Ce jour-là, le ciel de New York était d’un bleu cristallin. Pour France 24, trois New-Yorkais ont accepté de raconter cette journée qui a marqué leur vie à jamais. Les explosions, le feu et la poussière dans les rues de leur ville sont restés gravés dans leurs mémoires. Choc émotionnel pour l’un, début d’un combat ou sentiment d’être le témoin involontaire d’un moment historique pour les autres, voici leurs récits du 11 septembre 2001.
8 h 46. Bob Weston traverse le pont de Brooklyn pour se rendre à pied à son travail, dans le Downtown, le quartier d’affaire du bas de Manhattan. Soudain, il remarque cet avion, qui vole bas, trop vite et paraît énorme au-dessus des immeubles.
« Ça n’avait aucun sens, je l’ai regardé quelques secondes dans le ciel et il a percuté la tour Nord du World Trade Center. J’ai ressenti la puissance de l’explosion dans mon corps, c’était énorme, comme une vague. Je ne l’oublierai jamais. »
« Je pensais avoir été témoin d’un horrible accident, mais quand le deuxième avion a percuté l’autre tour, les gens autour de moi ont crié. J’étais à l’extrémité du pont et j’ai senti la chaleur de l’explosion. J’ai vu cette boule de feu grossir et j’ai senti une vague de chaleur, comme lorsque l’on ouvre la porte d’un four de cuisine. Les gens ont commencé à courir comprenant qu’en fait, nous étions attaqués. »
Désorienté, sous le choc, Bob poursuit son chemin vers son lieu de travail. Dans une rue, gît un morceau d’avion et lorsque la première tour s’effondre, il fait face à une marée humaine qui tente de quitter Manhattan par tous les moyens possibles. En quelques heures, 500 000 personnes sont évacuées par le pont de Brooklyn, certaines sautent à l’eau pour tenter de traverser l’East River à la nage.
« Les gens étaient couverts de poussière, et avec d’autres personnes nous avons attrapé toute sorte de récipients pour essayer de leur donner à boire. Ils étaient des milliers et des milliers et je me sentais impuissant. »
« J’ai grandi à Brooklyn et quand j’étais gamin, j’observais la construction des tours jumelles. Quand j’ai vu le sommet de la deuxième tour lentement s’effondrer comme un tas de pancakes, je ne pouvais pas y croire. »
10 h. Lila Nordstrom,17 ans, entend les responsables de son école demander à tous les étudiants de quitter le bâtiment situé à trois « block » du World Trade Center et de « courir vers le Nord ».
L’ordre est venu peu après l’effondrement de la première tour auquel la jeune fille et ses camarades venaient d’assister depuis les fenêtres de Stuyvesant High School, leur lycée.
« Les portes se sont ouvertes et nous sommes partis en courant. Il n’y avait personne pour nous dire où aller, nous savions juste qu’il fallait quitter Manhattan. »
« C’est alors que la deuxième tour est tombée et on ne voyait plus rien, tout n’était que poussière. Avec une amie, nous avons marché jusque chez elle, dans le Queens, pensant que nous n’avions pas le droit de retourner à Manhattan. »
« C’était comme un film, ça n’avait pas l’air réel. Quelle est la bonne stratégie pour s’enfuir : c’est la seule chose à laquelle j’arrivais à penser, je n’avais que 17 ans. »
16 h. Laurent Auffret travaillait à l’ambassade de France, du côté de Central Park. Après plusieurs heures de marche dans une ville soudain devenue déserte, il traverse le pont de Brooklyn et découvre l’ampleur de la catastrophe.
« En début d’après midi, l’attaque semblait terminée et, avec un collègue, nous avons décidé d’aller dans le bas de la ville pour comprendre ce qu’il se passait. À partir de la 42e rue, il n’y avait plus aucune voiture. Nous avons commencé à marcher au milieu des avenues et on a commencé à voir apparaître le gros nuage noir et opaque qui sortait de Ground zero. »
« Dans le Downtown, il y avait de la poussière partout, des sirènes, des gens qui couraient et j’ai décidé de rentrer chez moi à Brooklyn. Une fois sur le Brooklyn Bridge, j’ai vu dans ce ciel bleu incroyable, l’énorme nuage qui se dirigeait vers Carroll Gardens, là où j’habitais. »
« C’était vraiment très étrange, il y avait une lumière magnifique, plus de voitures, c’était silencieux. Les gens que j’ai croisés étaient choqués. Certains criaient, d’autres pleuraient en tendant les bras vers le ciel, d’où tombaient les cendres. »
Vingt ans après les attentats du 11-Septembre, les trois New-yorkais n’ont pas vraiment tourné la page
À 59 ans, Bob nous a confié que l’image du premier avion s’écrasant dans la tour Nord continue de « brûler dans son cerveau ». Guide touristique une partie de l’année, il raconte parfois son histoire à des gamins de 12-13 ans qui viennent visiter New York. « C’est troublant, douloureux, et ça me fait toujours mal ». Et quand vient chaque année l’anniversaire de l’attentat, « je ne regarde pas la télévision, je me protège, je m’empêche de penser à cette journée », raconte-t-il.
Quant à Lila, le 11-Septembre ne l’a jamais quitté et ne s’est certainement pas terminé lorsqu’elle est parvenue à se réfugier chez son amie. Un mois plus tard, son lycée a rouvert ses portes et, pendant des mois, elle et ses camarades ont été exposés aux effluves toxiques expulsées par les ruines fumantes du World Trade Center.
Plusieurs de ses camarades sont alors tombés malades, et en 2006, elle a créé une organisation, StuyHealth, pour que soient reconnus plusieurs maladies liées à l’attentat du 11-Septembre et aux travaux de nettoyage du site.
Dans une tribune publiée par le Washington Post, elle affirme qu’elle a « passé l’essentiel de [sa] vie d’adulte à [se] battre pour demander à ce que les personnes qui ont développé ces maladies puissent être soignées ».
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En vingt ans, 67 000 demandes d’indemnisation ont été déposées et près de la moitié des dossiers concernent des cas de cancer. « Le gouvernement fédéral m’a accordé un statut de ‘survivante du 9/11’. Mais plusieurs de mes camarades n’ont pas eu cette chance-là, certains sont morts avant l’âge de 35 ans ».
De son côté, Laurent, 52 ans, qui vit à New York depuis 1998 s’attriste d’avoir vu avec le 11-Septembre s’éteindre l’ambiance si particulière de la « ville monde », rattrapée par le nationalisme.
« New York est devenu américain ce jour-là », explique ce Français. « Dès le lendemain, dans mon quartier, il y avait des drapeaux américains partout, alors que je n’en voyais que le 4 juillet, pour la fête de l’indépendance.
J’ai compris que l’Amérique voulait une revanche. Tout a profondément changé et pour moi, cette journée, c’est le souvenir d’avoir été le témoin d’un moment d’Histoire déterminant ».