Á cet effet, les dépenses seront couvertes par le Fonds de Riposte contre les effets de la COVID-19, FORCE-COVID-19, financé par l’État et des donations volontaires.
C’est dans ce même ordre d’idées que le Président de la République, dans le Communiqué du Conseil des Ministres du 29 Avril 2020, vue l’évolution de la pandémie avait pris la décision de repousser à nouveau la date de la reprise des cours pour le 02 juin 2020.
« Les Ministres de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle ont fait des communications sur la reprise des enseignements. Le Conseil a arrêté la date de reprise des cours, à compter du 02 juin 2020 pour les élèves en classe d’examen. S’agissant de l’Enseignement supérieur, le Conseil a recommandé aux académies, de réfléchir sur les modalités de reprise globale des enseignements dans la période du 02 au 14 juin 2020 ».
Le lundi 11 mai 2020, le Président de la République annonça, un assouplissement de l’état d’urgence. Cette mesure prend en compte la reprise des cours pour les classes d’examen, le 02 juin 2020, un réaménagement des horaires de bureau, désormais fixés de 9 heures à 16 heures, la réduction de la durée du couvre-feu (de 21 heures à 5 heures du matin) et la réouverture des lieux de culte.
Au moment où le virus est en train de gagner du terrain avec 177 cas testés positifs le jour même de son dernier message à la nation, on assiste à une multiplication sans cesse du nombre de clusters. Le Président de la République, en tant que « chef de guerre », décide d’alléger l’État d’urgence, comme si la « guerre contre la Covid-19 » était finie. Ces nombreuses incohérences nous poussent alors à soulever un certain nombre d’interrogations.
La question qui taraude l’esprit de bon nombre de personnes est l’absence de congruence entre la situation présentée et les mesures prises par les autorités administratives qui visent à assouplir les restrictions. Cette situation amène alors à parler des mesures qui concernent particulièrement l’école sénégalaise.
Sommes-nous réellement conscients de la gravité de la situation ? Qu’est-ce qui motive une telle décision ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller au point de « sacrifier » tout un peuple ? Comment dans un tel contexte, peut- on envisager un tel assouplissement ?
En tant qu’acteur du système éducatif de notre pays, nous considérons que l’heure n’est pas au relâchement, mais plutôt à la vigilance.
Si pour des impératifs de survie économique et sociale, on cherche à prouver qu’on ne peut pas éternellement rester chez soi, il est vrai qu’il n’est pas non plus prudent de vivre avec la COVID-19 surtout dans l’espace scolaire
L’école est un milieu pas comme les autres du fait qu’elle reste avant tout, un espace de socialisation par excellence. Cette dimension mérite d’être prise en compte surtout lorsqu’on déroule des stratégies de résilience voire de « containment ». L’accompagnement psychologique des apprenants ainsi que des enseignants doit être un impératif de premier ordre dans un tel contexte de reprise des cours.
Pour rendre opérationnel les mesures prises par le Président de la République, les autorités ministérielles en charge de notre système éducatif au niveau des cycles fondamental, secondaire et professionnel, ont produit un document d’accompagnement intitulé « Note d’orientation pour la reprise des cours ». Il s’agit d’un protocole qui décline les axes majeurs de la planification pour une réouverture des établissements scolaires sur la base d’une évaluation de la situation scolaire nationale et de l’évolution du contexte sanitaire.
Ce document est présenté par les autorités ministérielles comme une « feuille de route pour la poursuite des enseignements » sous trois axes clés que sont :
Axe 1 : Scénario de reprise progressive des cours à partir du 02 juin 2020 ;
Axe 2 : Agenda des examens et concours ;
Axe 3 : Plan opérationnel de reprise.
Sans être un devin encore moins un nihiliste absolu, nous considérons que les mesures prises dans le cadre de l’opérationnalisation de ces directives présidentielles pour une réouverture des classes le 02 juin prochain ne rassurent point. En effet, au regard de ce document, on peut faire quelques observations :
D’abord, l’Axe 1 : Scénario de reprise progressive des cours à partir du 02 juin 2020 met l’accent uniquement sur un certain nombre d’acteurs ciblés à savoir : Enseignants et Formateurs ; Élèves des classes de CM2, Troisième, Élèves-maîtres ; Élèves de Terminales de l’Enseignement général et technique et des candidats aux examens d’État de la Formation professionnelle.
Or, au regard de ce document, on remarque qu’une bonne frange de la population scolaire du Sénégal est mise hors-jeu. Il s’agit de tous les autres apprenants qui fréquentent les classes dites intermédiaires. Dans le jargon éducatif, cette cible concerne tous les élèves qui ne font pas une évaluation certifiée.
