Plonger dans l’histoire récente de la Centrafrique, c’est s’immerger dans un maquis où règnent de multiples prédateurs et dans lequel évoluent de nombreux acteurs internationaux. Retour sur des décennies de crise.
Les origines du conflit
Depuis la chute de Bokassa en 1979, la Centrafrique a connu plus de quatre décennies de troubles sécuritaires. Après plusieurs tentatives, le général Bozizé prend le pouvoir par la force à Bangui le 15 mars 2003, renversant Ange-Félix Patassé. Dans le nord et l’est du pays, une rébellion monte et un premier rassemblement de groupes politico-militaires, l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) se forme sous le leadership de Michel Djotodia. Depuis les années 1990, la déliquescence de l’État est généralisée, et plus aucun service ou presque n’existe dans ces régions. Entre 2004 et 2008, une première guerre civile fera de nombreux morts et plusieurs milliers de déplacés dans le pays. Elle se conclura sur une paix précaire et la signature d’un accord à Libreville, mais ne résout rien sur le fond. En août 2012, un certain nombre d’organisations se regroupent à nouveau pour former la Seleka (« Alliance » en sango, la langue nationale).
La Seleka
À sa création, la Seleka est puissante sur le papier. Numériquement plus forte (entre 10 000 et 20 000 hommes en 2013 selon les estimations), et mieux armée que les quelque 4 000 à 7 000 membres des Forces armées centrafricaines (FACA). Elle est cependant très peu disciplinée et désorganisée. Très rapidement, les tensions avec le pouvoir central sont de plus en plus fortes, et malgré une tentative de gouvernement d’union nationale, un nouveau conflit éclate, qui verra la Seleka prendre le pouvoir par la force à Bangui en mars 2013. La plupart des grandes villes du pays tombent sous son contrôle.
Politiquement, la Seleka se veut une structure para-étatique et met en place une administration parallèle. La prédation des ressources naturelles et des taxations diverses constituent ses principaux revenus. Michel Djotodia devient officiellement président le 24 mars 2013. Mais la Seleka devient ingérable, commettant de nombreuses exactions. Djotodia la dissout officiellement le 13 septembre 2013 et sera ensuite poussé à la démission, le 10 janvier 2014, laissant la place à un Conseil national de transition, dirigé par Catherine Samba-Panza.
Les anti-balaka
La faiblesse des forces de l’ordre a depuis longtemps incité les communautés villageoises à créer des groupes d’autodéfense, les anti-balaka. Majoritairement chrétiens et animistes, ils comportent originellement des éléments musulmans dans leurs rangs et s’attaquent aux coupeurs de route, aux pasteurs nomades peuls ou encore, dans le Sud-Est, à l’Armée de résistance du seigneur (LRA). Lorsque la Seleka prend le pouvoir à Bangui, des anti-balaka de la région de Bossangoa (fief de Bozizé) se mobilisent et s’en prennent à leurs éléments. Mal armés et peu encadrés, ils se distinguent par leurs croyances mystiques. Ils trouveront des soutiens et un renfort matériel grâce à l’apport d’éléments des forces restés fidèles à l’ancien président. Le 5 décembre 2013, lors d’une action coordonnée, ils prennent d’assaut la capitale où ils s’installent durablement. Politiquement, le mouvement est divisé en deux mouvances : l’aile Mokom et l’aile Ngaïssona, du nom de deux leaders anti-balaka proches de François Bozizé.
Le règne des prédateurs
Depuis le départ de Michel Djotodia et le retour à un semblant d’ordre constitutionnel à Bangui, les troupes de l’ex-Seleka ont quitté la capitale, mais de grandes villes de l’arrière-pays sont toujours sous leur contrôle. Les groupes originels de l’Alliance demeurent très actifs et de nouvelles organisations se recomposent ou se forment (FPRC, UPC, 3R). Les anti-balaka sont eux surtout présents à Bangui, où ils contrôlent des quartiers entiers, et dans l’ouest et le sud-ouest du pays, où ils se sont accaparés de nombreux biens et commerces de civils musulmans, forçant souvent ces derniers à partir.
