Paris accueille une conférence humanitaire sur le Yémen ce mercredi 27 juin. Elle se tiendra finalement à huis clos, au niveau des experts, et non à un niveau ministériel comme souhaité dans un premier temps par l’Élysée. Cette conférence coorganisée par les Saoudiens a été critiquée dès le départ : quinze organisations humanitaires et de défense des droits de l’Homme reprochent à la France de faire le jeu de l’Arabie saoudite, l’un des principaux belligérants dans cette guerre qui ravage le Yémen.
L’Arabie Saoudite et sa coalition de pays arabes interviennent militairement au Yémen depuis trois ans, officiellement à la demande du gouvernement yéménite. Leur ennemi ? Les Houthis, des chiites longtemps marginalisés par le pouvoir yéménite. En 2014, les Houthis prennent les armes et le contrôle de la capitale Sanaa, puis de plusieurs autres villes.
Le royaume saoudien sunnite présente son intervention militaire comme un soutien au gouvernement légitime du Yémen. Mais l’enjeu est aussi régional. « L’intervention saoudienne menée à partir de mars 2015 a été justifiée à l’aune d’une éventuelle ingérence iranienne, qui aurait été motivée par un soutien apporté aux Houthis qui se réclament de l’obédience Zaïdite, qui est l’une des variantes du chiisme », rappelle David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l’Institut français d’analyses stratégiques.
« Compte tenu du contexte régional, ça a favorisé ce rapprochement. Et probablement, l’Iran a vu une opportunité à saisir pour menacer le flanc méridional du royaume saoudien. Et là, on retrouve la configuration qui est à l’origine de la coalition sunnite, qui est aussi évidemment un combat contre l’ingérence supposée de l’Iran sur l’échiquier yéménite », ajoute le spécialiste contacté par téléphone.
L’offensive armée et le triple embargo plongent ce pays très pauvre dans une grave crise humanitaire
Déterminée à contrer cette menace houthie, l’Arabie saoudite impose, en plus de son offensive armée, un triple embargo au Yémen – terrestre, aérien et maritime. L’objectif étant de couper les approvisionnements des Houthis soupçonnés de recevoir des armes iraniennes.
Pourtant, ce blocus plonge le Yémen, l’un des pays les plus pauvres de la planète, dans une grave crise humanitaire. En plus de la famine et des épidémies, sa population subit les combats, comme actuellement à Hodeïda. Cette ville portuaire est tenue par les Houthis. Les forces loyalistes yéménites soutenues par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unistentent de les en déloger et tant pis pour les civils qui se retrouvent au milieu de la bataille.« Nous avons beaucoup souffert durant ces trois dernières années. La coalition arabe mène des bombardements aléatoires et c’est pareil pour les Houthis. Pour eux, la vie des civils importe peu », dénonce Manel Qaïd, une habitante de Hodeïda. « Ici, les gens ont peur, ils sont terrorisés par un éventuel assaut contre Hodeïda. Honnêtement, la vie des civils innocents n’a aucune valeur pour les deux camps qui s’affrontent. Ils se tirent dessus et ça ne leur pose aucun problème que les civils soient au milieu. Ils ne se préoccupent pas de notre sort », regrette la jeune femme contactée via l’application WhatsApp.
Pour les ONG, la France doit condamner les bombardements et revoir la politique de vente d’armes
80% de l’aide humanitaire qui arrive au Yémen passe par le port de Hodeïda. Quinze organisations humanitaires et de défense des droits de l’Homme interpellent directement le président Emmanuel Macron et espèrent une action rapide de Paris. « On attend de la France qu’elle condamne fermement tous les bombardements de civils et en particulier dans la perspective de cette nouvelle attaque sur Hodeïda. Je rappelle qu’à Hodeïda il y a 600 000 civils qui sont prisonniers de la zone, qui ne vont pas pouvoir fuir », s’alarme Anne Hery, directrice du plaidoyer et des relations institutionnelles à Handicap international.
« Nous avons également une autre demande. La France vend des armes à l’Arabie saoudite. La France doit cesser tout transfert d’armes à des belligérants qui potentiellement utilisent ces armes pour commettre des violations du droit international humanitaire et pour commettre d’énormes dégâts sur les civils », insiste cette responsable d’ONG, interrogée le 26 juin à Paris, lors d’une conférence de presse.
La France est en tout cas très embarrassée. La conférence de ce mercredi devait se tenir à un niveau ministériel, mais les ambitions ont été revues à la baisse puisque finalement il s’agit d’une simple conférence d’experts qui se tiendra à huis clos.