Ce qu’on leur propose c’est la continuité pédagogique à travers le programme « Apprendre à la Maison » via le Canal EDUCATION, les Plateformes, Fascicules et autres modalités.
Le Sénégal est un État de droit qui garantit à tous ses fils et filles un accès équitable à l’éducation. C’est dans ce contexte que la Loi d’orientation de l’Éducation et de la Formation stipule en son Titre II : Principes Généraux de L’Éducation nationale, Article 3 « L’Éducation nationale est placée sous la responsabilité de l’État, qui garantit aux citoyens la réalité du droit à l’éducation par la mise en place d’un système de formation». Cette disposition est corroborée par l’Article 3 bis qui précise que : « La scolarité est obligatoire pour tous les enfants des deux sexes âgés de 6 ans à 16 ans. L’État a l’obligation de maintenir, au sein du système scolaire, les enfants âgés de 6 à 16 ans. La scolarité obligatoire est assurée gratuitement au sein des établissements publics d’enseignement).
Ces dispositions précitées, doivent alors garantir un principe fondamental à savoir celui de l’Équité. En effet, dans sa lettre tout comme dans son esprit, le Programme d’Amélioration de la Qualité, de l’Équité et de la Transparence (PAQUET) Secteur Éducation-Formation 2013-2025, publié en Juillet 2013, rappelle ce principe essentiel qui vise à combattre les inégalités quant à l’accès et à la qualité de l’enseignement reçu.
Cependant, avec de telles mesures, ces fondamentaux ne seront pas respectés. En effet, les conditions de reprise des Enseignements/Apprentissages dans un tel contexte priveraient un droit essentiel et fondamental à plus d’un million d’élèves à travers le pays. Aujourd’hui, si les cours sont repris à distance, comment ces élèves seront-ils évalués ? Ce dispositif qui se veut opérationnel comporte plusieurs limites. En effet, par quelle alchimie allons-nous poursuivre les cours pour ces élèves en classes intermédiaires ? Comment le reste de l’année scolaire pourra être validé pour ces élèves ? Aujourd’hui, dans beaucoup d’établissements publics, les apprenants qui fréquentent les niveaux Moyen et Secondaire n’ont même pas reçu leur bulletin du premier semestre de l’année en cours.
Allons-nous nous contenter de valider l’année scolaire à partir d’un seul semestre pour ceux qui ont déjà obtenu une moyenne supérieure ou égale à 10/20 ? Quant aux autres élèves qui ont manqué la moyenne, c’est-à-dire ceux qui ont obtenu une moyenne semestrielle inférieure à 10/20, quel sera alors leur sort ? Seront-ils autorisés à reprendre l’année en les considérant comme redoublants ou seront-ils autorisés à passer en classe supérieure ?
Concrètement comment les cours en ligne réservés aux élèves fréquentant les clases intermédiaires seront-ils déroulés ? Qui se chargera de dispenser ces enseignements à distance quand on sait que les emplois du temps seront profondément réaménagés et que tous les enseignants devront désormais intervenir dans leur établissement pour tenir des classes d’examen ?
Invité dans une émission sur une télévision de la place, le Ministre de l’Éducation nationale, en voulant rassurer les parents d‘élèves, a affirmé que « Le MEN a déjà confectionné des fascicules de cours validés par des Inspecteurs de l’Éducation et de la Formation. Ces documents seront mis à la disposition des parents qui en assureront le suivi ». Cette proposition sera difficile à réaliser car, la plupart des parents ne sont ni formés, ni outillés pour cette tâche. En plus, rares sont ceux qui ont le temps matériel pour faire ce travail titanesque que vous voulez leur imposer.
Qu’en est-il maintenant des écoles privées ? En effet, celles-ci assurent une mission de service public. Seront-elles en mesure d’appliquer les mesures édictées ? Les élèves qui les fréquentent sont tout de même des fils du pays.
Le second axe concerne les élèves en classes d’examen. La Note d’orientation propose un réaménagement de l’agenda des examens et concours. Á cet effet, de nouvelles dates sont ainsi fixées (CFEE les 27 et 28 juillet 2020) ; (BFEM : à partir du 17 août 2020) ; (Baccalauréat général à partir du 05 août 2020) et (les Examens et Concours les dates seront déterminées par la (DECPC) du Ministère de l’Emploi, de la Formation professionnelle et de l’Artisanat (MEFPA)).
La poursuite des Enseignements/Apprentissages risque d’être fortement perturbée par des facteurs à la fois endogènes et exogènes. L’environnement scolaire interne de certains établissements ne s’y prête guère. En effet, dans beaucoup de localités, il existe encore des abris provisoires, c’est-à-dire des salles de classe en « crintin ». L’approvisionnement en eau potable fait souvent défaut. Á cela s’ajoutent des facteurs externes liés à l’hivernage qui rendra impraticable certaines écoles. Déjà les prévisions météorologiques nous informent que les régions du Sud-Est du Sénégal ont reçu leurs premières précipitations.
