« Il a des visées dont les plus grandes sont sans limites et la moindre d’entre-elles dépasse les dimensions de l’Univers »
C’est le portrait dressé du disciple-type de la Tijâniyya ! Et voilà comment ce digne petit-fils de Cheikh El Hadji Malick Sy, entre autres, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al-Maktoum, interpellait Al-Tijânî, le Maître de la Voie Muhammedienne, dans son inimitable ode, Fa Ilayka :
« Les plénipotentiaires de ta voie, compte tenu de la diversité de leur approche, constituent en soi les modèles de loyauté de ce monde finissant »,
« Par le dzikr et la courtoisie spirituelle, ils agissent en prototypes sublimes du monde céleste »,
« Et pourtant, dans la vie de tous les jours, ils incarnent, dans la plus grande vivacité, l’autorité temporelle »,
Telle est la vision de la Tijaniyya ; l’une des rares voies du soufisme à réussir la réconciliation entre quête spirituelle et pleine ambition pour ce bas monde. Preuve de plus, s’il en était besoin, qu’elle est parfaitement inscrite dans la tradition prophétique : adorer comme un imminent mortel tout en œuvrant, ici-bas, comme un éternel !
C’est dans ce sens qu’il faudra comprendre l’assertion de Serigne Maodo Sy, cet autre illustre petit fils et homonyme de Cheikh El Hadji Malick Sy qui disait d’Al-Maktoum qu’il est le « philosophe de son temps et l’âme pensante de son peuple » (faylasûf açrihi warûh qawmihî)
Telle est aussi la modernité de la Tijâniyya, inscrite dans la « fidélité » du legs spirituel sans négliger le « mouvement » nécessaire à la marche avec le monde. : l’une des rares voies du soufisme à traverser indemne et de manière agile les époques et circonstances, à conquérir les cœurs tout en les dirigeant vers le Majestueux, à éduquer le disciple tout en formant le citoyen, à enseigner l’humilité tout en élevant l’aspirant vers les très hautes sphères de la présence divine.
Bref, la Tarîqa du savoir et de l’agir, du parfait amour du divin tout en étant à son service à travers les humains ! Cheikh El Hadji Malick Sy, par son enseignement et son héritage, est l’illustration de ce défi d’être Tijânî, celui-là même qui consistant à réussir l’exil spirituel au milieu de la société et des réalités temporelles.
« Il a, au vu et au su de tous, éduqué sans ascétisme ses disciples jusqu’à mes mener à la droiture » Rabbâ bilâkhalwatin açhâbahû alanan hatta-staqâmû, dit, aussi, Serigne Babacar Sy dans ‘AmmatMazâyâhu, parlant du Maître Ay-Tijânî.
Marier Hâl et Himma, état spirituel façonnant les attitudes sereines et volonté déterminée d’œuvrer pour le bien de soi, des siens et de tous, tel est la quintessence d’une philosophie de l’action dont Maodo, en continuateur d’Al-Tijânî, semble détenir le secret. Wa in ‘amalan ankahta ilmân tanâsalâ bi mulkin mudâmin laysa fîhi hurûbu, rappelle Maodo, l’auteur de Zadjr al-Qulûb, promouvant, ainsi, une forme d’articulation harmonieuse entre théorie et pratique, autre mariage de raison entre ‘ilm, le savoir, et amal, une certaine philosophie de l’action..
« Si tu fais épouser l’agir par le savoir, ils feront naître un certain pouvoir durable que ne peut compromettre aucune adversité ! » écrit Cheikh El Hadji Malick Sy.
A l’ère de l’économie de la connaissance et de l’agir communicationnel, où aux sachant revient forcément le pouvoir, au sens d’une domination d’abord de soi et de son environnement, voilà que l’école de Maodo, vient encore offrir une ressource mobilisable et à haute valeur ajoutée à notre combat moderne pour le développement et l’épanouissement dans un siècle nouveau avec ses nombreuses interrogations et équations.
Mais, même face à la ténacité du règne du matériel et de son emprise, à nos contradictions mondaines qui font, aussi, partie de notre Tarbiya, nous avons le défi majeur de réussir l’arbitrage harmonisant le rapport entre Rûh et Mâdda (esprit et matière). C’est en cela qu’en plus d’avoir toujours intégré, depuis bien longtemps, sûrement avant Malraux, que ce siècle sera spirituel, nous devons aussi agir de sorte qu’il soit ce que nous en ferons … avec Himma !
Dr. Bakary Sambe
PROSPEC’TIV 50