Des analystes prédisent un drame économique à l’Afrique du fait de la covid-19. Les indicateurs macroéconomiques et ceux des marchés financiers démentent cette hypothèse. Des risques subsistent, mais le continent pourrait bien devenir un relai de croissance alternatif, à la sortie de cette crise.
Le continent africain notamment dans sa partie subsaharienne a affiché une meilleure résilience aux conséquences économiques de la covid-19 que les autres régions du monde, bien qu’elle ait mis en place une série de réponses en termes de politique monétaire et budgétaire beaucoup plus modeste, a-t-on appris d’un webinaire donné par Matt Winkler, un des cofondateurs de l’agence d’information financière Bloomberg.
« Cette position qui pourrait surprendre au sein de diverses opinions publiques en raison du pire qui était prédit pour l’Afrique est confirmée par une série d’indicateurs économiques et financiers que l’Agence Ecofin est parvenue à compiler. Le premier élément concerne la croissance. Lors de ses dernières perspectives pour l’économie mondiale publiées en avril, le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué que la production de richesse dans le monde chuterait globalement de 3%.
De bons indicateurs macroéconomiques et boursiers
« En Afrique subsaharienne, cette chute sera de seulement 1,6% et sera surtout le fait d’une réduction significative des dépenses d’investissements publiques qui accroissent le stock des infrastructures de ses pays, mais ne se traduisent pas toujours par plus de gains pour les entreprises et les ménages, car les contrats sont accordés à des entreprises étrangères.
« De plus, lorsqu’on analyse les projections de croissance économique par pays fournies par le FMI, on réalise que 18 des 30 pays qui vont tirer la croissance dans le monde sont des pays d’Afrique subsaharienne. Le Soudan du Sud avec ses 4,5% de prévisions de croissance économique fait office de locomotive du groupe des pays de la région. Il est suivi du Bénin, du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Ethiopie, du Sénégal, de la Guinée Conakry et de la Côte d’Ivoire, qui afficheront tous des croissances supérieures à 2,7%.
« Le deuxième indicateur provient d’une analyse produite le 15 juin 2020 par Moody’s concernant les entreprises qu’elle note à travers le monde, et qui se sont retrouvées dans l’incapacité de rembourser leurs dettes au terme du mois de mai. On constate que près de 81 entreprises suivies par l’agence de notation ont été en situation de défaut de paiement. Seulement deux se retrouvent dans la région.
« Des indicateurs de performance des indices boursiers développés par S&P Global Ratings font remarquer pour leur part, que 7 indices boursiers traquant des titres d’obligations de pays africains (Ouganda, Nigeria, Zambie, île Maurice, Kenya, Namibie et Botswana) figurent dans le top 30 des plus performants sur le premier trimestre 2020.
« Le scénario de catastrophe économique tarde à se confirmer
« Toujours en matière d’obligations, les titres émis par les pays et les institutions d’Afrique sont les plus rentables en termes de taux d’intérêt. Les emprunts effectués sur l’open market au Nigeria (la première économie d’Afrique en termes de produit intérieur brut) apportent à leurs souscripteurs un flux de rendements jusqu’ici stable, et bien plus rémunérateur que les obligations à taux zéro émises par la France, les Etats-Unis ou encore l’Allemagne.
« Il est donc possible de dire que le scénario de crash économique dramatique prédit pour l’Afrique noire tout autant que l’hécatombe sanitaire ne se confirme pas. Aussi, la région n’a pas bénéficié des plans de relance astronomique comme aux Etats-Unis, en Europe et qui se sont renforcés au Japon pour des montants estimés jusqu’ici par l’Institute of International Finance à 11 000 milliards $.
« Tout comme en matière de santé, les analystes ne s’accordent pas sur les raisons d’une telle résilience économique. Les avis vont du peu d’expositions du continent aux produits financiers sophistiqués au fait que la pandémie n’a pas véritablement touché le cœur des activités des individus qui sont majoritairement dans le service, l’agriculture ou l’élevage.
« Malgré quelques risques, la région demeure un pivot de relance pour l’économie mondiale
« Toutefois, les choses ne se passent pas pour le mieux pour l’ensemble des acteurs. Selon des données collectées sur la plateforme Capital IQ, on réalise que les performances des entreprises cotées des secteurs de la finance, la grande consommation, l’énergie et l’industrie ont affiché de mauvaises performances surtout sur le Johannesburg Stock Exchange (JSE), la principale Bourse d’Afrique du Sud, pays de la région le plus touché par la pandémie.
« Une fois de plus, cette contreperformance n’est pas le fait d’une grande détérioration des fondamentaux des économies africaines. Le gros des actionnaires du JSE sont des fonds et des banques d’investissement qui gèrent des actifs pour des clients basés en Occident, et qui suivant le narratif du scénario catastrophe ont choisi de protéger leurs placements.
« L’Afrique pourrait même devenir un relais de relance de la croissance mondiale. Dans un système économique basé sur le crédit et la consommation, c’est la région du monde où des injections utiles de capitaux sont encore possibles. Sa population est jeune et de mieux en mieux formée, le niveau d’endettement par habitant est beaucoup trop faible, comparé à la valeur de la richesse par habitant et sa jeune population constitue une masse de consommateurs potentiels.
« Des risques existent notamment en ce qui concerne la stabilité politique et la qualité de la gouvernance. Cependant, de récents événements aux USA, en Asie et même en Europe ont démontré que le continent noir n’a pas le monopole des risques de ruptures sociales. Il faudra cependant surveiller le déroulement des élections dans des pays clés comme le Ghana et la Côte d’Ivoire, de même que l’évolution des prix de matières premières.
Auteur : Ecofin