Samedi 31 octobre, près de 7,5 millions d’électeurs choisiront leur prochain président. Mais les tensions entre pouvoir et opposition inquiètent la population, notamment dans la capitale économique Abidjan ou à l’intérieur du pays, comme à Bouaké, renseigne RFI.
Au cœur de Bouaké, dans le quartier Commerce, les établissements ne désemplissent pas de clients, rapporte notre correspondante Judith Diarra. Dans son panier, Keïta Moussa a quatre sacs de riz, un gros bidon d’huile et des provisions.
Achat de fin de moi ou préparatifs par crainte d’une crise ? Une fois passé en caisse, Keïta se dit serein par rapport aux élections. « Ces emplettes, ce n’est pas par rapport à une crainte liée aux élections. Parce qu’à Bouaké, il n’y a pas d’animosité entre les populations, donc on est sereins. Oui, les élections vont bien se passer. »
Au fond de cette grande surface, Anoko Blandine continue ses achats. Elle qui est passée quasiment du simple au double de ses provisions habituelles, avoue qu’elle craint une période de trouble. « Comme on entend des choses ci et là, c’est plus par crainte d’être à court de nourriture. Donc on fait des emplettes. Je ne suis pas sereine au vue de tout ce qui se passe actuellement. »
Selon certains responsables de la gare routière de Bouaké et des chauffeurs de moto-taxis, les tensions ont créé un important trafic de population entre les zones réputées instables et celles censées être plus sûres. Et pointent qu’il manque parfois de véhicules pour certaines destinations.
Certains habitants d’Abidjan partent pour leur village
De nombreux habitants d’Abidjan ont par exemple déjà quitté la capitale économique pour se réfugier au village par crainte d’éventuelles violences, constate notre correspondant Sidy Yansané.
Comme à son habitude, la gare routière d’Adjamé grouille de monde qui slaloment entre les minibus, les cars et les taxis. Mais en cette semaine d’élection, à l’agitation s’ajoute de l’énervement. Beaucoup fuient Abidjan, craignant une répétition dramatique de l’histoire à l’approche de la présidentielle.
Alassane est un « coxer », un jeune qui joue les rabatteurs en dirigeant les passagers vers les véhicules. « Les gens ont peur. Depuis une semaine comme ça, ça voyage. Ils voyagent à cause de l’insécurité. Pour aller à San-Pédro ou à Sassandra il faut payer au moins 12 000, c’est cher. Avant c’était 5 000, maintenant on paie 12 000. »
Mais la demande ne suit pas l’offre. Résultat : il manque de bus pour transporter tout le monde. Cela fait deux heures que Jean-Marie attend son car. Il part pour son village à Toumodi, dans le centre du pays. Laissant derrière lui sa famille, qu’il pense plus en sécurité à Abidjan.
« Généralement, les élections passées, ils créent les émeutes, ils rentrent dans les maisons, saisissent les hommes. C’est pour ça qu’il faut sécuriser les hommes, on ne fera rien aux femmes et aux enfants. »
Si les uns partent, les autres, qui avaient déjà tout perdu lors des crises passées, préfèrent rester, pour protéger leurs biens en cas de violence.
Abstention par crainte des représailles
Beaucoup refusent également de mettre un pied dehors le jour du scrutin, par peur des affrontements et des représailles, d’être blessé ou d’être tué, comme ce couple rencontré par notre correspondant, François Hume-Ferkatadji, dans la commune de Cocody, à Abidjan.
Sur le toit de leur petit immeuble, ils tentent tant bien que mal de réparer l’antenne parabolique. C’est à la télévision, et uniquement à la télévision, qu’ils suivront le déroulé de la journée de vote. Ce père de trois enfants, qui préfère taire son nom, est technicien de profession. Depuis la crise de 2010-2011, il s’est promis de ne plus se préoccuper de politique, ni de glisser de bulletins dans l’urne.
« Moi-même j’ai décidé de ne pas voter il y a longtemps de cela, moi ce que je demande là, c’est la paix, seulement c’est tout, on a des enfants, on a nos femmes, on a nos parents que nous aimons, explique-t-il. Qu’ils fassent de telle sorte pour que nous ne mourions pas encore cette année ! Car, on est fatigués, on est fatigués de pleurer, nous voulons vivre, on veut être ensemble ! Pour ne pas que l’on entende : « toi tu viens du Nord, toi tu viens de là ». On veut être ensemble ».
Son épouse, commerçante, décrit un climat de grande anxiété dans son quartier et dans les allées du marché. Pour elle, pas question d’aller voter non plus, par craintes de représailles. « Je ne veux pas être politicienne ni rien, donc je ne parle pas de ça, déclare-t-elle. Parce qu’au jour d’aujourd’hui, si tu veux parler de ce genre de truc, on t’attrape, on te tue. On voit ça, on entend ça, les gens parlent de ça, nous, on entend. Donc tout le monde a peur, on se méfie ».
Pour ce couple, l’élection présidentielle est avant tout une période où les risques de violences et d’affrontements sont accrus. Ils avouent ne plus croire aux vertus de l’engagement politique. Leur voix sera celle de l’abstention.