Enfin, le 3e Axe du Plan opérationnel de reprise des cours met en exergue un ensemble de dispositifs autour des (Acteurs/Activités) ; (Responsables (dispositions sanitaires) et des (Échéances). Il concerne les différentes mesures qui doivent accompagner, du 18 au 25 mai 2020 le pilotage et le suivi des décisions prises par les autorités administratives, médicales et municipales en vue d’une approche communautaire. Concrètement, il s’agira de procéder au nettoiement et désinfection des établissements scolaires ; la mise à disposition de kits sanitaires (thermo flash, masques normés, gel hydro alcoolique, lave mains, interdiction de vente d’aliments dans et aux alentours des écoles, aménagement d’un espace d’isolement au sein des écoles, entre autres mesures).
L’idée qui sous-tend ces nouvelles mesures est le fait de dire aux enseignants et à la population de manière générale, qu’il « faut apprendre à vivre avec la COVID-19 ». Il ne s’agira pas de prêcher partout la reprise des cours, mais il faut adopter une démarche holistique et systémique pour vaincre la pandémie en favorisant l’approche communautaire. Cette stratégie suppose avant tout d’admettre la réalité c’est-à-dire reconnaitre qu’il est illusoire de circonscrire la pandémie. Pour réussir un tel défi, il va falloir à défaut d’effectuer des tests de dépistage massifs, procéder au moins à des dépistages ciblés et qui concerneront les personnels administratifs, pédagogiques ainsi que les élèves afin de pouvoir identifier ne serait-ce que certains cas positifs. Une fois que cela sera fait, ces derniers pourront être mis en quarantaine pour ne pas en contaminer d’autres.
Dr. Safiétou THIAM, ancienne Ministre de la Santé et actuelle Secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre le SIDA (CNLS), dans une émission sur un plateau d’une chaîne de radio de la place, avait proposé de privilégier la démarche communautaire pour limiter la stigmatisation des personnes atteintes de la COVID-19. Elle a aussi demandé de procéder à des tests de dépistage massif. Cette approche permettra d’aller chercher le virus au sein de la population.
Dans une interview sur une radio de la place, le Professeur Moussa SEYDI, chef du Service des maladies infectieuses et tropicales du Centre Hospitalier et Universitaire de Fann (CHU), interpelé sur les risques de contamination dans les écoles, faisait remarquer ceci « la réouverture des écoles n’est pas une décision absolue… Le risque de contamination est réel… Ce serait absolument irresponsable de croire qu’il n’y aura pas de contamination si les écoles rouvriraient leurs portes ».
L’avis des experts et spécialistes des maladies infectieuses sur la question doit primer avant tout, car le virus circule encore à une vitesse exponentielle dans la communauté. D’ailleurs, chaque jour les communiqués sur la situation du Coronavirus le prouvent.
Par contre, la levée presque totale des restrictions annoncées par le Chef de l’État lors de sa dernière déclaration dans les secteurs du commerce et des transports n’augure pas des lendemains sûrs surtout avec l’explosion des cas communautaires.
Á la date du mardi 19 mai 2020, le Communiqué 79 de la situation du Coronavirus fait état de « 2 617 cas déclarés positifs, dont 1 133 guéris, 30 décédés, et donc 1 453 sous traitement », il est évident que l’heure n’est pas au relâchement. La mise à disposition de thermo flash, de gel hydro alcoolique, entre autres, ne garantit pas la protection des populations. Ces dispositions ne suffisent pas pour assurer une réelle protection. Il est important de revoir sereinement vos décisions pour le bien de la communauté.
Dans un tel contexte, des régions qui sont encore épargnées par la pandémie comme les régions de Matam et Kédougou risquent de devenir de nouveaux clusters si on y prend garde. Avec le retour annoncé des enseignants et de leurs élèves, cette situation va provoquer des mouvements de population entre les régions ou localités.
Si avec une vingtaine de cas testés positifs et zéro décès au 14 mars 2020, l’État avait pris la sage décision de fermer écoles et universités, aujourd’hui, avec le bilan que le Sénégal a enregistré, l’heure n’est pas à une réouverture des établissements scolaires. Soyons lucides et vigilants. Ne mettons pas en danger les citoyens. Ainsi, pourrions-nous vaincre cette pandémie qui, si on n’y prend garde, risque de devenir une endémie.
Yaya DIAW
Professeur d’Enseignement Secondaire d’Histoire et de Géographie.
Lycée Amath DANSOKHO, ex-Lycée Ouakam.