De nombreux groupes anti-balaka sont également présents dans le Sud-Est. Partout dans le pays, les groupes armés font la loi, taxent et rançonnent sous couvert de « protection » des communautés. À Nairobi, fin janvier 2015, un accord est conclu entre différents groupes armés en vue d’une sortie de crise. Mais cet accord, discuté en l’absence du gouvernement de transition est rejeté par la communauté internationale. Néanmoins, par la suite, plusieurs groupes armés de l’ex-Seleka et anti-balaka signataires s’allieront au gré des circonstances.
Une guerre non confessionnelle
Soulevée par de nombreux médias internationaux, l’origine confessionnelle du conflit centrafricain n’en est en fait que la conséquence. Les musulmans sont traditionnellement à la tête des activités économiques du pays. Leurs biens et entreprises suscitent des convoitises. En outre, depuis l’arrivée de la Seleka – à composante majoritairement musulmane –, des discours de haine sont déversés dans les médias, faisant des populations musulmanes des complices de cette alliance. Très rapidement, les anti-balaka s’en prendront directement aux biens et aux commerces des musulmans. Ces discours de haine perdureront, notamment dans le sud-est du pays où, à Bangassou notamment, ils seront à l’origine de graves crimes de masse envers les populations musulmanes en 2017.
Un pays dépendant de la communauté internationale
Depuis, 2014, des centaines d’ONG, les institutions des Nations unies, le FMI et la Banque mondiale, l’Union européenne, mais aussi de nombreux partenaires bilatéraux, se pressent au chevet de la Centrafrique. Mais tout est à reconstruire. Progressivement, la vie démocratique reprend avec l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2016 et l’élection de Faustin-Archange Touadéra à la tête du pays. Malgré des épisodes de grande violence, l’État retrouve aussi ses marques dans l’arrière-pays. La Russie prend pied sur la scène diplomatique, et signe un accord de coopération militaire avec le gouvernement, même si l’envoi d’« instructeurs privés » russes fait polémique. En février 2019, un accord de paix est signé entre des représentants de 14 groupes armés et le gouvernement à Bangui, ouvrant la voie à une période de relative stabilité. Mais le pays reste fragile. Les élections présidentielles et législatives de décembre 2020 sont un test.
Une nouvelle coalition aux portes de Bangui
Alors que le scrutin doit se tenir le 27 décembre, six groupes armés issus de l’ex-Seleka et des deux mouvances anti-balaka publient un document signé le 15 décembre dans lequel ils constatent « l’échec patent » de l’accord de paix. Deux jours plus tard, ces mêmes groupes annoncent, dans une déclaration (non signée celle-là), une fusion de leurs six groupes en une seule entité, la Coalition des patriotes pour le changement (CPC). Ils décident de marcher vers Bangui. Des affrontements ont lieu. Outre la Minusca, des renforts rwandais et russes sont arrivés pour contrer l’avancée des rebelles.
François Bozizé ou l’éternelle quête du pouvoir
Officiellement, le porte-parole de son parti, le KNK, nie toute implication dans la création du CPC. Mais tout dans sa carrière laisse penser que l’ancien président Bozizé ne ménagera aucun effort pour revenir au pouvoir. L’ancien général de Bokassa devenu président putschiste en 2003, a été élu en 2005 et en 2011, avant d’être lui-même déposé par la Seleka en 2013. En exil en Ouganda, il conserve la main sur son parti, le KNK, autrefois tout-puissant. Il revient en catimini en 2019 et annonce sa candidature à la présidentielle. Mais celle-ci est rejetée par la Cour constitutionnelle en raison d’un mandat d’arrêt international pesant sur lui depuis 2014 et des sanctions des Nations unies. Le KNK annonce peu après qu’il soutient le candidat de l’opposition Anicet-Georges Dologuélé. Mais beaucoup le soupçonnent de jouer un double jeu et d’être derrière la création du CPC.