Pour obtenir la libération de l’homme politique Soumaïla Cissé et de trois autres otages occidentaux dont la française Sophie Pétronin, les nouvelles autorités maliennes ont relâché plusieurs dizaines de djihadistes appartenant ou liés au Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM). Après plusieurs jours d’attente insupportable pour les proches des otages, l’heure de la délivrance arriva.
Le jeudi 8 octobre, l’ancien ministre malien, l’humanitaire française ainsi que deux citoyens italiens prennent place à bord d’un avion de l’armée malienne qui décolle de Tessalit, direction la capitale. À l’aéroport de Bamako-Sénou, l’émotion n’était pas que palpable, elle était réelle. Sébastien Chadaud-Petronin prend sa « petite maman » dans ses bras et Astan Traoré qui retrouve son Soumaïla après six mois de séparation involontaire.
Cependant, au moment où les uns exultaient, les autres se posaient des questions sur les conditions inédites de ce « troc ». Plus de 200 djihadistes ou présentés comme tels ont été libérés pour permettre à Soumaïla Cissé et consorts de retrouver les leurs. De plus, une rançon de 10 à 15 millions d’euros (près de 10 milliards de CFA) aurait été versée sans que les parties concernées ne confirment ou n’infirment.
Une libération qui gêne
Mais le plus inquiétant, c’est la sortie de prison d’hommes trempés dans des attentats ayant visé le Mali et des pays de la sous-région. Des noms comme celui du mauritanien Fawaz Ould Ahmed plus connu sous son surnom « Ibrahim 10 » ou du malien Mimi Ould Baba Ould Cheikh retentissent depuis le début sans qu’on sache réellement s’ils font partie des « libérés ».
Des images d’un banquet organisé en l’honneur des anciens prisonniers par le chef du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), Iyad Ag Ghali lui-même ont été largement diffusées sur la Toile ces derniers jours. Mais pas une trace des deux hommes. Pourtant, selon des sources de RFI, ils sont bel et bien libres. Si oui, pourquoi donc, tout le monde cherche à démontrer le contraire ?
Impliqués dans au moins cinq attentats dont quelques-uns hors du territoire malien, leur libération « officielle » ne serait pas bien accueillie par les pays déjà attaqués. C’est le cas du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire.
En 2016, ces deux pays sont frappés dans leurs capitales respectives par la branche chargée des attaques extérieures d’Aqmi, Almourabitoune.
Commanditées par Mohamed Ould Nouini, alors commandant en chef de cette organisation créée par Belmokhtar et Ahmad al Tilemsi, ces attaques ont pour logisticien Mimi Ould Baba Ould Cheikh. Un peu plus tôt, c’est Fawaz Ould Ahmed qui participe ou supervise les attaques visant le Bar-Restaurant « La terrasse » à Bamako (7 mars 2015), l’hôtel Byblos à Sévaré (7 aout 2015), dans le centre du Mali et l’hôtel Radisson Blu à Bamako (20 novembre 2015).
Ces actions revendiquées par Al Mourabitoune et Aqmi après leurs retrouvailles font de « Ibrahima 10 » et de Mimi Ould Baba Ould Cheikh de gros calibres dont la libération ne peut que frustrer au-delà du Mali. Même au Sénégal, pays pas encore touché directement par le terrorisme, on s’inquiète. Et à juste titre.
Le Sénégal s’inquiète
A la recherche de cibles à frapper pour Almourabitoune, le mauritanien Fawaz Ould Ahmed se serait intéressé au « pays de la Téranga. » La Confidentielle quotidienne Malienne écrit que l’homme aurait commandité ou participé à une mission de reconnaissance à Dakar en septembre 2015.
Un membre des services de renseignements souffle à Dakaractu que le djihadiste mauritanien avait un contact dans la banlieue dakaroise, sans plus de précision.
Agissant sans doute pour le compte du même groupe, Mimi Ould Baba Ould Cheikh se charge de transporter les auteurs des attaques sanglantes de Ouagadougou avant de rentrer au Mali.
Le même homme sous les ordres de Mohamed Ould Nouini (tué par Barkhane en 2018), déploie la même logistique pour mettre fin à l’invulnérabilité de la Côte d’Ivoire. Dans la même période, il y a du mouvement au Sénégal. Mais ça ne se saura qu’au lendemain des attaques du 13 mars 2016, à Grand Bassam.
Dans le cadre des enquêtes sur cet attentat terroriste, des arabes maliens sont arrêtés au Sénégal. Il s’agit d’un nommé Mohamed Lemdessene, d’El Atigh Ahmed Mahmoud et de Béchir Moustapha Amar. L’enquête de la section des recherches a révélé que Mohamed Lemdessene dont la vraie identité est Erhil Adébé a reçu un certain Selkou au Sénégal sur la demande de Mimi Ould Baba Ould Cheikh. Quant à El Atigh Ahmed Mahmoud, il était en contact avec le nommé Hamza Ben Mohamed cité dans les attaques du Radisson Blu, comme l’écrivait le quotidien dakarois Libération.
Hamza Ben Mohamed a lui-même séjourné au Sénégal et est reparti le 04 mars 2016, c’est-à-dire neuf jours avant que trois jeunes assaillants ne prennent d’assaut la plage du Grand Bassam et n’y exécutent de sang-froid 19 personnes. À partir de ces faits, les enquêteurs s’étaient fait une religion sur les intentions d’Aqmi au sujet du Sénégal. Pour les gendarmes, notre pays l’a échappé belle au gré d’une décision de la hiérarchie » djihadiste qui a jugé plus judicieux le choix de la Côte d’Ivoire.
Pour autant, les djihadistes ont-ils enterré leur volonté d’attaquer le Sénégal ? Les services de renseignements sénégalais en doutent.